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La théorie de la sélection naturelle malmenée par le député Brard

Publié en ligne le 29 décembre 2011 - Science et décision -
par Alexandre Peluffo

Lors d’une session ordinaire à l’Assemblée Nationale concernant principalement les certificats d’obtention végétale (COV) et les PGM, M. Jean-Pierre Brard 1, député GDR 2, a invoqué la sélection naturelle pour justifier son opposition aux COV, mais de toute évidence sans la comprendre. Tout d’abord, revenons sur la définition de la théorie de la sélection naturelle.

La théorie de Darwin sur le processus de la sélection naturelle, implique trois conditions (qui sont reprises par Gould 3) nécessaires pour qu’il y ait sélection :

  • Superfécondité : tous les organismes produisent en moyenne plus de descendants qu’il ne peut en survivre ;
  • Variation : les individus d’une même espèce présentent des différences (diversité intraspécifique) ;
  • Hérédité : au moins une partie de ces différences est transmise à la descendance.

Si ces trois conditions sont réunies, alors le processus de sélection naturelle va se faire et les individus les moins adaptés, survivront moins bien, auront moins de descendants en moyenne et diffuseront donc moins leurs caractéristiques dans la population, caractéristiques qui auront tendance à disparaitre. La variation est en partie produite par les mutations dans le génome des êtres vivants et entraine l’apparition de nouveaux caractères.

Pourtant ce n’est pas ce que M. Brard a compris quand il donne son avis sur les mesures du gouvernement et dit : « Darwin est celui qui a mis en évidence une donnée capitale : la sélection naturelle se fait d’une façon totalement aléatoire. C’est cela qui garantit, au fil des millénaires, la biodiversité. Mais pour vous, il n’y a pas de sélection naturelle : c’est la sélection boursière ! Qu’est-ce qui rapporte ? Monsanto. Vous décidez donc de donner à Monsanto un privilège créationniste. Oui, c’est une question philosophique, économique et scientifique. Je vois, monsieur Le Maire, que vous n’aviez pas vu le sujet ainsi. » Comme nous l’avons précisé, la sélection n’est jamais aléatoire, au contraire elle est déterministe, puisqu’elle élimine les individus les moins adaptés. C’est d’ailleurs le sens premier du mot sélection : action de sélectionner, de choisir les personnes ou les choses qui conviennent le mieux 4. Il est vrai que l’apparition des mutations est aléatoire mais c’est la sélection qui permet de maintenir ou d’éliminer les caractères résultants de ces mutations, dans une population d’êtres vivants. D’ailleurs, ces mutations aléatoires n’avaient pas été mises en évidence par Darwin : les travaux de Mendel ne seront « redécouverts » qu’une cinquantaine d’années après la publication de l’Origine des espèces en 1859 5 lorsque naîtra une nouvelle science, la génétique. Enfin, la sélection n’apporte absolument aucune diversité, au contraire elle a tendance à l’éliminer et il est donc faux de dire qu’elle favorise la biodiversité.

Que l’on soit d’accord ou non avec les mesures prises par le gouvernement et l’utilisation des OGM, ce n’est pas ce qui est remis en question ici, mais c’est qu’un élu du peuple, qui a un certain pouvoir de décision, justifie ses propos à l’aide de théories scientifiques, qu’il a mal interprétées. Il y a des moments où « Savoir mal, est pire qu’ignorer », comme disait Casanova.

1 Assemblée nationale. "Jean-Pierre Brard." http://www.assemblee-nationale.fr/13/tribun/fiches_id/654.asp

2 Gauche Démocrate et Républicaine

3 GOULD, S. The Structure of Evolutionary Theory. Cambridge : Harvard University Press, 2002.

4 Larousse. Le Petit Larousse 2010. Paris : Larousse, 2009.

5 Sturtevant, A history of genetics. Cold Springs harbor laboratory, 2001.