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On n’arrête pas le progrès : un adjuvant biodynamique pour le béton…

Publié en ligne le 21 février 2020 - Dérives sectaires -
Merci à Jean-Pierre Cambier de nous avoir signalé ce « produit révolutionnaire ».

Le béton est, depuis le XXe siècle, le matériau le plus utilisé dans la construction en France. Il présente l’avantage de pouvoir être coulé, directement sur chantier ou dans des usines de préfabrication, ce qui permet de donner des formes diverses et variées aux éléments réalisés. Les moules utilisés sont appelés des coffrages.

Pour sa fabrication, les quatre composants principaux sont le gravier, le sable, le ciment et l’eau. Après mélange de ces éléments, une réaction chimique se produit qui permet de constituer une matrice liant les différents composants solides ; c’est le ciment qui s’hydrate.

Les piles du viaduc de Millau sont, sous le tablier, en béton.© Photo (JQ) prise durant la construction.

Cette réaction ne se produit pas instantanément, ce qui permet de transporter dans des délais raisonnables le béton de son lieu de production à l’endroit où il doit être coulé, par exemple par des camions toupie qui permettent de garder l’homogénéité du mélange. Après coulage et au bout de deux jours de prise, le béton a acquis environ 30 % de sa résistance et c’est à 28 jours qu’on considère sa résistance finale atteinte, même si l’hydratation du ciment se poursuit et permet de gagner encore légèrement en résistance au cours du temps.

Si le béton présente un très bon comportement en compression, il résiste assez mal à la traction. C’est pour cela qu’on lui adjoint de l’acier sous forme de longues barres qui permettent de réaliser des sortes de « coutures » aux endroits où le béton est censé être tendu. On parle alors d’armatures et de « béton armé ». Des fissures peuvent de ce fait apparaître dans le matériau aux endroits où il est tendu, mais ce n’est pas dangereux puisque l’acier est là pour reprendre les contraintes de traction.

Là où les fissures peuvent être problématiques, c’est lorsqu’elles menacent la durabilité du béton : pénétration d’eau, d’agents potentiellement agressifs (chlorures, sulfates, alcalins...), cycles gel/dégel. C’est pour cela qu’on est parfois amené à augmenter la quantité d’acier pour limiter cette fissuration, voire introduire des adjuvants (des produits chimiques ajoutés lors du mélange des constituants) qui vont aider à assurer la durabilité des bétons.

Des produits chimiques ajoutés aux bétons…

Béton coloré © pixabay.com

Ces adjuvants se rencontrent sous forme liquide ou pulvérulente et ne représentent pas plus de 5 % de la masse de ciment du mélange. Ils peuvent avoir des fonctions diverses : retardateurs ou accélérateurs de prise (en fonction, par exemple, de conditions climatiques particulières, de l’éloignement du chantier par rapport à la centrale de fabrication ou de la volonté de décoffrer rapidement les éléments coulés), fluidifiants, entraîneurs d’air pour créer des bétons poreux moins sensibles aux cycles de gel-dégel, hydrofuges de masse pour éviter la pénétration d’eau à l’intérieur du béton… On peut aussi citer les colorants, qui vont permettre d’obtenir des bétons de toutes couleurs, mais qui n’ont d’autre rôle qu’esthétique.

Cette liste n’est pas exhaustive et les derniers progrès réalisés permettent de composer des bétons toujours plus performants, on parle même de bétons à ultra-hautes performances.

Un adjuvant biodynamique

Un nouvel adjuvant peu connu des professionnels aurait néanmoins vu le jour récemment et leurs inventeurs espèrent révolutionner le monde du BTP. Ce composé se dénomme Pneumatit [1] et vu les propriétés alléguées, hors du commun, il mérite qu’on s’y intéresse 1.

Si sa composition est gardée secrète, sa fonction est clairement affichée :  « Pneumatit restaure le lien du matériau béton avec les flux de la vie, comme lorsque le sang circule à nouveau dans un membre engourdi. Voilà pourquoi le béton avec Pneumatit a un effet bienfaisant et stimule les processus physiologiques humains. » Les concepteurs du produit distillent néanmoins quelques informations sur les ingrédients de base servant à sa fabrication :  « Toutes les substances entrant initialement dans la composition de Pneumatit sont naturelles. Citons parmi elles la coquille de Nautilus pompilius 2 et une série de métaux. Chaque substance est choisie en fonction des forces spécifiques qu’elle introduit dans le béton, et nous gardons toujours en perspective l’être humain et le monde qui l’environne. »

Pour la mise en œuvre, 125 millilitres (un verre) de Pneumatit suffiraient à traiter un mètre cube de béton, pour un prix de 20 € (un mètre cube de béton coûte 80 à 100 € en sortie de centrale).

Des arguments scientifiques peu convaincants...

Devant les effets hors du commun attribués au Pneumatit par ses créateurs, on est en droit de demander un haut niveau de preuve. Petite visite sur le site de l’entreprise pneumatit.ch (consulté en janvier 2019).

En prenant appui sur les théories de l’homéopathie (dilutions, dynamisation, etc.), de l’acupuncture (méridiens), de la radiesthésie, on ne peut pas dire que les essais avancés bénéficient d’un bon a priori. Tout cela transpire la pseudoscience et les affirmations gratuites.

Comme pour bien d’autres allégations pseudo-scientifiques, des « docteurs » sont appelés à la rescousse. Ceux travaillant sur la « supraphysique » ou « l’électro-acupuncture » utilisent le traditionnel jargon abscons :  « observation contemplative extérieure avec impressions imaginatives »,  « transmission des impressions sur notre corps éthérique »,  « Le rachis cervical est intégré dans le circuit régulateur articulation temporomaxillaire/oreille ».

Les seuls documents semblant faire appel à une science un tant soit peu établie sont ceux émanant des laboratoires d’essais qui ont testé l’adjuvant Pneumatit comme additif pour la composition des bétons. Au moins, pour ces essais, des protocoles éprouvés existent. Les rapports de Holcim et Eota ont ainsi permis d’évaluer le profil chimique du produit (neutre), ainsi que les temps de prise et la résistance des bétons adjuvantés au Pneumatit. Sans grande surprise, les résultats ne laissent rien apparaître de particulier : toutes choses étant égales par ailleurs, lorsqu’on apporte un élément fin inerte à un béton – et en faible quantité – cela ne modifie en rien ses propriétés.

Bien sûr, en fonction des volumes à mettre en œuvre, des ristournes sont accordées.

Mais pour justifier ce surcoût non négligeable, il faut que les bienfaits soient convaincants. Sur le site dédié à la promotion du produit, un onglet « Science » vise à rassurer le chaland.

La « science » en renfort

Des essais en  « triple aveugle », avec des tests  « psychométriques », d’ « électro-acupuncture », de  « radiesthésie » et d’ « observation supraphysique », auraient permis dès 2012 de démontrer les bienfaits de cette substance sur la  « dimension de l’esprit »

Par chance, ce produit d’action étonnante n’affecte pas la résistance du béton (voir encadré) :  « Pneumatit laisse intactes ses hautes performances mais lui donne en outre, et durablement, une vitalité subtile ». Mais surtout, il resterait neutre pour l’environnement grâce à la combinaison subtile d’homéopathie [2] et d’anthroposophie [3] :  « teinture-mère »,  « dilution »,  « dynamisation »… Logiquement, il a été utilisé par des agriculteurs biodynamistes pour construire une route qui  « part dans le vaste monde ».

Alors que le béton « industriel » est, bien sûr, source de  « mal-être, susceptibilité, nervosité et irritabilité, impression de froid intérieur et d’obscurité, fatigabilité plus rapide, oppression pouvant aller jusqu’à l’état dépressif, douleurs articulaires, maux de tête », Pneumatit, lui,  « stimule les processus physiologiques humains, mais également les fonctions psychologiques et par suite les possibilités de développement de l’homme ».

Des clients et des médias sous le charme !

Vers la grotte, Henry de Groux (1866-1930)

Le site dédié à la promotion du produit fait état d’un nombre important de réalisations 3 et offre pléthore de témoignages attestant de l’action quasi miraculeuse du Pneumatit :  « en comparaison avec le béton normal, on a l’impression d’une présence amicale et réconfortante ».

Ouest-France, dans un article daté du 20 juillet 2018 [4], assure la promotion du produit qui a été utilisé sur le chantier d’un hôtel à Bruz, au sud de Rennes. L’architecte du projet, Philippe Loyer, précise :  « avec ce béton, j’ai le même ressenti de bien-être que dans une construction bois ; c’est un béton réconfortant ». Le responsable de l’hôtel, lui, vise  « la qualité de sommeil » pour ses clients,  « du calme et du bien-être ».

Encore plus étonnant, l’architecte assure que grâce à Pneumatit, le vin stocké dans du béton traité présenterait  « une structure cristallisée différente », ce qui pourrait bouleverser tout autant l’œnologie : les seuls cristaux connus dans le vin sont ceux causant les dépôts, ils sont même traqués par les œnologues.

Pour le sommeil et la structure cristalline, on peut émettre de sérieux doutes, mais en matière d’histoire à dormir debout…

Jérôme Quirant

Références

1 | Le site de l’entreprise Pneumatit pneumatit.ch

2 | Brissonnet J, « Qu’est-ce que l’homéopathie ? », 4 août 2008. Sur afis.org

3 | Rawlings R, « Rudolf Steiner et le charlatanisme. La “médecine” anthroposophique  ». Sur l’ancien site charlatans.info

4 | « Construction. Ce béton, censé apporter du bien-être, est testé à Bruz », Ouest-France, 20 juillet 2018. Sur ouest-france.fr

1 Sauf indication contraire, toutes les citations en italique sont issues du site de l’entreprise, consulté le 11 novembre 2018.

2 Le Nautilus pompiliusest une espèce de nautile (mollusque marin), de la famille des Nautilidae, pourvu d’une coquille spiralée.

3 L’entreprise revendique 13 000 m3de béton traités depuis 2015, ce qu’on pourrait évaluer grossièrement à un équivalent de 26 000 m² de bâti, soit 260 logements de 100 m².