Environnement et santé
Publié en ligne le 14 mai 2024Denis Bard (préface de Didier Sicard)
Éditions L’Harmattan, 2023, 278 pages, 31€
Ce livre est le constat d’un échec : malgré l’accumulation des données notamment épidémiologiques, il n’est pas possible d’attribuer à l’environnement (pris dans un sens restrictif, voir infra) des effets importants sur la santé. Le lecteur y trouvera beaucoup d’informations intéressantes tirées de l’expérience de l’auteur, enseignant en épidémiologie. Mais l’espace consacré à décrire en détail de nombreuses fausses alertes paraît très important au regard de l’espace consacré à conclure qu’il s’agit de fausses alertes.
L’auteur, médecin de santé publique, a enseigné l’épidémiologie à l’École des hautes études de santé publique et créé ce qui est actuellement le Laboratoire d’épidémiologie de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire du temps où cet institut faisait partie du Commissariat à l’énergie atomique.
D’après l’avant-propos, l’objectif du livre est de « décrire […] quelques points critiques, illustratifs des questions actuelles en santé-environnement 1 et des incertitudes plus ou moins importantes qui caractérisent chaque situation ». Et l’introduction conclut : « En proposant aux lecteurs des éléments de lecture critique »… il « restera en conséquence de l’espace à chacun pour croire ce qu’il veut et qui il veut. » Le sous-titre du livre : « Croire ou ne pas croire » pose, lui aussi, clairement la question des effets de l’environnement sur la santé en termes de croyance au lieu de les étudier avec rigueur pour aboutir à une certitude. C’est une erreur fondamentale que l’auteur semble partager avec ceux des écologistes pour qui l’écologie est une religion.
L’introduction précise ce que l’auteur entend par environnement : « ce qui est susceptible d’avoir des effets délétères ou bénéfiques pour notre santé » à l’exclusion des « comportements, comme le tabagisme, la consommation d’alcool…, les addictions, une alimentation trop riche en énergie, porteuse de carences (sic) et plus généralement déséquilibrée ». Cette définition de l’environnement est vraiment discutable. L’auteur exclut des comportements parce qu’ils « sont supposés être volontaires… (ce qui reste à démontrer) » et parce qu’ils ont une « influence bien plus forte que les différents agents présents dans l’environnement ». Il s’agit donc d’écarter les comportements que l’auteur qualifie, sans y croire, de « volontaires », ce qui ignore les pressions politiques et publicitaires des lobbies, et de n’étudier que des expositions environnementales qui ont une influence faible ou nulle sur la santé.
C’est toute la difficulté : si une exposition augmente faiblement un risque, il faut des enquêtes épidémiologiques portant sur de très nombreux sujets et permettant un très bon contrôle des effets des autres causes susceptibles d’augmenter ce risque ; en effet le signal qui est l’augmentation du risque due à l’exposition est très faible par rapport au bruit qui est le risque de base dans la population. On peut commencer par étudier les populations les plus exposées si on peut les identifier, c’est ainsi que l’étude des expositions professionnelles au polychlorure de vinyle a permis de mettre en évidence le risque d’angiosarcome du foie, et que l’étude des personnes travaillant sur des radars ou réparant des lignes à haute tension apporte des données rassurantes sur les risques associés à une exposition aux champs électromagnétiques.
Le premier chapitre emprunte son titre : « Élixirs de morts ? » au livre de Rachel Carson Le Printemps silencieux en y ajoutant un point d’interrogation. D’après Denis Bard, « l’ouvrage de plaidoyer de Carson, au contenu scientifique anecdotique » a été le point de départ « du développement de la santé-environnement ». Le livre de Carson est largement cité par les écologistes, mais il a aussi été abondamment décrédibilisé 2. Le reste du chapitre démontre par l’exemple que ce qui est naturel n’est pas forcément bon.
Le chapitre 2 a pour titre « Sommes-nous en bonne santé ? ». Il décrit les indicateurs de santé courants, notamment mortalité et incidence, et présente l’évolution de l’espérance de vie à la naissance sans expliquer comment on la calcule 3. Il traite ensuite « Des maladies d’origine environnementale ? » dont le surpoids et l’obésité, les maladies cardiovasculaires, les accidents vasculaires cérébraux, l’asthme et la bronchopneumopathie chronique obstructive, et les cancers. Ce chapitre ignore donc la définition restrictive de l’environnement annoncée dans l’introduction. Les cartographies régionales du surpoids et de l’obésité, de la prévalence du tabagisme ou de la pollution de l’air servent à l’auteur pour conclure qu’elles « ne se superposent que médiocrement à celle des hospitalisations pour AVC ». Mais ce type d’étude écologique (discutée dans le chapitre 5), dans laquelle les critères analysés concernent une population plutôt que des individus, est beaucoup moins probant que les enquêtes de cohorte ou cas-témoins qui étudient les risques de ces maladies avec des données sur chaque individu de l’enquête, et qui sont beaucoup plus précises et existent en très grand nombre.
La chapitre 3 « Ce qui fait la santé » présente des schémas, évoquant « un plat de spaghettis » c’est à dire illisibles, qui sont supposés nous convaincre que les déterminants de la santé sont extrêmement compliqués. Toutefois sa conclusion a le grand mérite d’être claire et correcte, même si elle ne précise pas l’échelle de temps et ne présente aucune donnée ou référence pour l’étayer : « On observe une amélioration globale de la santé des Français, à quelques exceptions près. Il n’apparaît pas d’influence catastrophique ni même manifeste d’une dégradation de l’environnement. »
Le chapitre 4 « Un environnement de plus en plus délétère ? » montre en effet que la plupart des polluants de l’air extérieur diminuent, et évoque la pollution de l’air intérieur due notamment à la combustion d’encens ou de bougies parfumées (mais ne mentionne pas la fumée de tabac).
Les chapitres 5 à 9 présentent un cours de base sur les méthodes utilisées en épidémiologie, une discussion sur la notion de causalité, une discussion sur la différence entre le danger qui est potentiel et le risque qui dépend de la dose, les principes de l’évaluation du risque comparant notamment les systèmes d’évaluation de différentes agences (Red Book du National Research Council des États-Unis, FAO…), et enfin le principe de calcul du risque attribuable. Ce dernier chapitre présente l’estimation de 48 000 décès annuels attribuables à la pollution de l’air en France sans préciser que pour en arriver au chiffre de 48 000, Santé publique France « a pris un scénario alternatif correspondant à une utopie totale » 4.
Le chapitre 10 a pour titre « Jeux d’acteurs » et présente une discussion des rôles respectifs des scientifiques et de l’édition scientifique, des ONG, des industriels, des médias et de la justice, discussion illustrée par de nombreux exemples très intéressants. Au passage, D. Bard critique l’article de Tomasetti et Vogelstein 5 qui suggère un rôle prépondérant du hasard dans la genèse des cancers, article auquel il ne croit pas à cause de la variabilité de la fréquence du cancer entre pays, mais Tomasetti, Lu et Vogelstein ont répondu à cela en 2017 6. Il critique aussi le rapport de 2018 sur les causes du cancer en France 7 auquel il reproche de n’avoir pas pris en compte le radon et l’arsenic, alors que la figure 50 de son livre présente les estimations des risques attribuables au radon et à l’arsenic tirées de ce rapport.
Le chapitre 11 « Figures du mal » discute de « sujets qui font peur » en commençant par les perturbateurs endocriniens (PE) avec des discussions sur leur définition, sur la nature des relations dose-effet, et sur l’improbable effet cocktail. Il montre l’absence de base pour attribuer aux perturbateurs endocriniens l’augmentation de la prévalence de l’obésité, ou les diminutions de la fertilité et du quotient intellectuel, et critique fermement l’émission d’Arte « Demain, tous crétins ». Sa conclusion « À ce stade des connaissances, et compte tenu de la pluralité des mécanismes d’action, des incertitudes sur la relation dose-réponse, du manque de données sur les expositions, la problématique PE apparaît comme une construction produite par le jeu des acteurs, qui aboutit à une croyance quasi religieuse pointant vers une sorte de Mal absolu. On ne peut prendre des décisions pertinentes de santé publique sur une telle base », pourrait être étendue à la plupart des alertes étudiées dans le livre.
Le chapitre 12 présente en détail des sujets étudiés par l’auteur : les expositions professionnelles au formaldéhyde qui sont une cause de cancer du nasopharynx, les rayonnements ionisants dont le radon, les hydrocarbures aromatiques polycycliques chlorés (dioxines et PCB). Il revient sur un excès de leucémies observé autour de La Hague, présente les effets de la pollution de l’air d’une façon assez confuse, et écrit sur l’effet cocktail : « L’effet cocktail mis en avant par les parties intéressées [précisées plus haut dans le texte comme les politiques, journalistes et certaines ONG] est largement à ce stade une évocation de forces mystérieuses et malveillantes, utile principalement au storytelling. »
En résumé, ce livre contient beaucoup d’informations utiles sur ce qu’on connaît des effets de l’environnement sur la santé. Cependant sa définition de l’environnement varie d’un chapitre à l’autre, ce qui est un problème. Le bilan global des effets de l’environnement est bien différent si l’on y inclut les effets très importants du tabac, de l’alcool et de l’alimentation.
En annexe, le lecteur trouvera des informations utiles pour suivre les expositions à divers polluants étudiés par l’auteur. Le livre contient un plan détaillé et un index.
1 L’auteur utilise à de nombreuses reprises ce terme de « santé-environnement », mais on peine à voir l’utilité de cette expression pour désigner les effets de l’environnement sur la santé.
2 Meiners R, Desrochers P, Morriss A, Silent Spring at 50 : The False Crises of Rachel Carson, Cato institute, Washington DC, 2012. Voir notamment le chapitre : « Silent Spring as Secular Religion ».
3 On calcule l’espérance de vie à la naissance une année donnée, en calculant la durée de vie moyenne d’une population qui mourrait à tous les âges comme observé cette année-là.
5 Tomasetti C, Vogelstein B, “Variation in cancer risk among tissues can be explained by the number of stem cell divisions”, Science, 2015, 347:78-81.