La médecine anthroposophique
Publié en ligne le 6 février 2020 - Dérives sectaires -Les bases théoriques de la médecine anthroposophique sont issues d’une série de conférences données par Rudolf Steiner en 1923 et 1924 et d’une collaboration avec le médecin Ita Wegman (1876-1943), futur cofondateur de la société pharmaceutique Weleda 1. Cette pratique thérapeutique se présente comme une « extension de la médecine scientifique » en incorporant la vision anthroposophique du monde : au-dessus du corps humain physique tel que décrit par la biologie se trouverait le « corps éthérique », le « corps astral » et une entité spécifique aux êtres humains, le « Moi », qui les ferait accéder à la conscience de soi. La maladie apparaîtrait comme un déséquilibre, une perte d’harmonie, entre ces quatre dimensions. La guérison consisterait alors à « libérer l’âme ou l’esprit de l’organisation physique […] ou à traiter le corps éthérique ». Ainsi, par exemple, le diabète est expliqué par une « organisation du “Moi” […] tellement affaiblie qu’elle pénètre dans la sphère astrale et éthérique de telle sorte qu’elle n’est plus en mesure d’appliquer son activité à la substance sucrée ». Et la guérison ne peut être initiée que par le renforcement de l’organisation de ce « Moi » [1].
De nos jours, la médecine anthroposophique continue à se référer aux principes fondateurs décrits par Rudolf Steiner. Ainsi, pour la Fédération internationale des associations médicales anthroposophiques (IVAA), « la santé humaine dépend du corps physique (processus de vitalité et de régénération appelés “organisation éthérique” ou forces de la vie) ; la partie émotionnelle et instinctive de l’être humain (appelée “organisation astrale” ou forces de l’âme) et enfin, la capacité de penser, l’individualité et le sens de soi, (appelée “organisation du Moi”) ». La guérison peut inclure « un diagnostic conventionnel avec une maladie physique ainsi que des déséquilibres notés dans l’un des trois systèmes ci-dessus » 2 [2]. Une version laissant de côté les termes les plus ésotériques, mais très similaire sur le fond, a été présentée par le représentant de la Société savante de médecine anthroposophique (SSMA) lors de son audition en 2019 devant la commission de la Haute autorité de santé (HAS) chargée d’évaluer l’homéopathie : « La médecine anthroposophique considère la santé comme un équilibre individuel dynamique de ces différents niveaux [biologique et physiologique, émotionnel et individuel]. Cet équilibre est soutenu par les processus d’autorégulation. La maladie résulte d’une rupture de cet équilibre » [3].
Selon l’IVAA, en 2012 et au niveau mondial, 3 200 médecins seraient passés par ses formations et pratiqueraient la médecine anthroposophique. En Europe, ils seraient 2 700 et la médecine anthroposophique serait exercée dans 24 hôpitaux [4]. En France, l’université de Strasbourg propose une « formation de base en médecine anthroposophique » dans le cadre de la formation continue [5]. Fidèle aux positions de son fondateur, la médecine anthroposophique exige de ses pratiquants d’avoir d’abord obtenu un diplôme de médecine, mais prétend pouvoir améliorer la pratique en insérant les éléments acquis dans sa vision holistique et mystique du monde.
La pharmacopée anthroposophique se compose de « médicaments potentialisés, fabriqués en utilisant les méthodes homéopathiques officielles ainsi que des préparations concentrées à base de minéraux, de plantes ou d’animaux » [6]. Mais, à la différence de l’homéopathie, ce n’est pas le « principe de similitude » qui est invoqué 3, mais l’action sur l’harmonisation des quatre corps de l’anthroposophie. Le représentant de la SSMA déjà cité précisait ainsi, devant la commission de la HAS : « La pratique de la médecine anthroposophique repose sur la loi d’analogie générale qui permet de mettre en relation un processus intérieur de l’être humain (affections pathologiques ou symptômes) avec une substance thérapeutique issue des règnes de la nature : minéral, végétal et animal » [3].
En France, une partie de la pharmacopée anthroposophique est considérée comme des produits homéopathiques 4 et bénéficie donc du même statut dérogatoire pour son autorisation de mise sur le marché permettant de s’affranchir de toute preuve d’efficacité. Ainsi, par exemple, Viscum album, préparation à base d’extraits de gui fermenté, est un des produits phares de la médecine anthroposophique qui le préconise en cancérologie (elle est commercialisée sous différents noms, dont Iscador). En 2010, l’association Cochrane a procédé à une analyse détaillée de la littérature scientifique (80 études considérées) et constate que les preuves que l’usage « d’extraits de gui aurait un impact sur la survie ou entraînerait une meilleure capacité à combattre le cancer ou à supporter les traitements anticancéreux ne sont pas concluantes » [7]. Une autre méta-analyse publiée en 2019 a examiné 28 études portant sur 2 639 patients et ne trouve « aucune indication pour prescrire du gui aux patients atteints de cancer », que ce soit en termes de survie des patients, de qualité de vie ou de tolérance aux traitements [8, 9].
L’approche thérapeutique de l’anthroposophie inclut également des recommandations diététiques et des composantes corporelles : artthérapie, massages, danses et mouvements. L’eurythmie occupe une place particulière. Initialement développée par Rudolf Steiner comme une nouvelle forme artistique, l’eurythmie a rapidement trouvé sa fonction dans l’approche thérapeutique prônée par le philosophe. Sur scène, elle présente l’être humain en mouvement. Mais « ce n’est pas une forme de danse […], tous les mouvements sont basés sur la nature interne de l’organisation humaine et l’eurythmie apparaît donc comme une véritable révélation de la nature humaine [et] tout l’être humain entre dans le mouvement du corps, de l’âme et de l’esprit ». Pour Rudolf Steiner, en modifiant les mouvements et gestes de l’eurythmie « de telle sorte qu’ils découlent de la nature malade de l’être humain […], nous obtenons une thérapie » dont les résultats observés « sont tels qu’elle peut effectivement être qualifiée de bénédiction dans le contexte de l’approche clinique » [10]. L’eurythmie a aussi trouvé sa place dans la pédagogie et fait partie du programme des écoles Steiner-Waldorf.
La médecine anthroposophique se fonde sur une vision mystico-religieuse de l’Homme qui n’a pas sa place dans une médecine fondée sur les preuves. Elle apparaît sans valeur thérapeutique ajoutée et porte le risque de détourner les patients d’un traitement efficace ou de l’aiguiller sur un mauvais diagnostic.
1 | Steiner R, Wegman I, Extending Practical Medicine : Fundamental Principles Based on the Science of the Spirit, Rudolf Steiner Press, 2000, 5e édition révisée.
2 | Site de l’IVAA (Internationale Vereinigung Anthroposophischer Ärztegesellschaften, Fédération internationale des associations de médecine anthroposophique), ivaa.info
3 | Haute autorité de santé, « Synthèse des contributions reçues dans le cadre de la réévaluation des médicaments homéopathiques », 9 juillet 2019. Sur has-sante.fr
4 | IVAA, “Facts and Figures on Anthroposophic Medicine Worldwide”, juillet 2012. Sur ivaa.info
5 | Formation JLE19-0367A, site de la formation continue de l’université de Strasbourg, sfc.unistra.fr
6 | International Association of Anthroposophic Pharmacists, “Anthroposophic pharmaceutical Codex”, 2017 (4e edition). Sur farmantropo.com.br
7 | Association Cochrane, « Traitement à base de gui chez les patients cancéreux », 4 avril 2010. Sur cochrane.org/fr/
8 | Freuding M et al., “Mistletoe in oncological treatment : a systematic review. Part 1 : Survival and safety”, J Cancer Res Clin Oncol, 2019, 145 :695-707.
9 | Freuding M et al., “Mistletoe in oncological treatment : a systematic review. Part 2 : Quality of life and toxicity of cancer treatment”, J Cancer Res Clin Oncol, 2019, 145 :927-39.
10 | Steiner R, Wegman I, Extending Practical Medicine : Fundamental Principles Based on the Science of the Spirit, Rudolf Steiner Press, 2013.
1 Weleda, fondée en 1928, commercialise des cosmétiques et des préparations pharmaceutiques selon les préceptes de la médecine anthroposophique.
2 Traduction par nos soins.
3 Principe selon lequel une substance provoquant un symptôme donné chez une personne en bonne santé guérira la maladie provoquant le même symptôme chez un patient atteint.
Publié dans le n° 330 de la revue
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L' auteur
Jean-Paul Krivine
Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (…)
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