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Phytothérapie : la santé par les plantes

Publié en ligne le 30 juin 2024 - Médecines alternatives -
MÉDECINES ALTERNATIVES

Ostéopathie, chiropraxie, méditation, hypnose, mésothérapie, auriculothérapie, biologie totale, lypolyse, acupuncture, moxibustion, homéopathie, biorésonance, phytothérapie, thérapie nutritionnelle, réflexologie, naturopathie, aromathérapie, hypnothérapie, sophrologie, thermalisme psychiatrique, jeûne, massages, qi gong, tai-chi… La liste est longue de ce que le ministère de la Santé regroupe sous le terme générique de « pratiques de soins non conventionnelles », aussi appelées médecines alternatives, complémentaires, parallèles, naturelles ou encore douces. La diversité de ces approches est très grande, tant par les fondements théoriques invoqués que dans les techniques mises en œuvre, mais « leur point commun est qu’elles ne sont ni reconnues au plan scientifique par la médecine conventionnelle, ni enseignées au cours de la formation initiale des professionnels de santé » [1].

Cette chronique « Les médecines alternatives » 1 se propose d’examiner ces approches, très en vogue aujourd’hui, que ce soit comme pratique de soins ou de bien-être.

Référence
[1] Ministère de la Santé et de la Prévention, « Les pratiques de soins non conventionnelles : médecines complémentaires / alternatives / naturelles », 20 décembre 2021. Sur sante.gouv.fr

Utiliser des plantes pour soigner est une pratique très ancienne, dont on trouve des traces dès les débuts de l’écriture en Mésopotamie ou en Chine. La plante est rarement utilisée entière : le plus souvent, une ou plusieurs parties de la plante (racines, écorce, feuilles) sont sélectionnées pour les substances particulières qu’elles contiennent.

Aujourd’hui, en France, on distingue les plantes en tant que complément alimentaire (sous la forme de tisanes, comprimés, flacons à boire ou encore gélules) et les médicaments à base de plantes. Rappelons qu’un médicament ne peut être commercialisé sans une autorisation de mise sur le marché (AMM) délivrée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), alors que les compléments alimentaires ne nécessitent qu’un simple enregistrement auprès de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Le complément alimentaire n’est donc pas un médicament, et ne peut pas revendiquer un effet thérapeutique précis [1]. Ajoutons que certains produits à base de plantes bénéficient du statut de médicament à titre dérogatoire, sans avoir à faire la preuve de leur efficacité sur la base d’essais cliniques (voir encadré ci-dessous) [2].

L’autorisation de commercialisation des médicaments à base de plantes


Les médicaments à base de plantes [comme tout médicament] ne peuvent être commercialisés sans une autorisation délivrée par l’ANSM. L’autorisation garantit leur qualité, leur innocuité (sécurité) et leur intérêt thérapeutique (efficacité) dans les indications revendiquées.

Un médicament à base de plantes peut être autorisé selon trois modalités :

  • Dossier complet. La sécurité et l’efficacité du médicament sont démontrées sur la base d’essais non cliniques et cliniques. Une autorisation de mise sur le marché (AMM) est délivrée.
  • Usage médical bien établi. Le demandeur démontre, par référence à une documentation bibliographique appropriée, que la demande porte sur une spécialité dont la ou les substances actives :
  1. sont d’un usage médical bien établi depuis au moins 10 ans en France, dans l’Union européenne ou dans l’Espace économique européen ;
  2. présentent une efficacité reconnue ;
  3. présentent un niveau acceptable de sécurité. Une autorisation de mise sur le marché (AMM) est délivrée.
  • Enregistrement pour les médicaments traditionnels. L’efficacité est considérée comme plausible sur la base de la longue utilisation et de l’expérience. La sécurité est documentée sur la base d’un rapport d’expert et de données de sécurité. Le cas échéant, des essais supplémentaires peuvent être demandés. Un enregistrement est délivré.

Source
Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé, « Réglementation relative aux AMM et Enregistrements : cas particulier des médicaments à base de plantes », 25 mai 2021.

Il convient de souligner que beaucoup de médicaments de la médecine moderne sont issus de plantes, provenant souvent de principes actifs de remèdes de la pharmacopée traditionnelle. Ce sont par exemple la colchicine (issue du colchique) ou les morphiniques (issus du pavot). Citons aussi des substances naturelles qui ne sont plus utilisées telles quelles (par exemple l’acide salicylique issu de l’écorce de saule ou la quinine issue de l’écorce de quinquina), mais dont des dérivés partiellement synthétiques sont encore en usage (respectivement l’aspirine et la chloroquine).

En s’éloignant un peu du monde végétal, on peut aussi citer la découverte de la pénicilline en 1928, une molécule produite par des champignons microscopiques qui a la particularité d’être toxique pour certaines bactéries. Cette découverte a donné naissance aux antibiotiques. Aujourd’hui encore, la plupart d’entre eux sont issus de microorganismes ou dérivent de molécules naturelles.

À partir du XIXe siècle, il a été possible d’isoler et de purifier les principes actifs de nombreux extraits de plantes médicinales, parfois utilisées de très longue date. Au cours des dernières décennies, la nature a continué à être la source de nombreux nouveaux médicaments. Ainsi, pour la période allant de 1981 à 2002, des chercheurs ont déterminé que sur 868 nouvelles petites molécules (c’est-à-dire sans compter les grosses molécules de biothérapies), seules 51 % étaient purement synthétiques : les 49 % autres étaient soit naturelles (6 %), soit directement dérivées de molécules naturelles (27 %), soit synthétiques mais inspirées de structures moléculaires naturelles (16 %) [3].

Néanmoins, lorsque l’on parle de phytothérapie, on pense surtout à l’utilisation des plantes aux vertus médicinales réelles ou supposées, et non pas aux médicaments qui contiennent des molécules naturelles. S’il est possible de prendre de la colchicine en comprimé médicamenteux, avec une efficacité prouvée, pourquoi ne pourrait-on pas utiliser avec des bénéfices équivalents une infusion de bulbe de colchique d’automne qui contient cette même molécule ? L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), dans un avis récent du 19 avril 2023, souligne le risque de confusion lié au fait que « de nombreux compléments alimentaires contiennent des plantes médicinales inscrites dans la pharmacopée française » et que « leur présence dans la composition de ces produits entretient la confusion entre les médicaments à base de plantes et les compléments alimentaires dans l’esprit des consommateurs, mais aussi des conseillers de produits de santé, y compris des professionnels de santé » [4].

Mais quel est le problème avec les plantes médicinales ?

De nombreuses plantes peuvent être dangereuses pour la santé, certaines pouvant même s’avérer mortelles en cas d’ingestion. C’est ainsi le cas, par exemple, de la belladone, du colchique, du datura, de l’if commun ou encore du laurier rose [5]. Dans certains cas, la consommation à petite dose mais sur une longue période peut être nocive.

En fait, une plante médicinale sert à produire un médicament : on l’utilise pour les propriétés pharmacologiques d’une ou plusieurs substances qu’elle contient. Or ces substances, ou d’autres également présentes dans la plante, peuvent avoir des effets indésirables potentiellement graves [6].

Sophonisbe boit le poison, Giovanni Francesco Caroto (1480-1555)

L’Anses a récemment émis une alerte en rappelant que la consommation des compléments alimentaires à base de plante n’est pas sans risques et qu’elle peut « entraîner des effets indésirables parfois graves, comme des allergies sévères ou des atteintes hépatiques potentiellement mortelles » [7]. Parfois, la toxicité vient de la préparation : utilisation de mauvaises parties de la plante, voire de la mauvaise plante. Ainsi, par exemple, dans les années 1990 en Belgique, un remède issu de la pharmacopée traditionnelle chinoise qui contenait la plante Aristolochia fangchi au lieu de Stephania tetrandra a été la cause de nombreux cas d’insuffisances rénales graves et de cancers chez des femmes jeunes [8]. Il existe par ailleurs de nombreux cas de contamination accidentelle par d’autres plantes toxiques récoltées par erreur avec la plante médicinale, ou encore par des métaux lourds ou des micro-organismes (notamment lors du stockage). Ces problèmes-là, évidemment, ne sont pas une conséquence directe de la phytothérapie, mais d’erreurs évitables.

Les effets secondaires existent, il faut donc se poser la question de l’intérêt d’avoir recours à des plantes médicinales comme on le ferait pour n’importe quel médicament. Beaucoup ne possèdent aucune efficacité réellement prouvée (soit parce qu’elles n’en ont pas, soit parce qu’on manque de données) et dans ce cas, la balance bénéfice-risque est forcément mauvaise : pourquoi courir le risque d’un effet secondaire, même peu fréquent et peu grave, s’il n’y a aucune preuve que la plante soit bénéfique ?

Comme pour tout médicament, une évaluation doit pouvoir être réalisée au cas par cas, pour chaque remède dans chaque indication. Mais en ce qui concerne les plantes médicinales dont on sait qu’elles sont efficaces et dont les effets secondaires sont tolérables, il reste encore quelques obstacles à lever avant une utilisation sans risque.

Fiabilité du traitement : exemple de la levure de riz rouge

À quel point peut-on faire confiance à un traitement extrait d’une plante ? Prenons un exemple : la levure de riz rouge que l’on peut facilement acheter en tant que complément alimentaire. Elle est souvent mise en avant comme alternative aux statines, des médicaments extrêmement courants utilisés pour faire diminuer le taux de cholestérol, très utiles dans le cadre des maladies cardiovasculaires. Des patients en consomment donc pour éviter les effets secondaires classiques des statines ou simplement parce qu’ils préfèrent un traitement « naturel » plutôt qu’un médicament.

La levure de riz rouge a-t-elle un effet sur le taux de cholestérol ? Oui : cette levure contient notamment de la monacoline K, une substance qui a effectivement pour effet de réduire la production de cholestérol [9]. Cependant, la monacoline K est… une statine. Elle a même été en 1987 la toute première statine à avoir été commercialisée (sous le nom de lovastatine). Elle a donc évidemment les mêmes effets secondaires que les autres statines.

Les Ramasseuses de riz (détail), Angelo Morbelli (1853-1919)

Mais le problème est ailleurs : quand on prend un comprimé de statine, on sait très exactement ce qu’il contient et ce qu’il ne contient pas. Ce n’est pas le cas avec les plantes médicinales. Une étude ayant testé douze marques de gélules de levure de riz rouge a ainsi montré deux choses [10] : (1) la variabilité entre les lots est considérable (d’un facteur cent : de 0,1 à 10 mg de monacoline K par gélule selon les lots, avec une valeur moyenne de 2,5 mg) et (2) la citrinine, une mycotoxine dangereuse pour les reins, est présente dans un tiers des lots analysés.

Ces problèmes sont fréquents en phytothérapie. La quantité de principe actif dans un poids donné de matière végétale est souvent trop variable pour que son utilisation soit fiable et sûre. La composition d’une plante est complexe et n’est pas toujours bien connue. Elle peut varier selon le sol, le mode de récolte et les conditions de conservation. Le mode de préparation et les parties de la plante utilisées ont aussi leur importance. Il y a donc un risque de sous-dosage ou de surdosage du principe actif, et un risque de présence de substances toxiques.

Ainsi, du point de vue de la sûreté et de l’efficacité pharmacologique, il est préférable de procéder à une extraction et une purification du ou des principes actifs. Si la synthèse chimique de la molécule est réalisable (la molécule synthétisée est indiscernable de la molécule issue de la plante), elle est parfois préférable, par exemple parce que cela peut éviter d’abattre de grandes quantités d’arbres pour les préparations issues d’écorces.

Artemisia annua : les avantages des dérivés synthétiques

Au-delà de la quantité de principe actif, il existe d’autres points à prendre en compte.

Un bel exemple de réussite d’une molécule issue des plantes est celui de l’armoise annuelle (Artemisia annua), qui a permis une petite révolution dans la lutte contre le paludisme, comme le quinquina en son temps. Cette plante issue de la pharmacopée chinoise traditionnelle contient en effet de l’artémisinine, une molécule efficace contre le parasite qui cause le paludisme, et dont la découverte en 1972 a valu le prix Nobel de médecine 2015 à la chercheuse Tu Youyou.

Dans ce contexte, des campagnes ont été menées dans des zones particulièrement touchées par le paludisme pour pousser les populations à cultiver Artemisia annua et à la consommer en tisane. En 2020, l’actrice Juliette Binoche a relayée ces incitations auprès du pape François afin de « faire en sorte que les pauvres puissent cultiver cette plante » [11].

Artemisia annua, Vincent Loosjes (1786-1841)

L’OMS, les agences sanitaires et les sociétés savantes se sont toutes opposées à ces campagnes, et cela pour deux raisons principales. La première est que les feuilles séchées contiennent une quantité faible et variable d’artémisinine et que, de plus, celle-ci n’est pas soluble dans l’eau et se dégrade à forte température, ce qui est peu compatible avec une utilisation en tisane. La deuxième est que l’utilisation d’artémisinine, quand elle est en trop faible quantité, expose au risque d’apparition de résistances. Les agences sanitaires recommandent de ne pas consommer la plante directement, mais d’utiliser ce qu’on appelle les thérapies combinées à base d’artémisinine (ACT en anglais) qui consistent à associer deux molécules antipaludiques, dont une dérivée de l’artémisinine (comme l’artésunate, soluble dans l’eau) [12]. Cela permet d’avoir le principe actif en quantité précise et fiable, et l’association de plusieurs molécules réduit le risque d’apparition de résistances. Pour autant, même encore aujourd’hui, ces médicaments sont le plus souvent fabriqués à partir de la plante : les techniques de synthèse existent mais restent minoritaires [13].

La découverte de l’artémisinine n’est donc pas à mettre au crédit de la phytothérapie, mais plutôt à celui de la pharmacologie moderne et de la médecine conventionnelle qui ont su tirer le meilleur parti d’une substance active naturelle.

Le risque d’interactions médicamenteuses

On a vu dans ces exemples qu’un médicament exploitant une molécule d’origine naturelle a de grands avantages par rapport à la plante médicinale elle-même. Mais il existe un autre problème dans l’utilisation de plantes médicinales : celui des interactions médicamenteuses. Les nombreuses molécules contenues dans une plante peuvent interagir entre elles, avec celles d’une autre plante ou avec celles de médicaments qui seraient utilisées par ailleurs. Et cela concerne tout autant les aliments que les plantes médicinales : par exemple, le chou et les épinards contiennent de la vitamine K, et leur trop grande consommation peut réduire l’efficacité de certains anticoagulants.

De très nombreuses plantes médicinales peuvent ainsi directement ou indirectement diminuer ou augmenter l’effet de médicaments. Il existe des listes d’associations à éviter, pour chaque plante ou chaque médicament. Un des principaux mécanismes est l’effet de certaines molécules sur les cytochromes P450, des enzymes du foie dont le rôle est d’éliminer des déchets du métabolisme et des molécules extérieures à l’organisme. Cet effet peut être inhibiteur ou inducteur. Les inhibiteurs ralentissent le fonctionnement de ces enzymes, et le foie élimine alors moins bien et moins vite les molécules. Dans le cas d’un médicament, il y a donc un risque de toxicité puisqu’il va rester plus longtemps dans le sang, et à des taux plus élevés. Le pamplemousse est un exemple d’inhibiteur enzymatique et il est déconseillé lors de la prise de certains médicaments [14].

Pour les inducteurs, c’est l’inverse : ils accélèrent le fonctionnement des enzymes, et le foie élimine donc plus vite le médicament, avec alors un risque de manque d’efficacité. Le millepertuis est un exemple d’inducteur enzymatique [15].

Même si en pratique, tout cela est rarement un problème, cela peut le devenir avec des médicaments qui doivent être présents à des doses très précises dans le sang. C’est par exemple le cas des médicaments antirejet utilisés chez les patients greffés d’organes, et c’est aussi le cas avec les molécules de chimiothérapie. Ainsi, si un patient consomme des plantes médicinales qui ont un effet inhibiteur ou inducteur enzymatique, sa chimiothérapie risque de n’être pas assez efficace ou au contraire d’être trop toxique [16]. Les services de cancérologie tiennent à jour des listes de plantes médicinales ayant un effet inhibiteur ou inducteur enzymatique : leur utilisation est contre-indiquée en cas de traitement anticancéreux et les patients doivent donc être prévenus.

Les plantes anticancéreuses : mythe ou réalité ?

Beaucoup de patients atteints de cancer et craignant les effets secondaires de la chimiothérapie sont très demandeurs d’alternatives « naturelles ». De nombreuses plantes sont ainsi mises en avant pour leurs effets anticancéreux.

Il est vrai que de telles plantes existent et, d’ailleurs, la plupart des molécules utilisées en chimiothérapie sont d’origine végétale. Contrairement à ce que l’intuition suggère, l’appellation « chimiothérapie » ne désigne pas le mode d’obtention des molécules actives, mais le type de traitement : la chimiothérapie (utilisation de médicaments) se distingue de la radiothérapie (utilisation d’ondes électromagnétiques) et de la chirurgie.

Nature morte aux pamplemousses, Paul Gauguin (1848-1903)

Les médicaments de la chimiothérapie ne sont pas plus « chimiques » que les autres médicaments. En l’occurrence, de nombreuses molécules utilisées de nos jours sont directement extraites de plantes ou dérivés de molécules naturelles. C’est ainsi le cas de la camptothécine extraite du Camptotheca acuminata (aussi appelé « arbre du bonheur » et originaire du sud de la Chine) dont sont dérivés le topotécan et l’irinotécan. De certains ifs, on extrait les taxanes, indispensables contre le cancer du sein et celui de la prostate. De la pervenche de Madagascar, on extrait notamment la vincristine et la vinblastine. Et audelà des plantes à proprement parler, c’est chez des champignons microscopiques qu’on a découvert la bléomycine, les anthracyclines ou encore l’étoposide.

Pour les raisons déjà évoquées, l’utilisation de la plante elle-même est strictement impossible. La toxicité de ces molécules et la gravité d’un cancer rendent inacceptable l’idée d’utiliser un extrait de plante pour lequel on ne connaît pas la dose précise de principe actif. Il est donc impensable d’imaginer utiliser une tisane d’écorce d’if d’Amérique pour traiter un cancer du sein, même si cette écorce contient du paclitaxel, le principe actif d’une chimiothérapie parmi les plus fréquemment utilisés dans le monde.

Contrairement à ce que certains pensent [17], les laboratoires pharmaceutiques ne cachent pas à la population l’existence de plantes anticancéreuses, bien au contraire : ils s’en sont emparés depuis des décennies, et en cherchent en permanence de nouvelles [18]. C’est ce qu’on appelle la bioprospection : chercher notamment dans les plantes tropicales ou les organismes marins des molécules qui pourraient avoir un intérêt médical.

Les évaluations des plantes médicinales


Fondée en 1993, l’association Cochrane se fixe pour objectif de « favoriser la prise de décisions de santé éclairées par les données probantes » grâce à des analyses rigoureuses de la littérature scientifique. Un groupe de travail spécifique a été constitué en son sein pour produire des analyses et des synthèses des essais cliniques existants pour les thérapies « alternatives et complémentaires ». En novembre 2023, 139 études sont rapportées portant sur la phytothérapie [1], avec par exemple, des produits à base de pruneaux africains pour les symptômes urinaires, de camomille pour les règles douloureuses ou les nausées en début de grossesse, de cannelle contre le diabète sucré, de canneberges pour prévenir les infections des voies urinaires, de gingko biloba pour des troubles cognitifs, la démence, la schizophrénie ou encore les acouphènes, de ginseng pour améliorer la fonction érectile ou encore de millepertuis pour traiter la dépression. Dans de très nombreux cas, les effets sont faibles ou inexistants, ou les données disponibles sont trop peu nombreuses ou de qualité insuffisante. Voici quelques exemples.

Le ginseng pour améliorer la fonction cognitive (vieillissement) : « il n’existe pas suffisamment de preuves convaincantes pour établir l’effet bénéfique du ginseng sur la fonction cognitive des participants en bonne santé, et pas assez de preuves de haute qualité pour établir son efficacité chez les patients atteints de démence. »

L’ail contre l’hypertension : « On manque de données pour déterminer si l’ail offre un avantage thérapeutique par rapport au placebo en termes de réduction du risque de morbidité cardiovasculaire et de mortalité chez les patients atteints d’hypertension. »

Valériane et troubles anxieux : « Les preuves sont insuffisantes pour tirer des conclusions sur l’efficacité ou l’innocuité de la valériane par rapport au placebo ou au diazépam pour les troubles anxieux. »

Échinacée contre le rhume : « il n’a pas été démontré que les produits à base d’Echinacea apportent un avantage dans le traitement du rhume, bien qu’il soit possible que certains produits […] aient apporté un faible bénéfice. »

Référence
1 |“Cochrane reviews related to complementary medicine”, 21 novembre 2023. Sur cam.cochrane.org

Illustration anonyme du De Materia Medicade Pedanius Dioscoride
Bien que né Grec vers l’an 40, Dioscoride fut d’abord médecin militaire pour les légions romaines, ce qui lui permit de beaucoup voyager en Europe et ainsi de découvrir la botanique et la pharmacopée de diverses régions. Il en tira un ouvrage monumental de médecine largement basée sur les plantes, qui constitue la base de ce qui allait devenir la science pharmaceutique. Son influence fut considérable et très durable.

Conclusion

Tout cela nous amène au point clé : l’important en médecine, c’est la sécurité et l’efficacité des traitements. Les plantes peuvent fournir des produits efficaces contre de nombreuses maladies. Mais, en pratique, il faut se méfier de l’usage des plantes médicinales en tisane ou des huiles essentielles pour plusieurs raisons : absence de preuve d’efficacité, conditions de récolte, de stockage et de transformation, trop grande variabilité de la concentration des principes actifs, présence possible de composés toxiques et risques d’interactions avec d’autres médicaments, etc.

Enfin, comme pour toute pratique de soins alternative, il ne faut pas oublier qu’un des principaux risques est que des patients, faussement rassurés par l’utilisation de plantes médicinales, se détournent de traitements conventionnels plus efficaces et plus sûrs, et n’en subissent les conséquences pour leur santé voire leur vie.

Références


1 | Anses, « Les compléments alimentaires, nécessité d’une consommation éclairée », 26 mars 2019.
2 | Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, « Réglementation relative aux AMM et enregistrements : cas particuliers, les médicaments à base de plantes », 25 mai 2021.
3 | Newman DJ et al., “Natural products as sources of new drugs over the period 1981−2002”, J Nat Prod, 2003, 66 :1022-37.
4 | Anses, « Avis relatif à l’évaluation de la pertinence de l’application des avertissements et recommandations exprimés dans les monographies de plantes médicinales de l’EMA aux compléments alimentaires contenant ces mêmes plantes », 19 avril 2023.
5 | Anses, « Plantes toxiques en cas d’ingestion », juin 2021.
6 | Posadzki P et al., “Adverse effects of herbal medicines : an overview of systematic reviews”, Clin Med, 2013, 13 :7-12.
7 | Anses, « Compléments alimentaires à base de plantes : vers une meilleure information des consommateurs », 8 juin 2023.
8 | Nortier JL et al., “Urothelial carcinoma associated with the use of a Chinese herb (Aristolochia fangchi)”, N Engl J Med, 2000, 342 :1686-92.
9 | Gerards MC et al., “Traditional Chinese lipid-lowering agent red yeast rice results in significant LDL reduction but safety is uncertain : a systematic review and meta-analysis”, Atherosclero sis, 2015, 240 :415-23.
10 | Gordon RY et al., “Marked variability of monacolin levels in commercial red yeast rice products : buyer beware !”, Arch Intern Med, 2010, 170 :1722-7.
11 | Krivine JP, « Artemisia annua, l’actrice, le professeur et le paludisme », SPS n° 334, octobre 2020. Sur afis.org
12 | Organisation mondiale de la santé, “Utilisation des formes non pharmaceutiques d’Artemisia”, Programme mondial de lutte antipaludique, 2020. Sur iris.who.int
13 | Zhao L et al., “From plant to yeast : advances in biosynthesis of artemisinin”, Molecules, 2022, 27 :6888.
14 | Service public d’information en santé, « Faut-il vraiment éviter le pamplemousse lorsqu’on prend des médicaments ? », 1er décembre 2022.
15 | Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, « Risques liés à l’utilisation du millepertuis », 1er mars 2000. Sur archive.ansms.sante.fr
16 | Fasinu PS, Rapp GK, “Herbal interaction with chemotherapeutic drugs : a focus on clinically significant findings”, Front Oncol, 2019, 9 :1356.
17 | Schwarcz J, “The Cancer conspiracy unveiled”, McGill University, Office for Science and Society, 20 mars 2017. Sur mcgill.ca
18 | Anifowose SO et al., “Efforts in bioprospecting research : a survey of novel anticancer phytochemicals reported in the last decade”, Molecules, 2022, 27 :8307.

1 Dans les numéros précédents : « Qu’est-ce que l’iridologie ? » (SPSn° 346), « L’acupuncture est-elle efficace ? » (SPSn° 345).

Publié dans le n° 347 de la revue


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L' auteur

Valentin Ruggeri

Médecin au service de médecine nucléaire du CHU de Grenoble et président de l’Observatoire zététique.

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