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Le "verdict du dodo" dans les psychothérapies

Publié en ligne le 18 novembre 2006 - Psychologie -
par Agnès Lenoire

La revue Sciences Humaines, dans sa rubrique "Comprendre", tente de répondre à la question "À quoi servent les psychologues ?". En vain, semble-t-il. Mais l’article n’est pas vain pour autant. Vous y apprendrez l’évolution du rôle des psychologues scolaires ; vous aurez l’opinion d’une sociologue, Eva Illouz, sur les raisons de la "psychologisation" croissante de nos sociétés, ce qu’elle appelle "l’émergence d’un homo sentimentalis" ; et vous découvrirez à quel point la profusion de l’offre psy induit l’opacité des prestations.
Mais attardons-nous sur un grand encadré qui aborde le problème de l’évaluation des psychothérapies. On y lit que, pendant longtemps, « les études sur l’efficacité des psychothérapies semblaient conclure, comme le dodo d’Alice au pays des merveilles, que “tout le monde a gagné” ».

La nécessité de comparer les résultats des différentes psychothérapies ne date pas d’aujourd’hui. En 1936, l’Américain Paul Rosensweig affirme que les relations avec le thérapeute ou les motivations des patients sont à la fois communes à toutes les psychothérapies et prépondérantes dans le processus de guérison. Il en déduit qu’il n’existe pas de différence notable d’efficacité entre les thérapies. À l’instar du dodo d’Alice, qui annonce, à l’issue d’une course où chacun est parti de n’importe où, que tout le monde a gagné, P. Rosensweig annonce que toutes les thérapies sont à égalité.
C’est en 1952 que ce beau consensus subit son premier revers. Le psychologue Hans Eysenck, après 24 études portant sur la psychanalyse et les thérapies comportementales - dont il est un des pionniers - conclut que si les deux sont proches dans les résultats, il faut moduler ces résultats en tenant compte du fait que la plupart des troubles ne sont jamais chroniques et évoluent spontanément vers la guérison. Comment départager l’action d’une thérapie et celle d’autres facteurs extérieurs ? Il faudra attendre 1975 pour qu’une revue de littérature entreprise par J. Lambert sur le sujet parvienne à la conclusion que 40 % des guérisons peuvent être dues à des causes étrangères à la thérapie.

Aux États-Unis, dans les années 1990, les résultats de nombreuses études se montrent favorables aux thérapies comportementales et cognitives (TCC). En France, ce n’est qu’en 2004 — et l’article précise combien l’inertie est grande dans l’Hexagone pour entreprendre ce type
d’évaluation — que l’Inserm publie ses conclusions : "l’efficacité des TCC est établie pour 15 troubles sur 16, alors qu’elle ne l’est que pour 5 avec les thérapies familiales et pour un seul avec la psychanalyse". L’article de Sciences Humaines expose quelques-unes des virulentes réactions des psychanalystes.

L’article porte des conclusions assez consensuelles : les troubles graves sont l’affaire des psychotropes, les troubles anxieux des TCC, et les troubles du développement comme l’autisme n’ont pas leur solution.
Il ajoute que l’implication du patient est essentielle et conseille de suivre le vieil adage : "Guérir quelquefois, soulager souvent, consoler toujours." On parvient à la dernière ligne de cet encadré, et, tout étonné, on se dit qu’on est revenu au point de départ. Toutes les psychothérapies n’auraient pas les mêmes patients à traiter, mais toutes auraient gagné ! 70 ans après Rosensweig, le "dodo verdict" est toujours là !