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Baclofène et alcool : la saga atypique d’un médicament

Publié en ligne le 20 février 2024 - Santé et médicament -
Liens d’intérêts

Jean-Jacques Pik déclare aucun lien d’intérêt quant au sujet traité.
Thierry Kin est actuellement sans lien d’intérêt avec cette firme ni aucune autre commercialisant une spécialité à base de baclofène.

L’histoire de l’utilisation du baclofène en France contre les troubles liés au mésusage de l’alcool est édifiante à plus d’un titre. Ce médicament utilisé en neurologie depuis une soixantaine d’années s’est trouvé promu dans l’accompagnement des personnes dépendantes de l’alcool via un cheminement très atypique. D’abord prescrit hors autorisation de mise sur le marché (AMM), il a bénéficié en 2014 d’un cadre dérogatoire avant d’obtenir, comme on le verra, une AMM partielle en 2021. Dans un contexte où la consommation d’alcool pèse très lourd sur la santé publique en France (voir le dossier de Science et pseudo-sciences, octobre 2022 [1]), et devant la faible efficacité intrinsèque des médicaments proposés, les débats autour de l’utilisation controversée de cette molécule ont donné l’occasion d’avancer sur la définition des objectifs thérapeutiques quand l’abstinence était jusque-là la seule stratégie disponible. Désormais, et en partie du fait de l’histoire du baclofène, alors que l’abstinence était la perspective thérapeutique principale, la réduction de consommation d’alcool, plus proche du concept de « réduction des risques », semble pouvoir être proposée de façon plus solide aux personnes atteintes de troubles liés à l’usage d’alcool.

Historique

Le baclofène est une molécule découverte au cours des années 1960. Elle est commercialisée en France depuis 1972 sous le nom de Lioresal pour ses propriétés de relaxation des spasmes musculaires dans la sclérose en plaques et d’autres maladies de la moelle épinière. Il active certains récepteurs neuronaux (dits récepteurs au GABA-B) qui ont tendance à diminuer la libération de deux neurotransmetteurs (la dopamine et la sérotonine) au niveau des synapses. Or les circuits de la récompense dans lesquels sont impliqués ces neurotransmetteurs occupent un rôle central dans les addictions. Ceci a conduit des chercheurs, dès les années 1990, à tester la molécule de baclofène dans la dépendance à l’alcool sur des modèles animaux, puis chez les humains dans les années 2000, avec des résultats plutôt positifs [2]. L’effet attendu et testé du fait du mécanisme d’action concerne la réduction de l’appétence compulsive à l’alcool (aussi appelée craving).

Un médecin français, Olivier Ameisen, en butte à une importante dépendance à l’alcool, en vint à tester la molécule sur lui-même, après les multiples échecs d’autres stratégies de traitement. Il parvint à stopper durablement sa consommation d’alcool en recourant toutefois à des posologies beaucoup plus élevées que celles de l’AMM délivrée au Lioresal. Il en tira une publication scientifique en 2005 [3] et un livre, Le Dernier Verre, paru en 2008 [4] qui remporta un succès médiatique immédiat.

Au cours des années qui suivirent, un réseau associatif se constitua et certains médecins généralistes se risquèrent alors à prescrire le baclofène pour les problèmes d’alcool en l’absence d’études rigoureuses validant son efficacité et ses modalités d’utilisation, et sans autre référence que le livre d’Olivier Ameisen. La plupart des médecins addictologues sont alors beaucoup plus réservés, mais certains commencent à prescrire devant une littérature scientifique qui devient moins anecdotique, mais également sous la pression de certains patients. Les centres d’addictologie commencent également à utiliser la molécule en essayant de rationaliser la posologie en fonction du profil individuel des patients, en fonction des effets secondaires et du but recherché (le plus souvent l’apparition d’un état d’indifférence à l’alcool conduisant à une réduction de consommation) [5].

Un cadre réglementaire se met en place

Face à cette situation inédite, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) met en œuvre en mars 2014, et pour une durée de trois ans, une procédure qui n’avait jamais eu l’occasion d’être utilisée jusque-là : la recommandation temporaire d’utilisation (RTU). Ce dispositif réglementaire introduit en 2011 permet, en France, l’utilisation de certains médicaments en dehors de leur AMM dans un cadre très réglementé et surveillé, avec des critères d’inclusion drastiques [6]. Environ 7 000 patients seront ainsi identifiés par l’ANSM dans le cadre de cette recommandation temporaire d’utilisation, pour un nombre réel de patients traités beaucoup plus élevé, la prescription hors RTU restant possible [7, 8].

Les études cliniques publiées au fil des années donnent des résultats contrastés, dépendant essentiellement des objectifs recherchés (maintien de l’abstinence ou réduction des dommages liés à l’alcool). On retient surtout deux études françaises, Alpadir [9] (mise en place par le laboratoire Ethypharm, mais soutenue dans le cadre officiel d’un programme hospitalier de recherche clinique), et Bacloville (impulsée par l’AP-HP) [10, 11]. Les méta-analyses successives établissent un faible intérêt pour le maintien du sevrage, un intérêt dans la réduction de l’appétence à l’alcool et une aide à la réduction de consommation. Les conséquences de la réduction de consommation sous traitement paraissent également positives chez les patients atteints d’une cirrhose du foie [12, 13].

En 2017, la recommandation temporaire d’utilisation est prolongée sous une forme un peu allégée : moins de critères d’exclusion, mais limitation de posologie à 80 milligrammes par jour (mg/j), très en deçà des posologies les plus couramment efficaces dans l’indication. Devant le tollé des prescripteurs et le danger créé par une réduction posologique trop brutale chez les patients déjà traités, l’ANSM rectifie le tir en admettant, dans un courrier adressé à la Société française d’alcoologie, au Collège de médecine générale et à d’autres sociétés savantes [14], des posologies plus élevées « hors AMM » sous la responsabilité du prescripteur.

Dans un café (ou : L’Absinthe), Edgar Degas (1834-1917)

La limitation à 80 mg/jour faisait suite aux résultats d’une étude rétrospective publiée en juillet 2017 et menée conjointement par la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs ssalariés (CNAMTS), l’ANSM et l’Inserm [15, 16]. L’étude portait sur les premières années de prescription du baclofène pour la dépendance à l’alcool et liait un certain nombre d’événements graves (notamment troubles neurologiques, risque suicidaire, dépression) aux posologies supérieures à 80 mg/j. Cette étude, principalement réalisée à partir des données de remboursement de l’Assurance-maladie, n’avait aucune prétention à être une étude clinique. La période d’observation correspondait aux toutes premières années de prescription, avant les progrès de l’utilisation rationnelle, et les complications mentionnées pouvaient tout aussi bien être imputées aux troubles d’usage d’alcool. Des biais méthodologiques de l’étude ont été soulignés par plusieurs auteurs [17], mais elle servit de base à la limitation posologique mentionnée plus haut.

En avril 2018, l’ANSM rend un avis négatif pour une éventuelle AMM mais autorise la poursuite de la recommandation temporaire d’utilisation. Finalement, en octobre 2018, une AMM est accordée à la spécialité Baclocur dans l’indication d’alcoolodépendance, avec limitation à 80 mg/j, le dépassement restant possible hors AMM. Ladite spécialité sera mise en circulation en juin 2020. La commission de la transparence de la Haute Autorité de santé (HAS) valide l’utilisation du baclofène avec « service médical rendu » faible [18].

Fin de l’histoire ? Non, car en 2021, le tribunal administratif de Pontoise supprime la restriction à 80 mg/j jugeant « la décision de l’ANSM […] entachée d’une erreur manifeste d’appréciation » [19] et obligeant l’ANSM à revoir ses consignes en suggérant une prise en charge addictologique spécialisée au-dessus de 80 mg/j [20].

État des lieux

Il n’est pas certain que la saga soit terminée, tant sur le plan de la pratique clinique que des données scientifiques. Les publications restent nombreuses (une vingtaine de références par an depuis cinq ans sur le site PubMed, base de données des publications médicales). Les méta-analyses sont contradictoires (nous mentionnons en référence la dernière datant de 2023 [21]).

Au plan clinique, les prescripteurs ont progressivement appris à reconnaître les patients réceptifs au traitement, ceux qui ne le sont pas, ceux qui sont gênés par les effets secondaires obligeant à l’arrêt ou la restriction posologique, et les répondeurs vrais chez qui l’efficacité de type « indifférence à l’alcool » demande parfois des posologies beaucoup plus élevées. Les explications de cette diversité manquent encore, qu’il s’agisse du niveau d’anxiété associée à la dépendance à l’alcool ou d’un polymorphisme génétique du récepteur GABA entraînant des sensibilités différentes [22].

Le baclofène a toutefois pris sa place dans l’arsenal thérapeutique, toujours très limité, de soutien pharmacologique aux personnes souffrant d’addiction à l’alcool, en complément aux mesures non pharmacologiques et psychosociales.

L’actualisation de juin 2023 des recommandations de la Société française d’alcoologie sur le mésusage de l’alcool intègre le baclofène en seconde intention (quand le traitement prescrit en première ligne n’est pas efficace, ou ne l’est plus) dans l’indication de réduction de consommation [23].

Bacchus, Michelangelo Merisi dit « Le Caravage » (1571-1610)

Conclusion

La saga du baclofène est très atypique. Elle s’est développée suite à la publication d’un livre largement diffusé, fondé sur un témoignage, puis suivi de quelques études avec des résultats fragiles mais convergents. La diffusion initiale s’est faite hors de l’industrie pharmaceutique et des experts de la spécialité. Elle a reposé sur des groupes de patients, des médecins généralistes puis, secondairement seulement, sur le milieu spécialisé des addictologues dans les Centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA).

La rigueur scientifique s’en est bien évidemment ressentie, et il a fallu attendre de nombreuses années pour aboutir à une utilisation plus rationnelle et mieux maîtrisée au fil des RTU successives. La variabilité des résultats des études cliniques découle en grande partie de la détermination de l’objectif principal : aide au sevrage, maintien de l’abstinence ou bien aide à la réduction de consommation. Une efficacité, bien que modeste, semble se dessiner sur la réduction de l’appétence à l’alcool. Le problème de santé publique sous-jacent est d’une telle ampleur que toute arme est bonne à prendre sous réserve qu’une validation la justifie. À noter également que les travaux en cours sur l’oxybate de sodium, médicament déjà utilisé pour la narcolepsie, et qui visent à évaluer son efficacité dans les troubles liés à l’alcool, sont susceptibles de reproduire de tels débats quoique les essais cliniques prennent actuellement de l’ampleur [24, 25].

La Dernière Goutte, Judith Leyster (1609-1660)

L’utilisation du baclofène dans la prise en charge d’autres troubles d’usage de substances ou de conduites alimentaires a été envisagée. Si l’hypothèse fait sens (même corpus physiopathologique, à savoir le rôle du GABA-B dans la régulation des neurotransmetteurs activateurs du circuit de la récompense), elle ne semble pas donner lieu, à ce jour, à de bons résultats en termes de bénéfices/risques et l’ANSM « déconseille formellement son utilisation » dans les troubles du comportement alimentaire ou la prise en charge de régimes amaigrissants [26].

Enfin, et c’est important de le souligner, l’irruption du baclofène en alcoologie (comme celle du Selincro, nom commercial du nalméfène) a fait émerger le concept de réduction de la consommation à côté de celui, plus ancien, de quête exclusive de l’abstinence. Or cet objectif s’avérait souvent illusoire pour de nombreux patients et n’était pas toujours bien accepté. Cela donnait parfois lieu à des périodes d’abstinence suivies de rechutes sévères dont la neurotoxicité est connue [27]. Cet impératif d’abstinence ne reposait pas vraiment sur des données scientifiques mais plutôt sur une accumulation de croyances et d’idéologies moralisatrices et hygiénistes. L’orientation vers une réduction progressive de consommation (suivie ou non d’abstinence) s’inscrit dans une logique de réduction des risques et des dommages, dont l’intérêt a été bien démontré en addictologie [28]. Plus que l’efficacité intrinsèque de la molécule baclofène qui semble au mieux modeste, c’est l’évolution des concepts de prise en charge que nous avons voulu rapporter à travers cette histoire.

Références


1 | « Alcool : entre santé publique, culture et intérêts économiques », dossier, SPS n° 342, octobre 2022. Sur afis.org
2 | Addolorato G et al., “Baclofen efficacy in reducing alcohol craving and intake : a preliminary double-blind randomized control study”, Alcohol and Alcoholism, 2002, 37 :504-8.
3 | Ameisen O, “Complete and prolonged suppression of symptoms and consequences of alcohol-dependance using high dose Baclofen : a self-case report of a physician”, Alcohol and alcoholism, 2005, 40 :147-50.
4 | Ameisen O, Le Dernier Verre, Denoël, 2008.
5 | Simioni N et al., “Characteristics of patients with alcohol dependence seeking baclofen treatment in France : a two centre comparative cohort study”, Alcohol and Alcoholism, 2016, 51 :664-9.
6 | Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, « Une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) est accordée pour le baclofène », 24 mars 2021.
7 | Bry D et al., « La guerre du baclofène n’aura pas lieu, faute de combattants ! », Le Flyer, n° 66, février 2017. Sur rvh-synergie.org
8 | « Baclofène, pour qui et surtout comment ? », Le Flyer, n° 68, septembre 2017. Sur rvh-synergie.org
9 | Reynaud M et al., “A randomized, placebo-controlled study of high-dose baclofen in alcohol-dependent patients : the ALPADIR study”, Alcohol and Alcoholism, 2017, 52 :439-46.
10 | Jaury P et al., « Le baclofène est-il efficace dans le traitement de l’alcoolisme ? L’étude Bacloville », Bulletin de l’Académie Nationale de Médecine, 2017, 201 :1349-59.
11 | Rigal et al., “Titrated baclofen for high-risk alcohol consumption : a randomized placebo-controlled trial in outpatients with one-year follow up”, Addiction, 2020, 115 :1265-76.
12 | Barrault C, Cadranel JF, « Observatoire OBADE-ANGH : intérêt du baclofène chez 214 patients alcoolo-dépendants », Société nationale française de gastro-entérologie, congrès JOFHOD, 2017. Sur snfge.org
13 | G et al., “Effectiveness and safety of baclofen for maintenance of alcohol abstinence in alcohol-dependent patients with liver cirrhosis : randomised, double-blind controlled study”, The Lancet, 2007, 370 :1915-22.
14 | Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, « RTU baclofène : précisions concernant la réduction de la dose minimale recommandée », août 2017. Sur baclofene.org
15 | Assurance maladie, « Baclofène en vie réelle en France entre 2009 et 2015 : usages, persistance et sécurité, et comparaison aux traitements des problèmes d’alcool ayant une autorisation de mise sur le marché », rapport CNAM, juin 2017. Sur assurance-maladie.ameli.fr
16 | Chaignot C et al., “Risk of hospitalisation and death related to baclofen for alcohol use disorders : Comparison with nalmefene, acamprosate, and naltrexone in a cohort study of 165 334 patients between 2009 and 2015 in France”, Pharmacoepidemiol Drug Saf, 2018, 27 :1239-48.
17 | de Beaurepaire R et al., « Sécurité du baclofène : l’étrange appréciation de l’Agence française du médicament », PSN, 2018, 16 :37-53.
18 | Haute Autorité de santé, « Baclocur (baclofène) », Avis de la Commission de la transparence, 20 novembre 2019.
19 | « Santé – Baclofène : légalité des autorisations de mise sur le marché et annulation de la posologie maximale à 80 mg par jour », jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, 10 mars 2021. Sur cergy-pontoise.tribunal-administratif.fr
20 | Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, « Alcoolo-dépendance : nouvelles recommandations posologiques pour le baclofène », 18 novembre 2021. Sur ansm.sante.fr
21 | Agabio R, “Baclofen for alcohol use disorder”, Cochrane Database of Systematic Reviews, 13 janvier 2023.
22 | Morley KC et al., “Moderation of baclofen response by a GABAB receptor polymorphism : results from the BacALD randomized controlled trial”, Addiction, 2018, 113 :2205-13.
23 | Société française d’alcoologie, « Mésusage de l’alcool : dépistage, diagnostic et traitement », actualisation des recommandations, 5 juin 2023.
24 | « L’oxybate de sodium, un traitement très prometteur dans l’alcoolo-dépendance avec une consommation très élevée », Addict’aide, 3 septembre 2018. Sur accictaide.fr
25 | Guiraud J, “Sodium oxybate for the maintenance of abstinence in alcohol-dependent patients : An international, multicenter, randomized, double-blind, placebo-controlled trial”, Journal of Psychopharmacology, 2022, 36 :1136-45.
26 | Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, « Mise en garde sur l’utilisation hors AMM du baclofène dans les troubles du comportement alimentaire », 25 mars 2021. Sur ansm.sante.fr
27 | Haute Autorité de santé, « Modalités de l’accompagnement du sujet alcoolodépendant après un sevrage », Conférence de consensus, recommandation de bonnes pratiques, 1er mars 2001. Sur has-sante.fr
28 | Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, « L’essentiel sur… la réduction des risques et des dommages : une politique entre humanisme, sciences et pragmatisme », février 2023. Sur drogues.gouv.fr

Baclofène et alcool, un manque de méthode


L’histoire du baclofène pour traiter le mésusage de l’alcool est un exemple de mauvaise gestion qui précède l’histoire de l’hydroxychloroquine comme traitement de la Covid-19. En effet, sous la pression de certains prescripteurs et de nombreux usagers, on l’a utilisé très largement contre l’alcoolisme (plus de 200 000 nouveaux utilisateurs en France entre 2009 et 2015 [1]) alors qu’aucune donnée rigoureuse ne démontrait son efficacité dans cette indication.

Aujourd’hui encore, les données rigoureuses restent insuffisantes. La méta-analyse la plus récente [2] rassemble les données de 17 essais comparant le baclofène à un placebo, publiés entre 2007 et 2020 et ayant inclus un total de 1 818 participants dépendants de l’alcool. La dose quotidienne de baclofène variait d’un essai à l’autre : dose fixe faible (généralement de 30 mg), dose fixe moyenne (entre 50 mg et 90 mg), ou dose de chaque patient augmentant par palier (jusqu’à un maximum de 150 mg à 300 mg).

Dans la synthèse des douze essais qui ont étudié le succès, défini comme le fait de ne plus boire à la fin du traitement, le pourcentage de succès est plus grand dans le groupe baclofène que dans le groupe placebo (29 % vs 18 %). Et dans la synthèse des seize essais qui ont étudié la proportion des jours d’abstinence à la fin du traitement, cette proportion était plus grande avec le baclofène qu’avec le placebo (63 % vs 54 %). On n’observe pas de différence de résultats selon les trois classes de dose. Les essais ont été réalisés sur des effectifs relativement faibles de patients, les deux plus grands ont inclus chacun 320 participants.

Le baclofène a aussi été comparé à d’autres traitements du mésusage de l’alcool dans une méta-analyse rassemblant les données de 156 essais étudiant l’efficacité de très nombreux produits [3]. L’étude conclut que l’acamprosate (2-3 g/j), le disulfiram (250-500 mg/j), le baclofène (30 mg/j) et la naltrexone orale (50 mg/j) ont le meilleur niveau de preuve pour démontrer une amélioration de l’abstinence et une réduction de la consommation excessive d’alcool.

Les données disponibles permettent de conclure que le baclofène est plus efficace que le placebo, mais que son efficacité est limitée (du même ordre que celle des autres médicaments efficaces). Beaucoup de patients ne répondent pas à ce traitement et la question de la dose reste ouverte. Cependant, on ne peut pas ignorer le soulagement des patients qui atteignent l’état d’indifférence à l’alcool qui semble spécifique au baclofène, permet une consommation contrôlée et s’obtient à partir d’une dose très variable d’un patient à l’autre. Si seulement 10 % des centaines de milliers de patients qui ont essayé le baclofène en ont tiré ce bénéfice, c’est déjà un succès.

Les risques d’effets secondaires augmentent avec la dose. La balance bénéfice/risque est certainement bonne avec les doses faibles ou moyennes, mais pour les plus fortes doses la question reste ouverte. Une consommation très élevée d’alcool fait très probablement courir un risque beaucoup plus grand.

Catherine Hill Épidémiologiste et biostatisticienne

Références
1 | « Le Baclofène en vie réelle en France entre 2009 et 2015 : usages, persistance et sécurité, et comparaison aux traitements des problèmes d’alcool ayant une autorisation de mise sur le marché », Rapport, Assurance maladie, ANSM et Inserm, juin 2017. Sur assurance-maladie.ameli.fr
2 | Agabio R et al., “Baclofen for alcohol use disorder”, Cochrane Database Syst Rev, 2023, 13 :CD012557.
3 | Bahji A et al., “Pharmacotherapies for adults with alcohol use disorders : a systematic review and network meta-analysis”, J Addict Med, 2022, 16 :630-8.

Publié dans le n° 346 de la revue


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Les auteurs

Jean-Jacques Pik

Médecin des hôpitaux honoraire, spécialiste en médecine interne. Il est co-fondateur du Centre d’accueil et de soins (…)

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Thierry Kin

Consultant et ex-cadre de l’industrie pharmaceutique – formé en addictologie (diplôme universitaire). Il a participé (…)

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