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Sophrologie, une pseudoscience qui s’invite sur les bancs des écoles ?

Publié en ligne le 20 août 2024 - Médecines alternatives -

Avec la crise Covid de 2020, la santé mentale des enfants et adolescents s’est dégradée. Selon Santé publique France [1], on a constaté début 2021 « une augmentation des passages aux urgences pour geste suicidaire, idées suicidaires et troubles de l’humeur chez les enfants de 11-17 ans (niveaux collège, lycée) ». Fin 2021 et 2022, si les passages pour troubles de l’humeur tendent à retrouver des niveaux comparables à ceux des années antérieures, ceux pour idées et gestes suicidaires restent à des niveaux nettement supérieurs. Ainsi, l’Éducation nationale est directement touchée par ce constat très sombre. Si la crise de la Covid-19 a sa part de responsabilité, la réforme du lycée est également pointée du doigt. Dans son rapport de juillet 2023, une mission d’expertise de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche diligentée par le ministre de l’Éducation nationale [2] souligne que « certaines caractéristiques de la réforme (angoisse liée au choix de spécialités, stress des évaluations constantes) » sont génératrices d’un stress pouvant mener à une hausse de la phobie scolaire.

Pour ces raisons, l’institution autorise la mise en place d’« expérimentations » portant sur la gestion du bien-être des élèves, notamment par le développement des compétences psychosociales, facteur clé de la santé, du bien-être et de la réussite éducative et sociale [3]. La seule précaution mise en avant est « de s’assurer que les formateurs sur ces sujets sont bien outillés, notamment par les ressources nationales, pour éviter d’éventuelles dérives ».

Dans ce contexte, des ateliers pédagogiques pour les élèves et des formations en sophrologie à l’attention des enseignants fleurissent ces dernières années, que ce soit au niveau académique [4] ou national, comme sur la plateforme M@gistère [5].

Il est logique qu’un enseignant délègue sa confiance envers son institution et les pratiques qu’elle recommande dans ses formations. Il semble raisonnable de sa part de penser que cela repose sur une évaluation sérieuse et sur des preuves existantes, à la fois en termes d’efficacité et d’absence de risques pour les élèves. Toutefois, dans le cas de formations aux techniques de sophrologie comme outil de gestion du stress en milieu scolaire, cette confiance estelle attribuée à bon escient ?

La sophrologie : syncrétisme entre phénoménologie et méthodes traditionnelles orientales

Alfonso Caycedo (1932-2017), psychiatre colombien, s’est senti démuni face aux pratiques existantes pour lutter contre les maladies mentales qu’il estimait peu efficaces, voire brutales. Inspiré par l’hypnose, il a entrepris un voyage de formation à de nouvelles méthodes qui l’ont conduit en Suisse où il découvre la « phénoménologie psychiatrique » et en Orient (Inde, Tibet, Japon) pour se former au yoga, à la méditation bouddhiste et au zen japonais, techniques supposées permettre d’atteindre une « modification de conscience ».

Il eut alors l’idée de mettre en œuvre les principes de la phénoménologie appliqués aux individus avec toutes ces approches traditionnelles de recherche du bien-être. Il invente une nouvelle discipline, la sophrologie, qui se présente comme une science dont l’objet d’étude (logos) est la conscience (phrên) en équilibre (sos), avec pour objectif de renforcer la santé et l’harmonie de la conscience.

Qualité épistémique des concepts liés à la sophrologie caycédienne

Une formation est donc proposée aux enseignants par l’Éducation nationale. Natalia Caycedo, fille d’Alfonso Caycedo et présidente de la Sofrocay (Académie internationale de sophrologie caycédienne) y intervient en tant que médecin psychiatre sous la forme de petits podcasts qui décrivent la genèse de cette pratique et son expertise de mise en œuvre en milieu pédagogique.

Le contenu de ce parcours de formation en ligne [5] n’est accessible qu’aux enseignants disposant d’un compte sur le site M@gistère de l’Éducation nationale. Il y est affirmé que la pratique régulière de la sophrologie aurait de nombreuses vertus : meilleure connaissance de soi-même, de son corps, de ses émotions, mais aussi de ses ressources, capacités et valeurs. Grâce au lien vocal, le sophrologue guide le « sophronisé » (terme utilisé par la sophrologie pour désigner la personne qui pratique) vers une meilleure conscience de soi, pour qu’il réalise qu’il a les ressources nécessaires à l’amélioration de sa façon de vivre ses émotions, son sommeil, ses capacités de concentration et de récupération physique et mentale.

L’Espérance, Edward Burne-Jones (1833-1898)

Solution présentée comme omnipotente, la sophrologie est décrite dans la formation comme reposant sur trois principes décrits ainsi par N. Caycedo dans le podcast « Quelques avantages de la sophrologie » [5] : « L’acquisition de la sophrologie phénomène avec soi-même par la pratique qui augmenterait la confiance en nous. Deuxièmement, l’harmonie corps/esprit, c’est essentiel. En fait, on est un tout, le corps est dans l’esprit. […] Le corps, l’esprit et les émotions ont aussi nos propres valeurs. Et l’harmonie, l’équilibre est tout à fait nécessaire [...] On commence à travailler aussi ses émotions pour les gérer, pour travailler les principes positifs en sophrologie, qui sont essentiels, et aussi ses valeurs. Enfin, la capacité d’espoir, donc l’espoir par les choses… Et aussi l’espoir d’un point de vue de l’espérance, c’est-à-dire, que l’espérance est toujours importante à avoir, dans le moment présent et dans le moment futur... » Notons ici le manque de clarté des propos tenus, rendant difficile de comprendre de manière objective ce que pourrait être la sophrologie.

Hélas, la formation ne fournit guère plus d’explications sur la méthode. Si ce n’est quelques vidéos qui proposent de réaliser des activités de « respiration simple » (vidéo intitulée « Balayage corporel ») et d’observer un exemple de « séance en cours » censée définir la sophrologie, d’une durée de seulement quelques minutes en milieu scolaire auprès d’enseignants. Séance qui se conclut par un « un sophro-déplacement du négatif à chaque expiration » suivie d’une « agréable libération des tensions physiques et mentales accumulées dans notre quatrième système ».

À ce stade, nous pouvons noter que le discours s’appuie sur un millefeuille d’affirmations vagues et sur l’emploi de nombreux néologismes comme « sophro-déplacement du négatif », « sophrologie phénomène avec soi-même ». Cela donne une impression de complexité qui empêche de se faire une idée claire des techniques de la sophrologie. Chacun peut alors y trouver une signification en projetant ses propres idées et valeurs. Il peut, paradoxalement, en résulter une illusion de profondeur, de sens, d’idées importantes transmises que nous ne serions pas capables de comprendre, renforçant l’adhésion à la théorie. Ce type d’argumentation trompeuse est parfois appelée « baratin pseudo-profond » ou « effet Gourou » [6].

Si ces néologismes et formulations sibyllines peuvent donner une impression de scientificité, elles ne respectent pas l’indispensable précision du vocabulaire du discours scientifique, garant d’une forme d’objectivité des savoirs. Alors que toutes les théories scientifiques sont interconnectées au sein d’un réseau complexe de connaissances partagées, la sophrologie se place ainsi en situation d’isolement. En outre, ce manque de clarté rend ses concepts difficilement testables par une approche expérimentale, les protégeant des éventuelles contradictions.

Pour terminer, observons que les bases théoriques de la sophrologie restent associées aux seuls écrits de son fondateur, Alfonso Caycedo. Depuis 1960, cette pratique ne s’est pas enrichie d’apports venant d’autres domaines alors que les théories scientifiques sont des constructions collectives qui s’enrichissent au cours du temps et bénéficient souvent du croisement avec d’autres disciplines. La pratique est même devenue une marque déposée depuis 1992 [7].

Ainsi, la sophrologie auto-proclame sa légitimité scientifique, mais aucun élément de son discours ne respecte les contraintes appliquées par la communauté scientifique. Pour autant, existerait-il une efficacité pratique et constatable de la méthode ?

Efficacité de la sophrologie

La sophrologie bénéficie d’une grande popularité. Selon un sondage réalisé en 2019, 60 % des Français « croient à ses bienfaits pour la santé » [8]. Pour autant, popularité ne signifie pas efficacité prouvée. Ainsi, les justifications apportées lors de la formation [5] légitimant l’usage de la sophrologie pour favoriser le bien-être des élèves reposent uniquement sur une accumulation d’anecdotes (N. Caycedo qui arriverait à captiver une classe présentée comme ingérable) ou de témoignages élogieux d’une conseillère pédagogique d’éducation (qui affirme qu’elle n’était « plus en mesure de gérer [ses] émotions, plus en mesure de [se] ressourcer » et que, après la formation elle est « à nouveau en mesure de le faire »), d’enseignants et d’inspecteurs. Il n’est fait aucune mention d’étude scientifique.

Si l’on considère le problème de l’anxiété à l’école évoquée en début de cet article, l’enjeu est d’une trop grande importance pour que l’on se satisfasse de simples affirmations.

Se sentir bien après une séance de « sophrodéplacement du négatif » ne signifie pas pour autant une répercussion réelle sur un état de stress chronique. Et même si un effet positif est constaté, difficile de l’attribuer directement à la sophrologie : il pourrait très bien être dû à un effet placebo (croire en l’efficacité d’une pratique augmente l’efficacité de cette dernière, mais seulement de manière relative et uniquement dans les cas de troubles légers, qui se manifestent toujours par une évolution positive).

Mais surtout, chaque individu est unique et ne réagit pas de la même manière face à un stimulus anxiogène ou à une séance de sophrologie. On ne peut donc pas généraliser le résultat sur quelques personnes à toute une population. Si les témoignages doivent être pris en compte dans l’accompagnement des personnes concernées, ils ne suffisent pas à constituer une preuve d’efficacité en recherche clinique [9]. Celle-ci repose sur des études statistiques rigoureuses. L’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a publié en décembre 2020 un rapport d’expertise évaluant l’efficacité et la sécurité de la sophrologie [10]. Examinant les études scientifiques produites depuis les débuts de la pratique en 1960, il conclut à l’absence de preuve d’efficacité (voir encadré ci-dessous). Cette absence de résultat dans un cadre contrôlé n’est pas mentionnée dans la formation pourtant élaborée après la parution de ce rapport.

La sophrologie évaluée par l’Inserm


« La sophrologie est une pratique psychocorporelle s’appuyant sur des techniques de relaxation associées à des exercices de respiration et à de l’évocation positive, créée et développée en 1960 par Alfonso Caycedo (1932–2017).

Il existe aujourd’hui deux courants principaux en sophrologie :

  1. celui fidèle au fondateur considérant que la sophrologie, en tant que pédagogie de l’existence, ne se situe pas dans le champ de la thérapie mais dans celui de l’accompagnement et dont les bases théoriques ont évolué depuis la création de la sophrologie en 1960 jusqu’à 1995 avec la création de la sophrologie caycédienne, appelée « méthode Caycedo » ;
  2. et une sophrologie généraliste, dont les fondements théoriques se basent sur les principes la création originelle de la sophrologie (avant 1995) et se considérant comme thérapie.

De ce fait, il n’existe plus une mais des sophrologies tant d’un point de vue théorique que pratique.

La sophrologie se propose de soulager un grand nombre de troubles, certains fonctionnels (acouphènes), d’autres psychologiques (anxiété), ou encore d’accompagner des patients atteints de maladies nécessitant des traitements lourds (cancérologie). La sophrologie est assez largement implantée dans le paysage sanitaire français, ce qui rend la question de son évaluation particulièrement sensible.

L’évaluation d’un soin relève d’un long processus, aux nombreuses étapes, chacune contraintes par des enjeux éthiques et méthodologiques forts. Décrire le soin (formation des soignants, contenu des séances ou des produits utilisés) ; expliquer son mécanisme d’action ; étudier son efficacité sur les patients à l’aide d’études qualitatives et quantitatives, ces dernières imposant souvent de comparer des groupes de sujets dont les prises en charges sont tirés au sort ; rechercher avec vigilance ses effets nocifs, souvent sous-estimés : voilà les étapes que toute intervention en santé, qu’elle soit médicamenteuse, chirurgicale ou relevant des « interventions non médicamenteuses » (INM) devrait suivre avec le sérieux méthodologique qui s’impose.

En 2020, la sophrologie ne peut prétendre avoir abordé une seule de ces étapes. Les formations sont hétérogènes, peu encadrées. Le mécanisme d’action de la sophrologie est certes décrit avec force précisions dans de nombreux textes, la théorie sous-jacente n’en est pas moins toujours largement spéculative. Quelques études se sont penchées sur la question de l’efficacité de la sophrologie, trop peu sont méthodologiquement convaincantes et leurs résultats trop hétérogènes pour que l’on puisse affirmer ou infirmer une quelconque efficacité. Enfin, la question des effets indésirables reste en suspens. Les craintes sont certes limitées, mais, par principe, il n’est pas acceptable de rester dans le doute dans ce domaine.

Une telle absence de données d’évaluation est particulièrement regrettable pour un soin aussi répandu. Il est difficile d’en blâmer la seule communauté des sophrologues. Rien n’est en effet organisé à l’échelon national pour aider les praticiens usant d’interventions non médicamenteuses à se lancer dans une démarche évaluative digne de ce nom. À noter cependant que dans les toutes dernières années, un grand nombre d’initiatives isolées ont vu le jour et ont réussi à obtenir des financements pour mieux comprendre et apprécier l’effet de la sophrologie. Il est ainsi possible que dans quelques années l’intérêt de la sophrologie thérapeutique qui semble susciter un certain engouement, pourra être apprécié sur des bases plus rationnelles. » [1]

Pour les auteurs du rapport, cette absence de preuve serait en partie imputable au fait que « rien n’est […] organisé à l’échelon national pour aider les praticiens usant d’interventions non médicamenteuses à se lancer dans une démarche évaluative digne de ce nom ».

Pourtant, une rapide recherche sur PubMed [2] (la base de données que l’Inserm a exploitée dans son étude) et en utilisant les mêmes critères sur la même période, donne accès à 1 328 publications pour la méditation, 2 005 pour le yoga, 1 185 pour le sport en lien avec l’anxiété… contre seulement 121 pour la sophrologie. De même, une consultation de la base de données Cochrane qui rassemble plus de 1 100 méta-analyses sur les thérapies complémentaires ou alternatives [3], on en trouve 228 sur les « intervention esprit-corps » dont 28 sur le yoga, 35 sur la méditation en pleine conscience, 25 sur la relaxation, mais aucune sur la sophrologie. Ceci dénote un manque de vivacité de la théorie de la sophrologie qui constitue un programme de recherche fermé sur luimême et ne suscitant guère d’intérêt de la communauté scientifique internationale. Ce qui est corroboré par le fait que plus de 50 % des études référencées sur PubMed concernant la sophrologie sont publiées en français alors que les études de qualité sont généralement rédigées en anglais.

Références
1 | Soumaya BK et al., « Évaluation de l’efficacité et de la sécurité de la sophrologie », rapport d’expertise du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations, décembre 2020. Sur inserm.fr
2 | Base de données PubMed sur le site des NIH. Sur pubmed.ncbi.nlm.gov
3 | Cochrane Complementary Medicine, “Cochrane reviews related to complementary medicine”. Sur cochrane.org

Si l’absence de preuve n’est pas preuve de l’absence d’efficacité, elle indique en revanche que la sophrologie n’a jamais été en mesure de prouver les bienfaits de sa méthode. À l’heure actuelle, l’Éducation nationale organise donc au niveau national et académique des formations sur une technique de gestion du stress qui ne repose sur aucune validation scientifique et qui s’apparente en réalité à une pseudo-science.

Sans preuve d’efficacité, cette pratique est-elle par ailleurs sans risque pour les élèves ?

Risques liés à la sophrologie

Le rapport de l’Inserm regrette l’absence d’études assez rigoureuses pour statuer sur d’éventuels effets indésirables. Cependant, de l’aveu même de Patrick-André Chéné (Académie de sophrologie de Paris) interrogé dans le cadre de la préparation du rapport, « les effets secondaires sont rares mais possibles : il peut s’agir d’asthénie, de vertiges, d’anxiété, de céphalées ou de sensation de malaise… » Toujours selon l’Inserm, P.-A. Chéné reconnaît que dans les cas de psychoses, la sophrologie est contreindiquée et des précautions sont nécessaires pour prendre en compte la présence d’éventuelles pathologies mentales. Dans ce contexte, l’agence de santé constate qu’il est « impossible à un sophrologue de “diagnostiquer” une psychose à moins que sa formation initiale ne soit dans ce domaine ou qu’il travaille dans une structure avec une équipe de professionnels compétents ».

Allégorie de l’expérience scientifique, Laurent de la Hyre (1606-1656)

Par ailleurs, comme toutes les pratiques médicales alternatives (naturopathie, homéopathie, reiki…), la sophrologie peut faire courir le risque de favoriser le phénomène de retard de soins et de détournement thérapeutique pour des élèves [11].

Enfin, rappelons que l’un des principes de la sophrologie est l’évocation positive. Aussi bienveillante que paraît cette approche, il se pourrait qu’elle puisse parfois s’avérer néfaste pour des élèves en état dépressif ou anxieux [12, 13]. Comme le souligne le rapport de l’Inserm déjà cité : « La question des effets indésirables reste en suspens. Les craintes sont certes limitées, mais, par principe, il n’est pas acceptable de rester dans le doute dans ce domaine. »

Ainsi, il est important de rappeler qu’en France il n’existe pas de cadre légal réglementant la pratique de la sophrologie et qu’elle a fait l’objet de mises en garde de la part de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) dans des rapports en 2003 [14] et 2018 [15]. Cela interroge sur les processus de validation des formations et d’expérimentations au sein de l’Éducation nationale.

À titre de comparaison, en ce qui concerne la méditation de pleine conscience, dont il existe pourtant des présomptions scientifiques d’efficacité, une note du Conseil scientifique de l’Éducation nationale (CSEN) [16] recommande une certaine prudence dans son usage au sein des établissements scolaires (voir encadré) en réservant, par exemple, son usage dans le seul cadre de protocoles de recherche (ce qui serait le sens réel du mot « expérimentation »).

La sophrologie, une pratique qui vous veut du bien ?

L’impérieuse nécessité de trouver une solution au mal-être dans le milieu scolaire rend louable l’intention de former des enseignants à des techniques de gestion de stress pour accompagner leurs élèves. Néanmoins, sachant qu’un des leviers les plus efficaces pour lutter contre le stress est d’agir sur l’environnement comme source d’anxiété [17], le choix de l’Éducation nationale de faire appel à la sophrologie est une fausse solution. Elle peut donner l’illusion aux élèves et aux familles d’une prise en charge. Illusion, car la sophrologie est infondée scientifiquement, sans aucune validation pratique et pourrait même être source de risques pour les élèves.

Parmi les compétences communes que tous les personnels de l’Éducation nationale doivent transmettre aux élèves, figure celle-ci [18] : « Aider les élèves à développer leur esprit critique, à distinguer les savoirs des opinions ou des croyances… » De toute évidence, avec ces formations de sophrologie, l’Éducation nationale se montre peu exemplaire dans le rapport de confiance avec ses enseignants. Quant aux élèves, ils se voient ainsi exposés à des croyances pseudo-scientifiques sans aucune mise en garde, en brouillant les critères qui permettent de distinguer les simples opinions, témoignages personnels, des connaissances justifiées par des preuves solides comme le préconise le rapport du groupe de travail n° 8 « Éduquer à l’esprit critique » du CSEN [19].

Références


1 | Santé publique France, « Santé mentale des enfants et adolescents : un suivi renforcé et une prévention sur-mesure », Bulletin de surveillance de la santé mentale, janvier 2022. Sur santepubliquefrance.fr
2 | Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, « La réforme du lycée général et technologique », Rapport d’expertise, juillet 2023. Sur education.gouv.fr
3 | Santé publique France, « Les compétences psychosociales : état des connaissances scientifiques et théoriques », Rapport de synthèse, octobre 2022. Sur santepubliquefrance.fr
4 | France 3 Île-de-France, « La sophrologie et le yoga, des disciplines qui se pratiquent aussi à l’école », reportage, juin 2020. Sur france3-regions.francetvinfo.fr
5 | Maria C, « Mieux vivre son stress en établissement scolaire », parcours de formation M@gistère, réseau Canopé, octobre 2022, consulté en novembre 2023. Sur reseau-canope.fr
6 | Sperber D, « L’effet Gourou », 16 avril 2009. Sur dan.sperber.fr
7 | Académie internationale de sophrologie caycédienne, « Se former à la sophrologie caycédienne : de la formation fondamentale à la formation supérieure », 2024. Sur sofrocay.com
8 | Odoxa, « Homéopathie & médecines alternatives et complémentaires : les patients et les médecins sont à front renversé », sondage, janvier 2019. Sur odoxa.fr
9 | Haute Autorité de santé, « Niveau de preuve et gradation des recommandations de bonne pratique », état des lieux, avril 2013. Sur has-sante.fr
10 | Soumaya BK et al., « Évaluation de l’efficacité et de la sécurité de la sophrologie », Rapport d’expertise du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations, décembre 2020. Sur inserm.fr
11 | Cordonier L, « Analyse des croyances et comportements d’information des Français liés à leur niveau de connaissances en santé, au refus vaccinal et au renoncement médical », Fondation Descartes, novembre 2023. Sur fondationdescartes.org
12 | Wood J et al., “Positive self-statements : power for some, peril for others”, Psychological Science, 2009, 20 :860-66.
13 | Dziembowska I et al., “The level of self-esteem may influence the effect of positive self-statements : an EEG alpha asymmetry pilot study”, Symmetry, 2021, 13 :1913.
14 | Miviludes, « Les dérives sectaires », Rapport au Premier ministre, 2003. Sur miviludes.interieur.gouv.fr
15 | Miviludes, « Guide santé et dérives sectaires », Rapport, mars 2018. Sur miviludes.interieur.gouv.fr
16 | Ramus F et al., « La méditation de pleine conscience à l’école  », Conseil scientifique de l’Éducation nationale, note n° 8, novembre 2022. Sur reseau-canope.fr
17 | Van Rillaer J, La Gestion de soi : ce qu’il faut faire pour vivre mieux, Mardaga, 2012.
18 | Ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, « Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation », Bulletin officiel, juillet 2013.
19 | Pasquinelli E, Bronner G, « Éduquer à l’esprit critique : bases théoriques et indications pratiques pour l’enseignement et la formation », Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations, rapport de synthèse, 2021. Sur reseau-canope.fr

La méditation de pleine conscience à l’école


« Que penser de la diffusion des pratiques de méditation de pleine conscience dans les écoles françaises ? L’objectif de cette note est de passer en revue les connaissances scientifiques sur leurs effets et de fournir des éléments de réflexion sur les bénéfices et les coûts potentiels associés à leur diffusion.

L’examen des études scientifiques révèle que, chez l’adulte, certaines formes de psychothérapies basées sur la pleine conscience ont prouvé leur efficacité. Chez l’enfant, certaines formes d’interventions, administrées à tous les élèves dans un contexte scolaire, semblent avoir des effets positifs modestes sur les symptômes d’anxiété et de stress. Les effets sur les compétences émotionnelles ou cognitives sont moins bien établis. Par ailleurs, ces interventions en milieu scolaire ne semblent pas poser de risque significatif.

Parmi les problèmes que soulève une éventuelle diffusion de ces pratiques, de nombreux intervenants et formateurs se présentent comme pratiquant la pleine conscience, sans que l’on puisse s’assurer que leurs pratiques soient conformes à celles ayant fait leurs preuves. Si elles ne l’étaient pas, les effets pourraient être nuls, voire dommageables. De plus, la pleine conscience, comme toutes les pratiques de bien-être et de développement personnel, est parfois une composante de mouvements religieux, spirituels, ou sectaires.

Le meilleur moyen de prévenir ces risques est d’exiger que les intervenants aient reçu une formation certifiante à l’une des formes d’interventions ayant une bonne preuve d’efficacité, et exercent cette pratique conformément au protocole évalué.

Les pratiques de pleine conscience à l’école soulèvent encore de nombreuses questions. Leurs effets exacts, leurs conditions de mise en œuvre, les publics qui en bénéficient le plus, restent mal connus. Ces questions méritent des recherches supplémentaires qui devraient donc pouvoir être menées dans des écoles françaises, sous certaines conditions.

En conclusion, le CSEN ne voit pas de raison impérieuse d’interdire la pleine conscience et d’autres pratiques de bien-être dans l’éducation nationale, mais ces pratiques devraient être strictement encadrées. Compte tenu des nombreuses questions restant ouvertes, une possibilité pourrait être d’en limiter pour l’instant l’usage au cadre des recherches scientifiques. Une autre possibilité serait d’autoriser les pratiques sous réserve de conformité aux protocoles scientifiquement validés dans l’état actuel des connaissances. »

Source
Ramus F et al., « La méditation de pleine conscience à l’école », Conseil scientifique de l’Éducation nationale, note n° 8, novembre 2022. Sur reseau-canope.fr

Publié dans le n° 348 de la revue


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L' auteur

Christophe Adourian

Professeur agrégé de science de la vie et de la Terre (SVT). Il est membre du groupe de travail 8 « Éduquer à (…)

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