Accueil / Intégrité scientifique / Les rétractations d’articles : une bonne chose pour corriger la littérature scientifique

Les rétractations d’articles : une bonne chose pour corriger la littérature scientifique

Publié en ligne le 28 août 2024 - Intégrité scientifique -
La commission « Intégrité scientifique » est animée par Hervé Maisonneuve et composée de Charles Kappenstein, Jean-Paul Krivine, Thierry Lefebvre, Ambroise Martin et Anne Perrin.

Retraction Watch [1] est un blog fondé en 2010 qui commente les méconduites dans le système des publications scientifiques. Il tient à jour une base de données qui contient aujourd’hui les références de plus de 40 000 articles retirés ou ayant fait l’objet de mises en garde. Des outils permettent d’effectuer des recherches selon plusieurs critères : nom d’auteur, année, journal, pays, thème, etc. Un classement des chercheurs en fonction du nombre d’articles rétractés présente les 31 chercheurs les plus concernés. Il met l’anesthésiste allemand Joachim Boldt en première position, avec 194 rétractations. Les derniers de cette liste ont eu chacun 28 articles rétractés. D’une manière générale, il semble que les hommes sont plus susceptibles de commettre des fraudes scientifiques et sont ainsi sur-représentés dans la base de données [2]. Retraction Watch diffuse par ailleurs une lettre quotidienne d’information.

Les mécanismes de rétractation

Les publications rapportant des résultats faux ou douteux occupent une place croissante dans la littérature scientifique. Science et pseudosciences avait déjà abordé cette question sensible en décrivant les trois possibilités pour le rédacteur en chef d’une revue scientifique : l’erratum pour signaler et corriger des erreurs mineures ne mettant pas en cause la validité de l’article ; la mise en garde (expression of concern en anglais) pour informer les lecteurs qu’une investigation est en cours pour un article, à la suite, en général, de signalements par des lanceurs d’alerte ou des pairs ; la rétractation (retraction en anglais) quand des méconduites ont été soit reconnues par les auteurs, soit démontrées [3]. Dans ce dernier cas, la démonstration doit être faite par une enquête d’une ou plusieurs institutions ou par des experts indépendants nommés par le rédacteur en chef. La rétractation est une procédure d’invalidation de l’article et est décidée par le rédacteur en chef de la revue [4]. Il ne rétracte un article que s’il a des éléments probants (venant des auteurs eux-mêmes, d’institutions ou d’experts indépendants) ou s’il reconnaît une erreur de la revue (par exemple, manipulation de l’évaluation par des relecteurs).

La rétractation nécessite le respect de procédures bien codifiées : disposer des éléments de preuve, publier une notice expliquant les motifs de rétractation, ajouter la mention Retracted en surimpression (en rouge le plus souvent) sur la page Internet de l’article et sur la version pdf, et créer des liens vers la notice de rétractation à partir de la citation dans les bases de données. L’article rétracté doit rester disponible, notamment pour les archives de la science. Certaines revues font disparaître de leurs sites Internet les articles rétractés, mais ce n’est pas conforme aux bonnes pratiques.

Dans certains cas, si des corrections majeures sont possibles, l’article peut être republié dans une nouvelle version et en rendant explicites les modifications apportées [5]. Cette pratique vertueuse de republication est rare. Elle ne doit pas être confondue avec la méconduite d’auteurs qui publient dans une autre revue leur article rétracté [6]. C’est par exemple le cas du chercheur Gilles-Éric Séralini dont l’article « Toxicité à long terme d’un herbicide Roundup et d’un maïs génétiquement modifié tolérant au Roundup », publié en 2012 par la revue Food and Chemical Toxicology puis rétracté, a été ensuite republié par la revue Environmental Sciences Europe en 2014.

La revue Nature a fait le point en décembre 2023 sur ce sujet des rétractations [7]. Dans l’année écoulée, elle a identifié plus de 10 000 rétractations, témoignages de scandales (comme celui de l’éditeur Wiley et de sa filiale Hindawi – voir plus loin) et de l’activité des paper mills (usines à articles). Il s’agit de sociétés privées qui proposent à des chercheurs, moyennement finances, de signer des articles « clés en main », déjà rédigés. Les pays dont les chercheurs ont le plus fort ratio d’articles rétractés sont l’Arabie Saoudite, le Pakistan, la Russie, la Chine et l’Égypte.

Ivan Oransky, co-fondateur de Retraction Watch (et également rédacteur en chef de Spectrum et distinguished writer in residence au Carter Journalism Institute de l’université de New York), a accordé un entretien à l’Office français de l’intégrité scientifique (Ofis), reproduit dans son infolettre de juin 2023 [8]. Nous reproduisons ici une partie de cet entretien. Il est à retrouver en intégralité sur le site de l’Ofis (propos recueillis et traduits par Hélène Le Meur).

« L’augmentation des rétractations d’articles est une bonne chose »

Ofis : Retraction Watch scrute les rétractations d’articles scientifiques depuis 2010 : quelles tendances observez-vous ?

Ivan Oransky : Les rétractations restent des événements assez rares : elles concernent un article sur mille environ. Mais elles sont cent fois plus nombreuses aujourd’hui qu’il y a vingt ans. On en recensait une quarantaine en 2000 et près de 5 000 en 2022. Selon nos observations, cette augmentation n’est pas seulement liée à celle du nombre de publications, car elle progresse plus vite. Elle s’explique principalement par une communauté bien plus compétente aujourd’hui pour détecter les problèmes dans les articles, notamment grâce aux outils numériques et au fait que les journaux sont en ligne. Une plateforme telle que PubPeer 1 n’était pas envisageable à la fin des années 1990 ou même au début des années 2000. Cette augmentation des rétractations est donc une bonne chose au sens où elle signifie que la littérature scientifique est mieux corrigée qu’avant. Mais elle ne l’est pas encore assez.

La rétractation d’un article reconnu problématique prend beaucoup de temps : pourquoi ?
Le délai est encore bien trop long même si la situation s’améliore. Un certain nombre d’articles sont rétractés bien plus rapidement aujourd’hui mais d’autres mettent encore plusieurs décennies à l’être. En moyenne, il s’écoule environ trois ans entre la publication et la rétractation. Le problème principal est le manque d’incitations. Nous sommes encore dans un environnement qui n’encourage pas les différents acteurs à rétracter un article problématique : évalués sur leurs publications, les auteurs ont tendance à ne pas rétracter parce qu’ils craignent pour leur réputation ; les personnes qui constatent un problème dans une publication hésitent à en faire part : elles ont peur de toucher à plus que l’article, de remettre en question les auteurs eux-mêmes, leur carrière, leur gagne-pain ; pour les journaux scientifiques, rétracter un article publié les force à admettre que leur procédure d’examen par les pairs a failli. Quant aux universités ou autres institutions de recherche, c’est aussi sur les publications que repose leur réputation. C’est sur cette base qu’elles sont classées dans les classements internationaux, qu’elles obtiennent des financements. Il n’est donc pas très surprenant que personne n’ait vraiment envie de rétracter une publication. Sans oublier un autre facteur dissuasif qui est la crainte de poursuites en justice 2.

Aujourd’hui, ne pensez-vous pas que l’argument de la réputation peut aussi jouer dans l’autre sens : reconnaître et corriger les erreurs de manière transparente, n’est-ce pas meilleur pour une renommée ? Auteurs, maisons d’édition ou établissements de recherche n’ont-ils pas tous à y gagner ?

La Correction, Albert Guillaume (1873-1942)

Je pense que nous sommes encore un peu loin de ce changement de culture pour les motifs évoqués précédemment. Mais il y a aussi des raisons d’être optimiste. Par exemple, des études se sont intéressées au taux de citation d’auteurs ayant rétracté leurs articles, considérant ce paramètre comme un indicateur de la réputation d’un chercheur. Dans le cas de rétractations liées à de mauvaises pratiques, on constate effectivement une baisse des citations. Mais lorsque les articles ont été rétractés à cause d’erreurs honnêtes, le taux de citation de ces auteurs n’en pâtit pas. Quant aux éditeurs, il en va à long terme de leur survie. Cela reste difficile pour leur réputation de reconnaître que l’évaluation par les pairs est défectueuse. Le faire est donc courageux. Mais c’est encore pire de continuer à protéger des systèmes frauduleux. À ce titre, l’exemple récent du groupe d’édition Wiley est intéressant. Ils ont coup sur coup décidé de rétracter des centaines d’articles publiés chez Hindawi, éditeur en accès libre acquis par le groupe en 2021, puis de suspendre la publication de numéros spéciaux d’Hindawi. L’affaire a fait grand bruit, leur cours en bourse a chuté et ils ont perdu neuf millions de dollars. Ce qui a fait dire à certains observateurs que personne ne suivrait le mouvement. Ce n’est pourtant pas le message à retenir, certes c’est le prix à payer aujourd’hui mais, ce faisant, ils s’en sortiront mieux à l’avenir.

Comment mieux corriger la littérature scientifique ?
Il y a beaucoup à faire, mais je vois deux priorités. La première est d’investir dans la correction des publications et les services d’intégrité scientifique en embauchant des experts, titulaires d’un doctorat par exemple, dédiés à ce travail. Aussi bien chez les éditeurs que dans les établissements de recherche ou chez les bailleurs de fonds. Aujourd’hui le constat est partout le même : les ressources numériques et les outils existent, ce sont les personnes qui manquent, même dans les pays dotés de bonnes réglementations. Les éditeurs qui ont commencé à faire cet investissement ont vu le nombre de rétractations augmenter et les délais de rétractation diminuer. Les notices qui accompagnent les rétractations sont également plus claires sur les motifs de rétractation.

La deuxième priorité, plus importante encore à mon sens, est de changer les incitations. Nous devons nous interroger sur les moyens de récompenser les bons comportements de recherche – partage des données, reproductibilité des résultats, collaborations, etc. – pour soutenir une science saine, plutôt que de nous focaliser uniquement sur les produits de la science que sont les articles scientifiques. Il nous faut parvenir à encourager une recherche responsable qui ne génère pas toujours plus d’articles et qui ne rende pas toujours plus difficile la reconnaissance de ses erreurs.

Commission « Intégrité scientifique » de l’Afis

Références


1 |The Retractation Watch Database”. Sur retractiondatabase.org
2 | Oransky I, “Are men more likely to commit scientific fraud ?”, Retractation Watch, 22 janvier 2013. Sur retractionwatch.com
3 | Maisonneuve H, « Gérer les erreurs dans les publications scientifiques », SPS n° 343, janvier 2023. Sur afis.org
4 | Maisonneuve H, « La rétractation des publications scientifiques », SPS n° 320, avril 2017. Sur afis.org
5 | Cagney H et al., “Retraction and republication : a new tool for correcting the scientific record”, European Science Editing, 2016, 42 :3-7.
6 | Committee on Publication Ethics, “Retractation guidelines”, novembre 2019. Sur publicationethics.org
7 | Van Noorden R, “More than 10,000 research papers were retracted in 2023 : a new record”, Nature, 2023, 624 :479-81.
8 | Office français de l’intégrité scientifique, Infolettre n° 6, juin 2023. Sur ofis-france.fr

1 Pubpeer est une plate-forme en ligne qui permet de diffuser des commentaires ou d’émettre des soupçons sur des articles publiés [NDLR].

2 Le Committee on Publication Ethics a publié des lignes directrices conseillant aux éditeurs d’expliciter les conditions de rétractation pour se couvrir au mieux des procès que pourraient intenter des auteurs insatisfaits (voir référence [6]) [NDLR].