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La mécanique sexuelle des hommes

Publié en ligne le 10 octobre 2013
La mécanique sexuelle des hommes

Catherine Solano et Pascal de Sutter
Édition Robert Laffont, 2011, 264 pages, 19 € - Réédition en poche : Édition Pocket, 2012, 254 p., 7,90 €

Le titre de ce livre peut induire en erreur. En effet, il y est essentiellement question des éjaculations problématiques. Quoi qu’il en soit, l’ouvrage peut intéresser les lecteurs de Science et pseudo-sciences à plus d’un titre. En effet, environ 30 % des hommes (statistiques françaises) souffrent d’une éjaculation qu’ils jugent trop rapide (moins de deux minutes). D’autre part, le traitement de ce problème illustre parfaitement les progrès réalisés grâce à l’approche scientifique en psychologie.

Pour le grand public et un bon nombre de psys, les troubles de la sexualité sont à comprendre en fonction de la théorie freudienne. Certes, Freud a parlé sans arrêt de sexualité, mais il n’a jamais publié une thérapie d’un dysfonctionnement sexuel. Les historiens qui ont mené l’enquête sur tous les patients de Freud, ont trouvé une seule personne souffrant d’anéjaculation : Albert Hirst, qui ne parvenait pas à éjaculer durant un rapport sexuel. Son traitement, mené de 1909 à 1910, n’a guère donné de résultat. Paul Roazen, qui a interviewé Hirst, rapporte que, selon celui-ci, les interprétations de Freud ne l’avaient nullement aidé 1. En fait, le problème de ce patient sera résolu... mais dix ans plus tard. D’autre part, la seule évocation d’un « traitement » par Freud d’un trouble érectile se trouve dans l’ouvrage où Abraham Kardiner relate sa psychanalyse didactique sous la direction de Freud 2. Un collègue, qui avait trompé sa femme, était devenu impuissant alors qu’il avait terminé son analyse didactique chez le Maître viennois. Étonné de l’apparition de ce trouble après une longue analyse, il avait repris contact avec Freud. Kardiner raconte : « Il pensait que Freud torturé de remords le reprendrait en analyse. Mais Freud ne souffla mot de tout l’entretien. À la fin de l’heure, il se leva et lui serra la main comme d’habitude en disant : "Und jetzt sehe ich dass Sie ein wirklich und anständiger Kerl sind !" (Eh bien, maintenant, je vois que vous êtes un très brave garçon !) et il le reconduisit à la porte ».

Les disciples de Freud ont publié quelques explications… mais guère de résultats concrets. Ainsi Lacan, quant à lui, expliquait le trouble érectile par le fait que l’acte sexuel évoque la castration et apparaît donc comme menaçant 3. D’autres ont parlé de la peur du « vagin denté » ou de sadisme inconscient envers la femme.

En fait, l’éjaculation rapide est le fonctionnement naturel de base, observable chez la grande majorité des animaux. Chez les singes, le coït n’excède pas dix secondes. Il n’est pas du tout étonnant qu’un homme jeune et inexpérimenté éjacule très vite. La majorité des hommes apprennent progressivement à contrôler l’intensité de l’excitation qui précède l’éjaculation (celle-ci étant de nature réflexe lorsqu’un certain niveau d’excitation est atteint), mais pas tous. En définitive, il s’agit la plupart du temps d’une question d’apprentissage.

Les recherches scientifiques montrent que l’éjaculation prématurée est rarement le symptôme de quelque chose de « refoulé ». Beaucoup de personnes n’ont guère d’autres problèmes psychologiques, sauf des conséquences du trouble lui-même : tensions conjugales, anxiété de performance, perte d’estime de soi, dépression. Plutôt que de décortiquer le passé, il importe de comprendre les mécanismes de la sexualité, de faire un bilan somatique et de réaliser des exercices permettant de mieux gérer l’excitation.

En quelques années, la sexologie cognitivo-comportementale a fait des progrès considérables, à telle enseigne que 90 % des problèmes d’éjaculation prématurée peuvent à présent se résoudre avec l’aide d’un thérapeute spécialisé et qu’environ 70 % des cas trouvent même une solution grâce à la lecture d’un ouvrage comme celui-ci.

Les auteurs présentent différentes techniques de contrôle de l’excitation, de la musculation du périnée et de la gestion de cognitions débilitantes. Ils expliquent ce que la partenaire devrait faire et ce qu’elle devrait éviter. Ils consacrent un chapitre aux causes et aux traitements de l’éjaculation retardée et de l’anéjaculation. Ils terminent par un chapitre sur « l’art de l’extase », l’orgasme sans éjaculation, dont le Tao chinois et le Tantra ont depuis longtemps fait l’éloge.

Catherine Solano est médecin-sexologue. Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages destinés au grand public. Pascal de Sutter s’est formé au Canada auprès de J.-Y. Desjardins et F. de Carufel. Sa thèse de doctorat en psychologie portait sur l’efficacité de la bibliothérapie pour traiter l’éjaculation prématurée. Il est actuellement professeur de sexologie à l’université de Louvain. Il a publié l’excellent livre La sexualité des gens heureux 4.

1 P. Roazen, Dernières séances freudiennes. Des patients de Freud racontent. Trad., Seuil, 2005, p. 59s

2 A. Kardiner, Mon analyse avec Freud. Trad., Belfond, 1978, p. 111.

3 J. Lacan (1967) La logique du fantasme. Paris : Seuil, p. 66s.

4 Éditions Les Arènes (Paris). Compte rendu dans SPS n° 290 (La sexualité des gens heureux).