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Détox : info ou intox ?

Publié en ligne le 9 août 2024 - Médecines alternatives -

Phénomène très à la mode ces dernières années, la « détox » (ou détoxification) est un ensemble de méthodes très variées dont l’objectif serait de débarrasser l’organisme de ses « toxines », des substances mal définies qui s’accumuleraient dans le corps et seraient responsables de toutes sortes de symptômes et de maladies.

Dans le grand public, les cures de détox s’envisagent surtout après les excès alimentaires des fêtes de fin d’année. Elles sont vues comme un moyen de nettoyer le corps, et même de le « purifier », après avoir trop mangé et trop bu. Plutôt que de se priver lors de fêtes ou d’adopter un mode de vie plus sain, ces cures courtes seraient ainsi une sorte de solution ponctuelle aux excès de table.

Vieillard buvant de la tisane, Albert Anker (1831-1910)

Un très grand nombre de cures sont proposées : les plus classiques (celles auxquelles nous nous intéressons ici) font appel à des jus, des tisanes, des compléments alimentaires en gélules et des régimes alimentaires plus ou moins restrictifs (généralement pauvres en graisses, en féculents et surtout en sucres rapides 1, et riches en légumes, notamment en légumes crus), les plus extrêmes faisant appel à des périodes de jeûne plus ou moins longues, des cabines de sudation, des purgatifs variés et des lavements.

Un exemple d’allégations de la détox

« En cas d’excès alimentaires, de consommation d’alcool, de traitements médicamenteux, d’exposition à des polluants ou de déséquilibres alimentaires chroniques, le foie se retrouve débordé et n’assure plus correctement son rôle. L’organisme s’encrasse, la digestion se fait lourde, le métabolisme ralentit et la fatigue s’installe » [1]. C’est l’une des allégations classiques que l’on peut trouver sur Internet.

Certains concepts sont très flous : qu’est-ce que l’« encrassage de l’organisme » ou « un métabolisme ralenti » ? En fait, et c’est très souvent le cas avec la détox (celle des magazines de bienêtre ou celle des vendeurs de compléments alimentaires), beaucoup d’affirmations ne reposent sur aucune réalité tangible. L’organisme et les organes ne peuvent pas s’encrasser ou être ralentis, et les excès de table des fêtes de fin d’année ne peuvent pas « engorger » le foie et l’empêcher de fonctionner normalement. On peut vivre sans problème avec un seul rein ou avec une moitié de foie parce ces organes ont d’importantes marges dans leurs capacités de fonctionnement. L’insuffisance hépatique, par exemple, lorsque le fonctionnement du foie devient insuffisant, est une affection grave qui ne passe pas inaperçue et ne survient qu’après la perte d’une grande partie des cellules (en pratique, on peut survivre même avec la perte d’environ 70 % du foie).

La plupart des allégations de la détox sont du même acabit : « stimule l’élimination et la digestion », « favorise la santé du foie », « draine et rééquilibre l’organisme », ou encore « régénère et purifie le foie ». Cela ne désigne rien de précis ou de mesurable, et donc rien de vérifiable.

Les allégations de santé en droit européen

Si les allégations des régimes détox fournies par des sites Internet ou des magazines ne sont pas vérifiées, celles des compléments alimentaires vendus dans le commerce doivent respecter une réglementation [2]. L’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) sont particulièrement chargées de vérifier la conformité des informations délivrées.

Les allégations thérapeutiques sont interdites : elles sont réservées aux médicaments. Il n’est donc pas légal de vendre un aliment ou un complément alimentaire en affirmant qu’il permet de lutter contre une maladie donnée. Il existe deux types d’allégations autorisées : les allégations nutritionnelles, qui mettent en avant une simple propriété nutritionnelle (par exemple « riche en vitamine C », « faible teneur en graisses », « sans sucres ajoutés ») et les allégations de santé, qui mettent en avant un bienfait général pour la santé (par exemple « le magnésium contribue à réduire la fatigue ») [3].

Ces mentions ne sont autorisées que si elles ont été vérifiées par l’Efsa qui tient à jour un registre [4]. Au 20 février 2024, celle-ci énumère 2 324 allégations de santé dites génériques, dont seulement 262 sont autorisées. La plupart des mentions autorisées concernent des vitamines et des oligo-éléments et aucune ne mentionne la détox ou les toxines.

Le Joyeux Buveur, Frans Hals (c.1582-1666)

Évidemment, il existe des cas de fraudes. La DGCCRF explique que les produits les plus susceptibles de porter des allégations de santé sont notamment les infusions, thés, chocolats, céréales pour petit-déjeuner et produits de la ruche. Sur 300 établissements contrôlés en 2019, des manquements ont été relevés dans 44 % des cas (38 % pour les établissements physiques et 69 % pour les sites marchands sur Internet) [5].

À quoi servirait la détox ?

L’idée derrière toutes ces techniques est de « nettoyer » l’organisme. Mais le nettoyer de quoi ? Les explications sur les fameuses « toxines » qu’il conviendrait d’éliminer sont très variables et généralement très floues. La plupart se contentent d’évoquer les « déchets naturels de l’organisme » (par exemple [6]) ou un « trop plein de mauvais nutriments » (surtout issus de la « malbouffe ») et expliquent que tout cela serait incorrectement éliminé du fait de capacités d’élimination altérées par des maladies ou débordées par une trop grande quantité de « toxines ». Mais dans ce cas, qu’est-ce qu’il faudrait éliminer, précisément ? Le gras et le sucre ? Ce n’est pas très clair.

Certains évoquent des choses plus concrètes, comme les résidus de pesticides ou les métaux lourds [7]. Ils accusent un mauvais mode de vie, mais aussi la pollution liée à notre société moderne industrielle. Ces comportements et cette pollution favoriseraient l’accumulation de substances indésirables.

On s’éloigne du concept de la classique détox d’après-fêtes. Mais rien n’indique que ces cures détox soient efficaces pour éliminer ces substances-là : en 2015, une étude a ainsi fait un état de la littérature scientifique sur l’efficacité des régimes détox pour la perte de poids et l’élimination des polluants et des métaux lourds [8]. Selon les auteurs, ce n’était pas probant : «  À notre connaissance, aucun essai contrôlé randomisé n’a été mené pour évaluer l’efficacité des régimes détox commerciaux chez l’Homme. » Les autres études étaient considérées comme de mauvaise qualité, ou n’avaient été réalisées que chez l’animal.

Enfin, rien de tout cela ne correspond à la définition médicale des toxines. En médecine, ce terme existe, mais désigne des substances toxiques produites par des êtres vivants (des bactéries, mais aussi des champignons, des plantes ou des animaux). Ce sont, par exemple, des toxines qui sont responsables des intoxications alimentaires, mais aussi du choléra et du tétanos. Le concept de « toxines » de la détox, en plus d’être flou, est donc différent de celui de la médecine.

Néanmoins, indépendamment de leur nature précise, les cures de détox permettent-elles vraiment d’éliminer des substances que le corps n’arriverait pas à éliminer correctement sans cela ? Le foie, les reins, par exemple, pourraient-ils être aidés par la cure détox ?

Des reins mieux drainés ?

Le corps élimine en permanence des substances qui ne lui sont pas nécessaires ou qui sont toxiques : déchets du métabolisme ou molécules extérieures. Les reins et le foie sont les principaux organes qui assurent cette fonction. Sans entrer dans le détail, la peau ou les poumons ont aussi un rôle dans l’élimination de différentes substances, mais il s’agit généralement de substances que les reins auraient pu également éliminer.

Les reins sont souvent décrits comme des filtres, mais ils sont en réalité un peu plus que cela. Leur principale fonction est de maintenir l’équilibre de l’eau et du sel dans le corps. L’élimination de déchets est presque secondaire en comparaison. Les reins fonctionnent en plusieurs étapes : dans un premier temps, le passage du sang au travers d’une sorte de tamis permet d’obtenir une première forme d’urine ; des cellules du rein vont ensuite activement récupérer dans ce filtrat les substances utiles passées au travers du tamis (comme le sucre) mais aussi réguler le pH du sang en adaptant les quantités de bicarbonates et de protons sécrétés dans l’urine. Finalement, les substances indésirables sont éliminées et les substances utiles sont retenues. Cela n’est toutefois pas possible dans tous les cas : certaines molécules, trop grosses ou pas assez solubles dans l’eau, ne passent pas au travers du filtre. C’est par exemple le cas de la bilirubine, un déchet de l’hémoglobine.

Circe invidiosa, John William Waterhouse (1849-1917)
Dans cette scène inspirée des Métamorphoses d’Ovide, la magicienne Circé, jalouse de sa rivale Scylla, empoisonne l’eau où elle se baigne afin de transformer la malheureuse nymphe en un monstre hideux.

En détox, les aliments et compléments alimentaires diurétiques sont souvent mis en avant : ils aideraient les reins à éliminer les toxines. Les tisanes diurétiques sont ainsi présentées comme ayant un effet « drainant ». En fait, leur mode d’action ne le permet pas : elles provoquent une plus grande élimination d’eau et de sels, mais n’ont pas d’effet sur l’élimination des déchets du métabolisme ou des substances extérieures. En médecine, les diurétiques sont surtout utilisés pour lutter contre l’hypertension artérielle ou les œdèmes (ces derniers étant une accumulation d’eau et de sels), et pas pour éliminer quelque chose.

D’autres produits censés stimuler l’élimination rénale n’ont pas de mécanisme d’action très clair. Une bonne hydratation, néanmoins, peut effectivement aider les reins dans leur fonctionnement.

Un foie désengorgé ?

Le fonctionnement du foie est nettement plus complexe que celui des reins. Ainsi, s’il est aujourd’hui possible de vivre sans reins grâce à la dialyse, il est absolument impossible de vivre sans foie plus de quelques heures. Aucune machine actuelle ne peut le remplacer : le foie n’est pas un filtre, il contient de très nombreuses enzymes dont l’action est de transformer des substances pour les rendre inoffensives ou pour permettre leur élimination par les reins ou via la bile, et donc dans les selles. La bilirubine, par exemple, est transformée, et cette forme transformée est éliminée dans la bile.

Certaines plantes (comme le pamplemousse ou le millepertuis) ont un effet sur certaines enzymes hépatiques, accélérant ou ralentissant leur activité. Cela peut rendre toxique ou inefficace un médicament. Il ne semble pas y avoir d’avantages à modifier le fonctionnement de ces enzymes, que ce soit chez les personnes en bonne santé ou chez les personnes malades. À noter que les tisanes de millepertuis, utilisées en phytothérapie pour ses propriétés supposées contre l’anxiété ou la dépression, ne le sont pas en raison d’une action sur les enzymes hépatiques. En fait, les aliments et produits le plus souvent mis en avant pour aider le foie, dans les régimes détox, ne sont pas ceux qui ont un effet sur le fonctionnement des enzymes du foie, mais ceux qui sont destinés à augmenter ou accélérer la production de bile. Mais rien n’indique que cela contribue au bon fonctionnement du foie.

Que dit la recherche sur les « désintoxications » et les « nettoyages » ?


« Il n’y a eu qu’un petit nombre d’études sur les programmes de “désintoxication” chez l’Homme. Bien que certaines aient donné des résultats positifs sur la perte de poids et de graisse, la résistance à l’insuline et la tension artérielle, les études elles-mêmes étaient de mauvaise qualité – avec des problèmes de conception, un petit nombre de participants ou un manque d’examen par les pairs (évaluation par d’autres experts pour garantir la qualité).

Une étude de 2015 a conclu qu’il n’existait aucune recherche convaincante pour soutenir l’utilisation de régimes “détox” pour gérer le poids ou éliminer les toxines du corps. Une étude de 2017 indiquait que les jus de fruits et les régimes “détox” peuvent entraîner une perte de poids initiale en raison d’un faible apport calorique, mais qu’ils ont tendance à entraîner une prise de poids une fois qu’une personne reprend un régime alimentaire normal. Aucune étude n’a été menée sur les effets à long terme des programmes de “désintoxication”. »

Source
National Institutes of Health, “‘Detoxes’and ‘Cleanses’ : what you need to know”, septembre 2019. Sur nccih.nih.gov

Comment expliquer l’apparente efficacité de la détox ?

Nous pourrions ajouter d’autres exemples et détailler un peu plus, mais globalement, il ne semble pas que la détox puisse réellement aider le fonctionnement des organes qui éliminent les substances toxiques de l’organisme. Les allégations de ce type ne reposent sur aucune preuve et ces organes n’ont pas besoin d’aide (hormis dans le cas de certaines maladies pour lesquelles un véritable traitement médical est alors requis). Il n’est pas exclu que des produits dits détox puissent avoir un effet bénéfique sur l’organisme, mais pas en aidant les reins et le foie dans leur fonctionnement normal.

Sur Internet, les témoignages d’adeptes des cures de détox satisfaits de leur traitement sont nombreux. Certes, les déçus sont probablement moins enclins à témoigner, créant un biais. Mais il peut exister une autre explication.

En fait, il n’y a rien de surprenant à aller mieux quand on améliore son hygiène de vie. Mais cela n’a rien à voir avec des « toxines » ni avec les capacités d’élimination des reins et du foie. Une alimentation équilibrée et une bonne hydratation, tout comme une activité physique régulière et des habitudes de sommeil saines, sont évidemment bonnes pour la santé de tous les jours, et peuvent aider à calmer certains troubles de la digestion ou à réduire la fatigue.

Les cures de détox qui préconisent ce genre de pratiques peuvent avoir une efficacité apparente, mais les mécanismes impliqués ne sont certainement pas de la détox. Diminuer la consommation d’aliments gras, d’alcool et de café, ou éviter les repas trop copieux, comme cela est souvent conseillé par ces cures, peut suffire pour avoir des bienfaits immédiats.

Conclusion

La détox est-elle efficace ? Tout dépend de ce qu’on entend par détox et des résultats qu’on en attend. Une chose est sûre néanmoins : les concepts présentés par ceux qui vantent la détox sont généralement dénués de tout fondement, et les promoteurs de la détox n’apportent aucune preuve à l’appui de leurs prétentions.

Au milieu de concepts faux ou invérifiables, la détox véhicule parfois quelques bons conseils nutritionnels qui peuvent expliquer au moins en partie les effets ressentis. Néanmoins, aucune autorité de santé ne recommande ce genre de cures courtes. Ce qui est important, c’est d’avoir une alimentation équilibrée au quotidien, pas seulement pendant quelques jours après les fêtes de fin d’année ou avant les vacances d’été. En France, nous consommons par exemple trop d’alcool, de viande rouge, de charcuterie, de graisses saturées, de sucres rapides, et insuffisamment de fruits et légumes, de fruits à coque et de légumineuses [9]. Améliorer cela procurerait surtout des bénéfices pour la santé à long terme (maladies cardiovasculaires, cancers colorectaux, etc.), mais pas uniquement.

Pour toutes ces raisons, il paraît nécessaire d’abandonner l’idée de détox : très floue, partiellement fausse, parfois risquée, et dont les éventuels effets positifs sont plutôt liés à des conseils nutritionnels qui pourraient tout à fait se passer du reste. La détox serait avantageusement remplacée par une meilleure information du grand public sur les recommandations nutritionnelles précises et vérifiées scientifiquement.

Références


1 | Terravita, « Detox active », page web, consultée le 4 mars 2024. Sur terravita.fr
2 | Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, « Compléments alimentaires : présentation générale », 10 décembre 2018. Sur economie.gouv.fr
3 | Autorité européenne de sécurité des aliments, « Allégations nutritionnelles et de santé », consulté le 4 mars 2018. Sur efsa.europa.eu
4 | Commission européenne, “EU register health claims”, consulté le 4 mars 2024. Sur ec.europa.eu
5 | Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, « Infusions, thés, chocolats, céréales, miels : encore beaucoup d’allégations de santé non conformes sur les denrées alimentaires, surtout sur internet », communiqué de presse, 21 juin 2021. Sur economie.gouv.fr
6 | Olisma, « Détox : éliminer les toxines comment et pourquoi ? », consulté le 4 mars 2024. Sur olisma.fr
7 | Envie de bien-être, « Zeolithe détox des métaux lourds, et bien d’autres bienfaits... », blog, consulté le 4 mars 2024. Sur envie-sante.fr
8 | Klein AV, Kiat H, “Detox diets for toxin elimination and weight management : a critical review of the evidence”, J Hum Nutr Diet, 2015, 28 :675-86.
9 | Santé publique France, « Les recommandations alimentaires pour les adultes », site « Manger Bouger », consulté le 4 mars 2024. Sur mangerbouger.fr

1 Les sucres rapides sont des glucides dont l’« index glycémique » est élevé. Cet index exprime la rapidité avec laquelle ce sucre va être assimilé par l’organisme, et va faire s’élever la glycémie (le taux de glucose dans le sang) et donc la production d’insuline.

Publié dans le n° 348 de la revue


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L' auteur

Valentin Ruggeri

Médecin au service de médecine nucléaire du CHU de Grenoble et président de l’Observatoire zététique.

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Médecines alternatives

Médecines douces, médecines alternatives, médecines parallèles… différents termes désignent ces pratiques de soins non conventionnels qui ne sont ni reconnues sur le plan scientifique ni enseignées au cours de la formation initiale des professionnels de santé.

Voir aussi les thèmes : homéopathie, acupuncture, effet placebo.