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Intégrité et neutralité scientifiques dans le débat démocratique

Publié en ligne le 12 avril 2024 - Intégrité scientifique -
Éditorial de Science et pseudo-sciences n°348 (avril 2024)
Intégrité et neutralité scientifiques dans le débat démocratique

Les connaissances scientifiques permettent d’éclairer de nombreuses questions cruciales qui se posent à nos sociétés : changement climatique, alimentation, menaces sur la biodiversité, santé publique, etc. Elles sont également à l’origine de réalisations technologiques qui peuvent aider les humains à affronter les problèmes rencontrés (énergies décarbonées, vaccins, biotechnologies, etc.). C’est probablement pour toutes ces raisons que la confiance dans la science reste très élevée [1] : elle est perçue comme apportant une contribution objective à la compréhension du monde et offrant des outils qu’il s’agit de savoir utiliser à bon escient. La confiance accordée aux scientifiques est également très forte : ceux-ci sont perçus comme porteurs de cette légitimité scientifique.

Mais cette situation est fragile et ce pacte de confiance repose sur la perception d’un processus de production qui respecte honnêteté et rigueur : c’est ce qu’on appelle l’intégrité scientifique [2]. Par ailleurs, au regard de l’importance des dimensions scientifiques dans certaines controverses, il suppose également le respect de la neutralité des faits scientifiques par ceux qui s’en font les relais 1 : ne pas leur attribuer des valeurs ou des dimensions prescriptives.

Le débat démocratique, c’est le choix des valeurs et les moyens que l’on se donne pour les mettre en pratique. Intégrité et neutralité des faits scientifiques sont des conditions sine qua non de la légitimité de la parole scientifique dans ce débat.

La pandémie de Covid-19 a illustré le premier point de façon particulièrement aiguë : la promotion de traitements illusoires et dangereux sur la base d’études mal conduites et de pratiques non éthiques a non seulement brouillé l’image de la science, mais a également été responsable de nombreuses morts évitables [3].

Quant à la neutralité du discours scientifique, force est de constater qu’elle est contestée. Pour certains, « l’injonction à tenir un discours scientifiquement neutre vis-à-vis des enjeux sociétaux [le] dépossède de toute influence » [4]. En réalité, c’est l’inverse : en attribuant un contenu éthique ou politique aux résultats scientifiques, on les prive de leur force dans le débat public en les ramenant à de simples arguments partisans.

Dans la lignée du philosophe David Hume (1711-1776) et du sociologue Max Weber (1864-1920), ce principe de neutralité énonce qu’ « il n’est pas possible – il est logiquement interdit – de passer dans un raisonnement du fait à la valeur » [5]. Vouloir asseoir le bien-fondé de valeurs sur des présupposés scientifiques, c’est prendre un double risque : que la science invalide ces présupposés, mais aussi que la parole scientifique soit affaiblie.

Science et pseudo-sciences
Références

1 | Cevipof, « En quoi les Français ont-ils confiance aujourd’hui ? Premiers résultats », Le baromètre de la confiance politique, Sciences Po, février 2024. Sur sciencespo.fr

2 | Office français de l’intégrité scientifique, « Qu’est-ce que l’intégrité scientifique ? », site consulté le 5 mars 2024. Sur ofis-france.fr

3 | Pradelle A et al, “Deaths induced by compassionate use of hydroxychloroquine during the first COVID-19 wave : an estimate”, Biomedicine & Pharmacotherapy, 2024, 171 :116055.

4 | « Manifeste de l’Atelier d’écologie politique toulousain », Hypotheses, 2023. Sur atecopol.hypotheses.org

5 | Descombes V, Le Raisonnement de l’ours et autres essais de philosophie pratique, Seuil, 2009.

1 Bien entendu, le scientifique en tant que citoyen a ses propres convictions, mais il se doit, dans son expression publique, de bien préciser quand c’est le citoyen qui s’exprime. Par ailleurs, les orientations de la recherche, les applications de la science ou encore les budgets alloués relèvent bien de choix humains et sont, par essence, discutables.