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L’Ordre des médecins et l’homéopathie

Publié en ligne le 23 août 2024 - Médecines alternatives -

On se souvient de la tribune initiée le 18 mars 2018 par le collectif NoFakeMed et signée par 124 professionnels de santé dénonçant la reconnaissance officielle de certaines fausses médecines et demandant à ce que ne soient plus autorisés « à faire état de leur titre les médecins ou professionnels de santé qui continuent à les promouvoir ». Elle appelait à une séparation claire entre médecine fondée sur les preuves et pseudo-thérapies et soulignait le fait que « l’ordre des médecins tolère des pratiques en désaccord avec son propre code de déontologie et [que] les pouvoirs publics organisent voire participent au financement de certaines de ces pratiques » [1].

Des médecins qui ont dénoncé les pratiques non scientifiques sanctionnés

En réaction, le Syndicat national des médecins homéopathes saisissait les instances disciplinaires de l’Ordre des médecins. Une suspension d’exercer pendant trois mois et de nombreux blâmes ou avertissements ont été ordonnés en première instance (les chambres disciplinaires sont saisies régionalement et les jugements peuvent varier d’une juridiction à l’autre, certaines ayant même rejeté les plaintes [2]). Les sanctions ont souvent été prononcées pour « non-confraternité » [3, 4], en référence à l’article 56 du code de déontologie qui énonce que « les médecins doivent entretenir entre eux des rapports de bonne confraternité » [5]. L’article 39 qui stipule que « les médecins ne peuvent proposer aux malades ou à leur entourage comme salutaire ou sans danger un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé » et que « toute pratique de charlatanisme est interdite » semble, lui, n’avoir pas pesé bien lourd. Ni l’article 32 qui énonce que « le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins […] fondés sur les données acquises de la science ».

Les médecins sanctionnés ont fait appel et un premier jugement vient d’être rendu (décembre 2023) avec une condamnation définitive à un avertissement [6]. La juridiction ordinale, tout en reconnaissant que « les arguments factuels étayant [la] tribune et l’opinion exprimée participent ainsi du débat sur un sujet d’intérêt général et s’inscrivent dans le cadre de l’exercice de la liberté d’expression », a estimé que le terme « charlatan » excède, dans le ton, « la pondération attendue de médecins lorsqu’ils s’expriment publiquement sur un sujet, même polémique » [7]. Même si l’avertissement est la sanction la plus faible qui puisse être prononcée, cette décision risque de peser sur les médecins qui voudraient à l’avenir dénoncer d’autres pratiques non validées, d’autant plus qu’elle pourrait faire jurisprudence.

L’Accusation secrète, Francesco Hayez (1791-1882)

La frontière entre déontologie de la pratique médicale et débat public

L’Ordre des médecins (tout comme celui des chirurgiens-dentistes ou des sages-femmes) a pour mission, selon la loi (article L4121-2 du Code de la santé publique [8]), de veiller « au maintien des principes de moralité, de probité, de compétence et de dévouement indispensables à l’exercice de la médecine » et à l’observation, par tous ses membres, « des devoirs professionnels, ainsi que des règles édictées par le code de déontologie ». En outre, il contribue « à promouvoir la santé publique et la qualité des soins », assure « la défense de l’honneur et de l’indépendance de la profession médicale ».

Ces missions, précise encore le code de la santé publique, sont accomplies par l’intermédiaire des conseils et des chambres disciplinaires de l’ordre. Il existe ainsi une chambre disciplinaire de première instance par région placée auprès du conseil régional de l’Ordre, et une chambre disciplinaire nationale placée auprès du Conseil national qui sert de juridiction en appel. Les recours en cassation se font au niveau du Conseil d’État. Ces instances sont autonomes. Elles sont présidées par un magistrat et assistées par des médecins assesseurs conseillers ordinaux [9].

Les décisions rendues ne sont donc pas directement celles prises par le conseil de l’Ordre et, d’ailleurs, dans le cas des médecins sanctionnés en première instance, ce dernier a également fait appel. C’est ce qui fait dire au docteur Pierre de Bremond d’Ars, président du Collectif NoFakeMed, que « l’Ordre est instrumentalisé » car, pour la plupart des observateurs, les sanctions apparaîtront comme celles décidées par l’institution. Il souligne cependant que cette dernière a néanmoins « la main sur les textes du code de déontologie » qui servent de base juridique aux jugements rendus. L’Ordre pourrait ainsi, en particulier, réfléchir à une modification de l’article 56 faisant référence à la « confraternité » [7]. Le docteur de Bremond d’Ars regrette par ailleurs que « dans la lutte contre la désinformation, l’Ordre n’a pas soutenu le collectif ni ses membres » et que son président a refusé toutes les demandes de rendez-vous qui lui ont été demandées par le collectif.

Le Témoin confondu, Jean-Louis Forain (1852-1931)

Cette hypothèse d’instrumentalisation a récemment été illustrée par la condamnation (15 février 2024) du docteur Jérôme Marty par la chambre disciplinaire de première instance d’Occitanie. Le docteur Marty, président du syndicat Union française pour une médecine libre, s’est engagé activement contre la désinformation en santé lors de la pandémie de Covid-19. Il a été sanctionné par un blâme pour des propos « de nature à déconsidérer sa profession, en méconnaissance de l’obligation déontologique » (le médecin a fait appel) [10]. La plainte n’avait pas été déposée par des confrères médecins, mais par l’humoriste Jean-Marie Bigard et le chanteur Francis Lalanne qui, comme le rappelle l’avocat de la défense, avaient eux-même tenu « des propos d’une violence inouïe », le premier en faisant « un parallèle entre le pass sanitaire et l’étoile jaune », le second en affirmant « que les médecins qui vaccinent contre le Covid-19 sont des criminels et que les Ordres sont complices de crime contre l’humanité » [10]. Les propos eux-mêmes du docteur Marty peuvent être jugés outranciers ou, comme le défend son avocat, être considérés, une fois remis en contexte, comme « un pamphlet au second degré ». Mais le point important de cette affaire est ailleurs. Comme le suggère une pétition en ligne en soutien au médecin sanctionné : « Les deux plaignants ont soigneusement évité d’attaquer le Dr Jérôme Marty devant les tribunaux, où la jurisprudence sur la liberté d’expression aurait laminé leurs plaintes sans fondement. En choisissant expressément une juridiction d’exception, ils ont mis en place une procédure-bâillon à laquelle l’Ordre a apporté son blanc-seing » [11].

Une des questions soulevées par ces affaires est de savoir dans quelle mesure il est légitime que des personnes soient sanctionnées pour leurs prises de position dans des débats d’ordre public en fonction de critères qui ne sont pas ceux de tous les citoyens, mais de leur statut de médecin. En d’autres termes : où est la frontière entre déontologie de la pratique médicale et débat sur la santé publique ?

Homéopathie : une lente évolution inachevée

En 1974, l’Ordre des médecins a accepté la mention « orientation en homéopathie » comme titre sur les plaques et ordonnances des médecins, accordant un statut dérogatoire à cette pratique en n’exigeant aucun diplôme universitaire pour accorder ce titre [12].

L’Ordre des médecins le reconnaît [12] : c’est la tribune des 124 médecins, initiée par le collectif NoFakeMed, qui a conduit à faire évoluer sa position. Le 22 mars 2018, arguant, à juste titre, que sur les aspects scientifiques, « il ne tire d’aucun texte une compétence institutionnelle pour se prononcer », l’Ordre décide de s’en remettre à l’Académie nationale de médecine, à la Haute Autorité de santé (HAS) et à l’Agence nationale du médicament et des produits de santé (ANSM). Depuis, les deux premiers organismes se sont prononcés.

L’Académie nationale de médecine, dans un communiqué conjoint avec l’Académie nationale de pharmacie publié le 28 mars 2019, confirme le constat qu’elle a déjà énoncé auparavant : « Les méta-analyses rigoureuses n’ont pas permis de démontrer une efficacité des préparations homéopathiques » [13]. Elle demande non seulement le déremboursement des produits homéopathiques, mais également la remise en cause du statut dérogatoire qui leur permet de se soustraire à toute évaluation d’efficacité lors de la demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM). En outre, les deux académies estiment « qu’aucun diplôme universitaire d’homéopathie ne doit être délivré par les facultés de médecine ni par les facultés de pharmacie ».

De son côté, la HAS a publié le 9 juillet 2019 un rapport confirmant l’absence d’efficacité de l’homéopathie, mais aussi plus généralement, son absence d’intérêt pour la santé publique. Les pouvoirs publics ont alors décidé le déremboursement par la sécurité sociale des médicaments et préparations homéopathiques à compter du 1er janvier 2020 [14].

Réunion des médecins de l’université de Paris, enluminure des Chants royaux sur la Conception, attr. au Maître des Puys de Rouen (actif de 1520 à 1530)

L’Ordre des médecins a donc mis fin au statut dérogatoire sur le titre « orientation homéopathique » : à compter du 3 octobre 2019, un médecin qui s’inscrit à l’Ordre (obligatoire pour exercer sa profession) ne peut plus faire référence à cette orientation (mais les médecins déjà inscrits et possédant cette orientation peuvent continuer à en faire état) [12].

Cependant, l’Ordre précise que les médecins peuvent « continuer à prescrire des médicaments homéopathiques à leur patientèle », là où l’Académie de médecine et l’Académie de pharmacie se voulaient plus restrictives. En effet, pour ces deux institutions, s’« il n’est pas contraire à l’éthique ni aux bonnes pratiques d’user de préparations homéopathiques », cela doit se faire dans des situations bien précises : que le recours à une thérapie complémentaire soit « souhaitée », que celle-ci « n’induise pas une perte de chance en retardant la procédure diagnostique et/ou l’établissement d’un traitement reconnu efficace » et « sous condition que le médecin soit conscient qu’il use d’un placebo ». Autant d’éléments majeurs quant aux conditions de prescription que l’Ordre des médecins ne reprend pas à son compte, laissant ainsi accréditer le maintien de son soutien à la pratique charlatanesque en contradiction avec les articles 32 et 39 de son code de déontologie.

Références


1 | Krivine JP, « Homéopathie : Sa popularité n’est pas preuve d’efficacité », SPS n° 324, avril 2018. Sur afis.org
2 | Pommier H, « La plainte des homéopathes contre un médecin de Corrèze a été rejetée », Le Populaire, 29 janvier 2019.
3 | « Nantes : un médecin poursuivi par le syndicat des médecins homéopathes », Le Courrier du Pays de Retz, 4 octobre 2019.
4 | Thibert C, « Des médecins anti-homéopathie jugés pour “non-confraternité” à Paris », Le Figaro Santé, 19 décembre 2019.
5 | « Code de déontologie médicale », édition février 2021. Sur conseil-national.medecin.fr
6 | Agence française de presse, « Un médecin sanctionné en appel par son ordre pour avoir signé une tribune contre l’homéopathie », Le Figaro Santé, 26 février 2024.
7 | Bonin S, « “L’Ordre est instrumentalisé” : sanctionné pour une tribune anti-homéopathie, ce médecin généraliste témoigne », Egora, 23 février 2024. Sur egora.fr
8 | Légifrance, « Article L4121-2 du Code de la santé publique », version en vigueur au 7 mars 2024.
9 | Conseil national de l’ordre des médecins, « La juridiction disciplinaire est chargée de sanctionner d’éventuels manquements commis par les médecins aux règles de la déontologie », La juridiction ordinale, 18 avril 2023. Sur conseil-national.medecin.fr
10 | Haroche Q, « Jérôme Marty sanctionné par l’Ordre pour avoir critiqué des antivaccins ! », JIM, 15 février 2024.
11 | Pétition lancée par collectif médecins, « Défendez le Dr Jérôme Marty, en 1re ligne lors du Covid, condamné injustement », lancée le 22 février 2024. Sur change.org
12 | Conseil national de l’Ordre des médecins, « Les pratiques de soins non conventionnelles et leurs dérives : état des lieux et propositions d’action », juin 2023. Sur conseil-national.medecin.fr
13 | « L’homéopathie en France : position de l’Académie nationale de médecine et de l’Académie nationale de pharmacie », communiqué de presse, 28 mars 2019. Sur academie-medecine.fr
14 | Krivine JP, « L’homéopathie jugée inefficace et sans intérêt pour la santé publique », Avis de la Haute Autorité de santé, SPS n° 330, octobre 2019. Sur afis.org

Publié dans le n° 348 de la revue


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L' auteur

Jean-Paul Krivine

Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (…)

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Médecines alternatives

Médecines douces, médecines alternatives, médecines parallèles… différents termes désignent ces pratiques de soins non conventionnels qui ne sont ni reconnues sur le plan scientifique ni enseignées au cours de la formation initiale des professionnels de santé.

Voir aussi les thèmes : homéopathie, acupuncture, effet placebo.