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Troubles de l’attention et hauts potentiels intellectuels

Publié en ligne le 22 juillet 2023 - Cerveau et cognition -

Haut potentiel intellectuel (HPI), Trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH)… On croise de plus en plus régulièrement ces acronymes dans les médias, sur les plateaux de télévision ou dans des séries pour le grand public. Ils sont parfois revendiqués comme des trophées et associés l’un à l’autre, allongeant alors la carte de visite de la personne qui en parle.

Ainsi par exemple, un psychologue qui se présente comme « spécialisé dans la détection (bilan psychologique) de la surdouance (HPI et HPE), du syndrome d’Asperger, du TDAH et de l’hypersensibilité » [1] propose-t-il « 10 signes que vous avez un trouble du déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH) et un haut potentiel intellectuel (HPI) en même temps », suggérant que les deux particularités sont liées.

Mais que sait-on vraiment aujourd’hui de la combinaison de ces profils ?

Contexte

Le terme de « haut potentiel intellectuel » désigne des capacités cognitives nettement supérieures à la moyenne. Selon le consensus scientifique actuel, l’emploi de ce qualificatif est conditionné par l’obtention, sur une échelle d’intelligence standardisée et normée d’un score de quotient intellectuel (QI) supérieur ou égal à 130. Ce seuil, conventionnel, détermine la proportion de HPI dans la population : 2,3 %, soit une personne sur 44.

De son côté, le TDAH est un trouble neurodéveloppemental que l’on retrouve dans les classifications des troubles en santé mentale (DSM 5 [2] ou CIM 11 [3]). Il est caractérisé par la présence d’une triade de symptômes (inattention, hyperactivité 1 et impulsivité) qui retentissent depuis le plus jeune âge dans les différentes facettes de la vie de la personne. La prévalence mondiale met en évidence que ce trouble est présent chez environ 5,9 % des enfants et 2,5 % des adultes [4].

Des études réalisées ces dernières années ont montré que si les deux entités pouvaient être présentes chez une même personne, le TDAH est plutôt moins fréquent chez les HPI que dans le reste de la population, ce qui suggère que le HPI est un facteur protecteur plutôt qu’un facteur de risque [5]. Cependant, entre professionnels, on observe des désaccords sur des identifications (des HPI pris pour des TDAH ou l’inverse) et certains identifient une apparente association entre les deux [6]. Plusieurs questions restent donc encore ouvertes.

Ressemblances et risque de confusion

Inattention, agitation et impulsivité (par exemple répondre avant la fin de la question) sont des symptômes, des comportements que l’on retrouve dans un grand nombre de troubles tel que le TDAH, la dépression ou le trouble anxieux. Les personnes présentant un HPI ont-elles tendance à manifester ces comportements ? Ceci peut-il conduire à confondre TDAH et HPI ? Quand ces comportements sont présents, représentent-ils un handicap particulier concernant les HPI ?

L’Enfant au toton, Jean-Baptiste Chardin (1699-1779)
L’enfant regarde tourner sa toupie, absorbé dans son monde et étranger aux objets éducatifs qui l’entourent. Bien que plutôt spécialiste de la nature morte, Chardin traite plusieurs fois le sujet de l’enfance dans des portraits bourgeois qui, finalement, tiennent plutôt de la scène de genre. Il s’inscrit ainsi dans cette tendance de l’époque des Lumières qui consiste à s’intéresser au monde de l’enfance et à le valoriser, comme le fera notamment Jean-Jacques Rousseau.

Pour mieux comprendre les possibles erreurs d’identification, partons d’un simple exemple. Imaginons un élève HPI non détecté. Dans une classe où cet enfant ne serait pas suffisamment stimulé par rapport à son niveau de fonctionnement, il pourrait alors manifester des comportements d’impulsivité face à l’ennui qu’il ressent. En effet, quand vous connaissez les réponses aux questions car vous avez vite assimilé le sujet, vous risquez d’avoir une tendance à répondre avant la fin des questions (surtout si c’est la troisième ou quatrième fois que le même genre de question est posé). Ce même enfant pourrait également commencer à être inattentif, en réaction à la répétition d’informations déjà bien comprises et son esprit pourrait s’échapper vers d’autres pensées jugées plus intéressantes. Il se pourrait également qu’il comble son ennui en s’agitant, en gesticulant sur sa chaise, en se levant de manière inappropriée, en bavardant… Autant de comportements qui pourront évoquer un TDAH.

Cet exemple permet de mieux comprendre que les comportements observables ne sont pas forcément synonymes d’un trouble (ils ne sont pas « pathognomoniques »). Le HPI n’est pas une pathologie, mais il peut dans certains environnements (une classe où l’élève n’est pas suffisamment stimulé par exemple) déboucher sur des signes évocateurs de troubles et interprétés à tort comme problématiques par les enseignants ou les parents de l’enfant.

Une identification des HPI rendue plus difficile ?

Être agité, inattentif ou impulsif n’a pas de raison d’impliquer un HPI. Il importe de s’en remettre au diagnostic d’un professionnel qui saura prendre en compte l’ensemble des données de la personne : son fonctionnement personnel mais aussi et surtout l’environnement dans lequel cette personne évolue.

Cependant, les chercheurs se posent encore de nombreuses questions relatives à la présence simultanée du TDAH et du HPI, et relatives en particulier aux questions de compensation et de « masquage » [7, 8] : le TDAH pourrait-il cacher le HPI et, inversement, du fait de bonnes compétences, un patient avec un HPI pourrait-il compenser son TDAH, le rendant plus difficilement détectable et le privant ainsi d’une prise en charge plus adaptée ? Une revue de la littérature scientifique [9] met en évidence que le fait d’avoir un TDAH fait baisser la valeur du QI d’environ 5,25 points (différence moyenne observée entre le QI mesuré avant et après la prise de médicament chez les personnes avec TDAH). Ainsi, une personne qui aurait un TDAH et un QI entre 130 et 135 (ce qui est le cas de 59 % des HPI) pourrait ne pas être détectée comme HPI, alors qu’il l’aurait été après une prescription adaptée. Autrement dit, une personne HPI souffrant de TDAH et présentant un fonctionnement de type HPI pourrait ne pas être identifié pour son HPI, masqué par le TDAH si le professionnel ne fait pas suffisamment attention à la fois au fonctionnement cognitif du patient et aux symptômes et retentissement du TDAH.

À l’inverse, le HPI peut-il « compenser » le TDAH ? Les données de la recherche montrent d’abord que les symptômes de TDAH ne varient pas selon le niveau d’intelligence [10]. Cependant, le retentissement du TDAH est probablement moindre chez les personnes HPI, car l’intelligence est une ressource pour surmonter les difficultés. Plusieurs publications suggèrent que les enfants HPI souffrant de TDAH arrivent à compenser ce dernier au point de rendre celui-ci invisible pendant un certain temps. Autrement dit, une grande intelligence masquerait le TDAH, ce qui rendrait son diagnostic et sa prise en charge plus tardifs. C’est une des hypothèses possibles au constat de TDAH qui commenceraient à l’âge adulte : il pourrait s’agir de TDAH masqués pendant l’enfance [11].

Savoir qu’une personne est HPI peut donc amener à considérer plus attentivement la question du TDAH, sachant qu’il peut être peu flagrant. À l’inverse, une personne avec un TDAH et un QI élevé, mais en-dessous du seuil de 130 caractérisant les HPI, peut inciter à approfondir l’analyse.

Reste cependant à identifier l’intérêt de savoir qu’une personne avec TDAH est en plus HPI ?

TDAH et HPI : double peine ?

Pour résumer, le HPI et le TDAH ne sont ni incompatibles, ni régulièrement associés. Dans le cas d’une personne qui présente les deux caractères, le TDAH peut masquer le HPI et le HPI peut cacher le TDAH. Dans le premier cas, il est possible de rassurer la personne sur son niveau d’intelligence : il n’est pas nécessaire d’avoir un HPI pour pouvoir puiser dans ses ressources pour surmonter son TDAH. Dans le second cas, on risque de laisser sans aide quelqu’un qui, certes, compense efficacement son trouble mais pourrait aller mieux avec une prise en charge adaptée (accompagnement thérapeutique comme la thérapie cognitivo-comportementale, voire une médication spécifique pour le TDAH).

Le haut potentiel est généralement une chance, une force. Le trouble de l’attention, à l’inverse, est surtout une source de tracas. Celui qui est à la fois TDAH et HPI doit surmonter des difficultés, mais a des ressources pour s’y aider. Une erreur fréquente est d’attribuer au haut potentiel les difficultés qui naissent du trouble de l’attention et de vouloir « soigner » des effets supposés de leur HPI, quand c’est le TDAH qui devrait être au centre.

Références


1 | « Les 10 signes du TDA/HPI ». Sur bilan-psychologique.com
2 | American Psychiatric Association, DSM-5 – Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, Elsevier, 2022.
3 | Organisation mondiale de la santé, « Trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité », Classification internationale des maladies, (CIM-11), 2022. Sur icd.who.int
4 | Faraone SV et al., “The world federation of ADHD international consensus statement : 208 evidence-based conclusions about the disorder”, Neuroscience & Biobehavioral Reviews, 2021, 128 :789-818.
5 | Williams CM et al., “High Intelligence is not associated with a greater propensity for mental health disorders”, European Psychiatry, 2022, 2343 :1-27.
6 | Mullet, DR, Rinn AN, “Giftedness and ADHD : identification, misdiagnosis, and dual diagnosis”, Roeper Review, 2015, 37 :195-207.
7 | Atmaca F, Baloglu M, “The two sides of cognitive masking : a three-level Bayesian meta-analysis on twice-exceptionality”, Gifted Child Quarterly, 2022, 66 :277-95.
8 | Milioni ALV et al., “High IQ may ’mask’ the diagnosis of ADHD by compensating for deficits in executive functions in treatmentnaïve adults with ADHD”, Journal of Attention Disorders, 2017, 21 :455-64.
9 | Jepsen JR et al., “Do attention deficits influence IQ assessment in children and adolescents with ADHD ?”, Journal of Attention Disorders, 2009, 12 :551-62.
10 | Katusic MZ et al., “Attention-Deficit Hyperactivity Disorder in children with high IQ : results from a population-based study”, Journal of Developmental and Behavioral Pediatrics, 2011, 32 :103-9.
11 | Kosaka H et al., “Symptoms in individuals with adult-onset ADHD are masked during childhood”, European Archives of Psychiatry and Clinical Neuroscience, 2019, 269 :753-5.

1 L’hyperactivité est un besoin de bouger sans cesse, de parler beaucoup, qui ne se contrôle pas et qui ne correspond pas à l’âge de développement de la personne.

Publié dans le n° 344 de la revue


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L' auteur

Sébastien Henrard

Psychologue spécialisé en neuropsychologie avec un diplôme universitaire en diagnostic et prise en charge du TDAH. (…)

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