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Les prescriptions hors autorisation de mise sur le marché

Publié en ligne le 24 février 2024 - Santé et médicament -

Les prescriptions hors autorisation de mise sur le marché (AMM) sont estimées à 20 % du total des prescriptions. Certaines sont injustifiées et inacceptables car inutiles, voire dangereuses. En revanche, d’autres sont justifiées et correspondent à différentes situations : AMM non mises à jour et en décalage avec les données récentes de la science, AMM non adaptées à certaines populations de patients, notamment en pédiatrie, etc. Conscient de la nécessité pour le médecin, dans certaines situations cliniques, de prescrire hors AMM, le législateur a prévu un encadrement réglementaire, largement refondu en 2021.

L’AMM est en quelque sorte une licence d’exploitation qui va permettre de commercialiser un médicament. Par ailleurs, l’AMM apporte au prescripteur une caution réglementaire concernant le rapport bénéfice/risque favorable du médicament au moment où elle est octroyée.

L’autorisation de mise sur le marché

Le dossier d’AMM
Le demandeur d’une AMM doit déposer un dossier comportant des données sur la qualité chimique, biologique et microbiologique du médicament, sur son efficacité (indications visées, c’est-à-dire la ou les maladies ciblées, le profil des patients et la posologie recommandée) et sa sécurité (effets indésirables) [1].

Ainsi, il est important de rappeler qu’une AMM n’est pas accordée pour un médicament en général, mais pour un médicament dans le cadre du traitement ou de la prévention d’une ou plusieurs maladies chez certains profils de patients et selon une posologie bien définie. Toute prescription qui se ferait en dehors de ce cadre sera « hors AMM ».

L’évaluation du risque acceptable est fonction de la gravité de la maladie. Pour un médicament efficace sur une maladie grave pour laquelle il n’existe pas d’autre traitement, on accepte un risque plus important d’effets secondaires que pour un médicament qui agit seulement sur les symptômes d’une maladie bénigne. Dans ce dernier cas, le risque doit être négligeable même si, comme pour tout médicament, les effets indésirables ne peuvent pas être exclus.

Ce rapport bénéfice/risque doit toujours être rapporté à une indication thérapeutique (c’està-dire la maladie ou les symptômes que le médicament est capable de traiter, ou le diagnostic qu’il permet d’établir). Ainsi, le rapport bénéfice/risque de l’hydroxychloroquine établi dans le cadre de son AMM (traitement de certains types de rhumatismes et de certaines maladies de la peau) ne pouvait pas être extrapolé à la Covid-19, puisque l’efficacité de cette molécule pour cette nouvelle indication n’a jamais été prouvée par des études cliniques comparatives selon les normes internationales. Les effets indésirables, s’ils pouvaient être acceptables dans le cas des indications de son AMM où le médicament est efficace, n’étaient pas acceptables dans le cas de la Covid-19.

Les procédures d’AMM
Dans l’Union européenne, quatre procédures pour obtenir une AMM coexistent : une procédure nationale (l’autorisation ne sera accordée que dans le pays) et trois procédures européennes (reconnaissance mutuelle, procédure centralisée et procédure décentralisée) [1].

Le cas particulier de l’AMM conditionnelle
S’agissant d’une maladie grave, attendre l’ensemble des résultats sur le long terme pourrait représenter une perte de chance pour les malades. Une AMM conditionnelle peut alors être accordée au niveau européen lorsque le médicament répond à des besoins médicaux non satisfaits dans le cas de maladies graves bien que les données cliniques complètes concernant sa sécurité et son efficacité n’aient pas été fournies [2]. Les données du dossier d’AMM présentées aux autorités d’enregistrement doivent cependant permettre de conclure que le rapport bénéfice/risque est favorable. L’entreprise devra fournir les données complémentaires dans un délai fixé par l’Agence européenne du médicament (EMA) pour confirmer ce rapport favorable.

Contrairement à ce qui a été souvent affirmé pendant la crise sanitaire de la Covid-19, les vaccins qui ont bénéficié de cette procédure n’étaient pas des médicaments expérimentaux et il était légitime d’octroyer une AMM conditionnelle sans attendre les résultats complets sur l’efficacité à long terme. Nous savons que cette procédure a permis d’éviter un nombre considérable de morts [3].

L’AMM : un document administratif qui répond imparfaitement aux besoins

L’AMM, au moment où elle est octroyée, est une garantie de qualité, d’efficacité et de sécurité pour le prescripteur. Toutefois, si les données de sécurité font régulièrement l’objet d’une mise à jour, ce n’est pas obligatoirement le cas des autres rubriques de l’AMM. Les demandes d’extension d’indications sont à l’initiative du titulaire de l’AMM (et à ses frais, ce qui peut expliquer qu’il ne le fasse pas toujours, ou pas dans tous les pays).

Par ailleurs, les standards exigés pour l’enregistrement évoluent au cours du temps. Ainsi, il est probable que la très grande majorité des médicaments actuellement sur le marché, qui ont obtenu leur AMM il y a une vingtaine d’années, ne l’obtiendraient pas aujourd’hui sur la base du dossier déposé alors. Aujourd’hui, en général, une AMM est accordée pour une durée de cinq ans et peut ensuite être renouvelée sans limitation de durée.

Un examen à la faculté de médecine de Paris, Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901)

L’évolution de la science étant plus rapide que la mise à jour des AMM, il fallait trouver une procédure pour faire bénéficier les patients des innovations récentes sans attendre la régulation administrative de l’AMM. C’est ce qui a conduit les autorités françaises à proposer en 1986 le régime d’autorisation temporaire d’utilisation (ATU), notamment pour les médicaments en cours d’enregistrement, puis en 2011 les recommandations temporaires d’utilisation (RTU), dans le cas de la prescription d’un médicament avec AMM, mais pour une autre indication que celle qui est prescrite. Ces procédures ont été utilisées notamment pour les maladies rares. Mais, à l’usage, elles se sont avérées quelquefois compliquées à mettre en œuvre et, finalement, ne recouvraient pas toutes les situations où le hors-AMM était justifié. Une nouvelle réglementation a été mise en place en 2021.

Un cadre juridique dérogatoire profondément remanié

Deux nouveaux dispositifs d’accès et de prise en charge par l’assurance maladie sont entrés en vigueur le 1er juillet 2021 [4, 5] en se substituant aux ATU et RTU : l’« autorisation d’accès précoce » et l’« accès compassionnel ».

L’autorisation d’accès précoce
L’autorisation d’accès précoce est à l’initiative du laboratoire. La demande adressée à la Haute Autorité de santé (HAS) porte sur des médicaments pour lesquels le laboratoire s’engage à déposer une AMM dans un délai de deux ans. Elle concerne des maladies graves, rares ou invalidantes. Plusieurs conditions doivent être réunies, en particulier : il n’existe pas de traitement approprié, son utilisation, dans l’intérêt du patient, ne peut pas être différée, et l’efficacité et la sécurité du médicament sont fortement présumées au vu des résultats d’essais thérapeutiques.

Par ailleurs, le laboratoire doit accompagner sa demande d’un « protocole d’utilisation thérapeutique et de recueil des données » qui porte sur l’efficacité, les effets indésirables, les conditions réelles d’utilisation, les caractéristiques des personnes bénéficiant du médicament, et doit inclure un questionnaire pour les patients. Il devra en assurer le financement.

Le médecin prescripteur doit informer son patient que la prescription du médicament ne s’effectue pas dans le cadre d’une AMM et l’éclairer sur les risques encourus et les bénéfices susceptibles d’être apportés. En outre, il doit indiquer sur l’ordonnance que la prescription se fait dans le cadre d’une autorisation d’accès précoce.

L’accès compassionnel
L’accès compassionnel concerne des médicaments pour lesquels aucune demande d’AMM n’est envisagée par l’industriel. Il concerne des patients souffrant de maladies sans traitement approprié. Deux cas de figure distincts sont prévus.

L’autorisation d’accès compassionnel nominative concerne un patient nommément désigné atteint d’une maladie grave, rare ou invalidante. Elle est demandée auprès de l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM) par un prescripteur hospitalier et l’agence doit pouvoir présumer d’un rapport bénéfice/risque favorable. À titre exceptionnel, un prescripteur non hospitalier peut également adresser à l’ANSM une demande si le médicament fait déjà l’objet de recherches cliniques à un stade très précoce.

Apothicaire utilisant mortier et pilon, anonyme espagnol du XVIIIe s.

Le cadre de prescription compassionnel est élaboré à l’initiative de l’ANSM. Il ne concerne alors plus un individu particulier mais vise à sécuriser une pratique de prescription hors AMM existante bien établie et portant sur un médicament disponible en France, disposant d’une AMM pour d’autres indications.

Là aussi, le prescripteur doit informer le patient et porter une mention sur l’ordonnance. En outre, la procédure suivie doit être inscrite au dossier médical du patient. Elle doit également être motivée dans le cas où il n’existe pas suffisamment de recul sur les conditions d’utilisation du médicament ou s’il existe un autre médicament comparable disposant d’une AMM.

Un « protocole d’utilisation thérapeutique » est également élaboré (mais cette fois-ci par l’ANSM) et un recueil des données est mis en place. Dans certains cas, cette obligation peut être supprimée.

Le financement des médicaments bénéficiant des cadres dérogatoires
Les médicaments bénéficiant d’un accès précoce ou compassionnel sont pris en charge par l’Assurance maladie sous réserve que la mention de l’indication pour laquelle la spécialité est prescrite soit bien présente sur l’ordonnance. Cette prise en charge est à 100 %, sauf pour un médicament faisant l’objet d’un cadre de prescription compassionnelle pour lequel un taux de prise en charge a été fixé pour une autre indication inscrite au remboursement (ce taux s’applique alors).

Est-il possible de prescrire en dehors de ce cadre dérogatoire ?

Le site de l’ANSM recense l’ensemble des spécialités pharmaceutiques en accès dérogatoire, que ce soit en autorisation d’accès précoce ou en accès compassionnel [6]. Pour chacun des médicaments, les critères d’octroi sont spécifiés. On peut constater que la liste est longue et permet de faire face à beaucoup de situations.

Néanmoins, il est possible pour un médecin de prescrire hors AMM en dehors de ces cas. Mais des conditions précises doivent être remplies : un médicament ne peut faire l’objet d’une prescription non conforme à son AMM « qu’en l’absence d’alternative médicamenteuse appropriée disposant d’une autorisation de mise sur le marché ou d’une autorisation d’accès précoce et sous réserve que le prescripteur juge indispensable, au regard des connaissances médicales avérées, le recours à ce médicament pour améliorer ou stabiliser l’état clinique de son patient » [7].

Là encore, le médecin a l’obligation d’informer son patient que la prescription ne s’effectue pas dans le cadre d’une AMM, de l’absence d’alternative thérapeutique et des risques encourus ainsi que des bénéfices susceptibles d’être apportés. La mention à porter sur l’ordonnance est « Prescription hors autorisation de mise sur le marché » ce qui entraîne son non-remboursement par l’Assurance maladie. La procédure suivie doit être inscrite dans le dossier médical et la prescription motivée dans ce dossier.

Le Juriste, Giuseppe Arcimboldo (1527-1593)

Dans le cas des maladies graves, rares ou invalidantes qui sont généralement traitées dans des services hospitaliers, le prescripteur dispose de l’autorisation d’accès compassionnel nominative. Si sa demande n’est pas validée par l’ANSM, il lui sera sans doute difficile de prouver que sa prescription, si elle se faisait « hors AMM », serait conforme « aux connaissances médicales avérées ».

Quel bilan ?

Ces dispositifs dérogatoires sont d’application récente (2021). Il est sans doute un peu tôt pour en tirer un bilan définitif. Ces mesures permettent-elles d’éviter des prescriptions hors AMM injustifiées, voire dangereuses, comme ce fut le cas précédemment avec le scandale du Mediator ou dans le cas de l’hydroxychloroquine ? Ou, à l’inverse, favorisent-elles l’utilisation hors AMM de médicaments dont le rapport bénéfice/risque se révèlera finalement défavorable ?

Tout ce que l’on peut dire, à cette étape, c’est qu’une prescription hors AMM de type hydroxychloroquine serait rendue plus difficile. Au regard des prises de position des autorités de santé sur cette molécule, une demande d’autorisation d’accès précoce ou d’accès compassionnel serait refusée.

En ce qui concerne le cas emblématique du Mediator, le nouveau cadre réglementaire ne représente pas une protection parfaite si une situation similaire devait se reproduire. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les prescriptions récentes et injustifiées de l’anti-diabétique Ozempic prescrit hors AMM dans l’objectif de perdre du poids [8] (ce qui a par ailleurs entraîné une pénurie de ce médicament pour les diabétiques [9]). On peut simplement espérer que le dispositif d’alerte mis en place depuis le scandale du Mediator pourrait mieux fonctionner.

En effet, la réglementation oblige les laboratoires à déclarer l’utilisation hors AMM en se donnant les moyens de les identifier et, en cas de soupçon, à alerter les autorités [10]. En cas de prescriptions hors AMM injustifiées, en concertation avec l’ANSM, le laboratoire doit proposer des actions pour faire cesser ces pratiques. Évidemment, il faut que les laboratoires collaborent avec les autorités. Le laboratoire exploitant de l’Ozempic a adressé un courrier aux professionnels de santé leur rappelant l’indication, mais il faut bien reconnaître que ce courrier n’a pas empêché l’utilisation hors AMM. L’action de Sanofi a été plus radicale pour l’hydroxychloroquine, puisque Sanofi a refusé (novembre 2020) de livrer l’hydroxychloroquine à l’IHU de Marseille considérant que le médicament était manifestement prescrit hors AMM et qu’il n’y avait pas de données conformes aux connaissances médicales avérées dans le traitement de la Covid-19 [11].

L’Alchimiste, David Teniers le Jeune (1610-1690)

En théorie, les situations cliniques non couvertes par la réglementation devraient être rares et se limiter à quelques médicaments dans quelques cas précis. Ce peut par exemple être en pédiatrie, quand la forme galénique (forme sous laquelle le médicament se prend : gélule, comprimé, sirop, etc.) n’est pas adaptée.

Le prescripteur peut également être conduit à prescrire hors AMM, non pas au regard de l’indication du médicament, mais des précautions d’emploi ou des contre-indications chez la femme enceinte. En dehors des pathologies spécifiques de la femme enceinte, les essais cliniques ne sont pas éthiquement envisageables dans cette population, si bien que l’on manque de données scientifiques. On peut notamment regretter que les dossiers d’AMM soient souvent insuffisamment documentés sur des données de base comme le passage placentaire. Ces précautions, compréhensibles, peuvent cependant conduire à ce que la femme enceinte ne reçoive pas une thérapeutique optimale et même puisse recourir parfois à des alternatives thérapeutiques dangereuses. On peut comprendre que l’absence de données robustes et la tendance à la judiciarisation de la médecine rendra les autorités de santé encore plus réticentes à lever les contre-indications et les précautions d’emploi. Ceci, malgré la nécessité de traitements, ce qui peut obliger le prescripteur à choisir entre le moindre risque (un traitement avec un risque potentiel décrit dans le résumé des caractéristiques du produit) et l’absence de traitement (qui dans certaines situations cliniques peut pourtant présenter un risque) [12].

Références


1 | Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, « Autorisation de mise sur le marché pour les médicaments », 2020.
2 | European Medicines Agency, “Conditional marketing authorization”, 2023.
3 | Watson OJ et al., “Global impact of the first year of COVID-19 vaccination : a mathematical modelling study”, The Lancet, 2022, 22 :1293-1302.
4 | « Prescription et délivrance des médicaments : accès précoce ou compassionnel », Vidal, décembre 2021. Sur vidal.fr
5 | Ministère de la Santé et de la Prévention, « Autorisation d’accès précoce, autorisation d’accès compassionnel et cadre de prescription compassionnelle », 25 mai 2023.
6 | Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, « Référentiel des spécialités en accès dérogatoire », 17 mars 2023. Sur ansm.sante.fr
7 | « Code de la santé publique : article L5121-12-1-2 », Légifrance, 1er juillet 2021.
8 | Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, « Ozempic (sémaglutide) : un médicament à utiliser uniquement dans le traitement du diabète de type 2 », 31 juillet 2023.
9 | Almudever M, Khaznadji L, « Information concernant l’approvisionnement d’Ozempic® 0,25 mg, Ozempic® 0,5 mg, Ozempic® 1 mg, solution injectable en stylo prérempli (sémaglutide) et rappel du bon usage », Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, 2 mars 2023.
10 | « Code de la santé publique : article L5121-14-3 », Légifrance, 1er juillet 2021.
11 | « Sanofi refuse d’honorer les commandes d’hydroxychloroquine du Pr Raoult », Caducee.net, 4 novembre 2020.
12 | « Les Prescriptions médicamenteuses hors AMM (Autorisation de mise sur le marché) en France : une clarification est indispensable », rapport conjoint de l’Académie nationale de médecine et de l’Académie nationale de pharmacie, Bulletin de l’Académie Nationale de Médecine, 2018, 202 :1749-82.


Thème : Santé et médicament

Mots-clés : Médecine

Publié dans le n° 346 de la revue


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L' auteur

Alain Saint-Pierre

Membre de l’Académie de pharmacie. Il a fait carrière dans l’industrie pharmaceutique dans le développement de (…)

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