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Tous narcissiques

Publié en ligne le 12 octobre 2017
Tous narcissiques

Jean Cottraux
Éditions Odile Jacob, 2017, 228 pages, 21,90 €

La mise en évidence des multiples facettes du narcissisme a constitué un thème majeur chez des moralistes – autrement dit des psychologues – du XVIIe siècle. La Rochefoucauld, le plus connu, commençait son recueil de maximes « morales » (1665) – c’est-à-dire relatives aux mœurs – par cette sentence : « Quelque découverte que l’on ait faite dans le pays de l’amour-propre, il y reste encore bien des terres inconnues ». Le psychiatre Jean Cottraux, célèbre pionnier des TCC en France, donne ici accès à une large partie de ces terres.

Le terme « narcissisme » est dû au célèbre sexologue Havelock Ellis, qui qualifiait ainsi une forme d’autoérotisme intense. Le mot a été popularisé par Freud, qui l’utilisait pour désigner un stade de développement situé entre l’auto-érotisme du nourrisson et l’amour « objectal », c’est-à-dire d’autrui. Freud distinguait le narcissisme normal et des formes pathologiques. Le terme est entré dans le célèbre manuel diagnostique américain (DSM) pour désigner une personne caractérisée par un sens grandiose de son importance, une demande incessante d’admiration, l’indifférence aux autres, l’absence d’empathie, l’intolérance aux critiques et aux échecs.

Plusieurs auteurs ont distingué différentes formes de narcissisme pathologique. J. Cottraux adhère à la distinction de ces trois types : le malveillant (se surestime de façon permanente, manipule autrui) ; le fragile, anxieux, dépressif (qui masque souvent un sentiment d’infériorité) ; le compétitif, à haut fonctionnement (énergique, perpétuellement en quête de pouvoir, pouvant réaliser des choses importantes, par exemple dans la recherche ou la politique).

J. Cottraux fait une mise au point de vocables apparentés comme « pervers narcissique », « triade noire de la personnalité » (narcissisme, machiavélisme, psychopathie). Il illustre tous ces concepts par des cas cliniques ou des personnages célèbres comme Hitler, Churchill, Donald Trump. Il aurait pu présenter aussi Jacques Lacan, chez qui on retrouve quasiment tous les critères de la personnalité narcissique selon le DSM-5.

J. Cottraux assure qu’« un peu de narcissisme est nécessaire à la vie et beaucoup de narcissisme peut aider certaines personnes douées à libérer leur créativité ». Il est essentiel d’avoir une bonne estime de soi, mais une très haute estime de soi crée des problèmes relationnels. On constate malheureusement une montée du narcissisme en Occident. Les personnalités narcissiques deviennent de plus en plus nombreuses. La relation avec la Toile contribue sans doute au développement de la génération « Moi-je ». Facebook soutient des déprimés, mais peut aussi, en fonction de jugements d’internautes, démoraliser et pousser au suicide.

Une trentaine de pages sont consacrées à la thérapie du narcissisme problématique. Les personnes très narcissiques consultent rarement un thérapeute. Celles qui viennent en thérapie sont les moins toxiques et peuvent modifier des schémas de pensée. La thérapie est loin d’être facile. Les psychanalystes sont généralement pessimistes. Les cognitivo-comportementalistes ont développé des stratégies relativement satisfaisantes.

Un chapitre porte sur les interactions avec les personnalités narcissiques. Il y a peu de solutions efficaces. En cas de narcissisme malveillant, la meilleure est la fuite.

Enfin, compte tenu du fait que l’éducation joue un rôle important dans le développement du narcissisme (notamment par l’absence de limites, mais aussi par suite de carences affectives), l’auteur consacre une trentaine de pages à une éducation s’inspirant de données de la « psychologie positive » qui s’est développée depuis une vingtaine d’années.

L’ouvrage peut être lu par les non-spécialistes de la psychologie et peut intéresser les professionnels car, à ce jour, il y a très peu de publications valables sur le sujet en français.