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Le verdict de l’oiseau Dodo

Publié en ligne le 16 septembre 2014 - Psychologie -

Le dodo est un grand oiseau de l’île Maurice. Découvert en 1598, il était décrit comme grand (1m), gros (10kg) et lent. Son plumage bleu gris était pourvu d’ailes atrophiées jaunes et blanches. Son bec crochu avait une tache rouge caractéristique à son extrémité. Sa tête noire ou grise possédait deux plis importants à la base du bec. Le dodo s’est éteint moins d’un siècle après sa découverte, à la fin du XVIIe siècle, avec l’arrivée des Européens. Au début du XIXe siècle, on pensait que l’espèce était un mythe. Mais, en 2007, on a trouvé un squelette de dodo, le plus complet et le mieux préservé jamais découvert. Depuis lors, des scientifiques anglais espèrent en extraire l’ADN afin de redonner vie à un spécimen de cette espèce ou à un cousin très proche. Malgré les progrès en génétique, le pari reste difficile à réaliser.

L’« effet dodo »

En attendant sa résurrection, le dodo a inspiré un effet bien connu dans le domaine des psychothérapies, l’« effet dodo ».

Dans plusieurs langues, le mot « dodo » est l’équivalent d’idiot, stupide, crétin. L’image populaire de l’oiseau stupide vient de la peinture de Roelandt Savery (1589-1654), exposée au musée de l’Université d’Oxford.

Lewis Carroll s’en inspira dans Alice au pays des merveilles. Alice avait organisé une course autour d’un lac. Lorsqu’elle demanda à l’oiseau dodo de désigner le vainqueur, celui-ci répondit : « Tout le monde a gagné et tous doivent recevoir des prix ».

C’est dans un article de 1936 consacré à l’efficacité comparée des psychothérapies que le psychologue Saul Rosenzweig avança pour la première fois l’idée du dodo verdict. Rosenzweig soutenait en effet que les facteurs communs aux psychothérapies (comme les relations avec le psychologue ou la motivation des patients) comptaient plus que la démarche elle-même. En somme, il n’existait pas, selon lui, de différences majeures entre les thérapies, et l’on pouvait conclure au dodo verdict  : toutes les thérapies se valent, toutes les thérapies marchent !

Cette affirmation a hérissé les plumes de beaucoup de monde dans la profession !

Daniel Freeman, professeur de psychologie clinique et Senior Fellow auprès du Conseil de la recherche médicale clinique du département de psychiatrie de l’Université d’Oxford, a publié, le 23 janvier 2014, un article dans The Guardian [1] intitulé : « Are all psychological therapies equally effective ? Don’t ask the dodo ». Il écrit notamment : « Le « Verdict de l’oiseau Dodo » [...] prétend que les nombreuses et diverses formes de thérapies psychologiques sont toutes aussi efficaces. Il ne fait aucune différence entre, par exemple, une personne traitée avec des techniques tirées de la psychanalyse ou de la programmation neurolinguistique ou des thérapies cognitivo-comportementales (TCC). Ce qui aide vraiment un patient à guérir, ce sont des facteurs simples, comme la possibilité de discuter de ses préoccupations avec un thérapeute expérimenté et sympathique ou le degré selon lequel il est prêt à s’engager dans le traitement ».

Une fois de plus, cette affirmation vient d’être sérieusement remise en question par une étude de Stig Poulsen et Susanne Lunn, psychanalystes chevronnés d’une clinique consacrée à la psychanalyse à Copenhague, publiée ce mois-ci dans l’American Journal of Psychiatry [2]. Les chercheurs ont comparé les résultats obtenus par la psychanalyse et par les thérapies cognitivo-comportementales (TCC). Ce sont les TCC qui se sont avérées les plus efficaces et de très loin.

Dans l’étude, 70 patients atteints de boulimie ont été répartis en deux groupes et soumis aléatoirement soit à deux ans de thérapie psychanalytique hebdomadaire, soit à vingt séances de thérapie cognitivo-comportementale (TCC), réparties sur cinq mois. Après cinq mois, 42 % du groupe TCC avaient cessé de se gaver et de se purger et 6 % du groupe psychanalyse. Après deux ans, la proportion du groupe psychanalyse qui s’était libérée de la boulimie est montée à 15 %. Mais c’était encore loin derrière la réussite du groupe TCC. En effet, après deux ans, 44 % du groupe TCC étaient guéris, bien qu’il se soit écoulé 19 mois depuis la fin de leur traitement. Fait encore plus remarquable, les thérapeutes des TCC n’avaient reçu que deux jours de formation spéciale et la supervision régulière d’un spécialiste des TCC pour les troubles alimentaires. Ils étaient moins expérimentés que ceux qui étaient responsables du traitement psychanalytique. Et enfin, les chercheurs étaient, rappelons-le, psychanalystes. L’American Journal of Psychiatry conclut : « Nous nous félicitons de l’honnêteté des principaux investigateurs et de leur franchise dans la présentation de leurs résultats. Cela n’est peut-être pas ce qu’ils espéraient trouver ni même ce dont ils avaient émis l’hypothèse ». Certaines thérapies peuvent donc être meilleures que d’autres. Il faut continuer à les départager sans a priori pour sélectionner les plus efficaces.

Mais ne demandons plus son verdict à l’oiseau Dodo !