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L’affaire des microARN alimentaires

Publié en ligne le 6 juin 2014 - OGM et biotechnologies -

Une publication médiatisée sur l’influence de petits ARN végétaux après consommation par des mammifères se dégonflerait-elle ?

L’ADN est transcrit en ARN messagers 1, eux-mêmes traduits en protéines. Une classe particulière d’ARN de petite taille, appelée microARN, peut s’apparier avec certains ARN messagers et ainsi influer sur l’expression des gènes dans les cellules qui les produisent. En septembre 2011, une équipe chinoise (Zhang et coll. 2011) rapportait qu’un microARN de riz peut se retrouver par la voie alimentaire dans le sang et influencer l’expression d’un gène des mammifères consommateurs (avec pour conséquence, en l’occurrence, de diminuer l’élimination des LDL – des protéines porteuses de cholestérol – dans le sang de souris et donc d’accroître le taux de mauvais cholestérol associé). Les auteurs concluaient que les microARN alimentaires pouvaient ainsi être un nouveau nutriment essentiel. Si ces résultats étaient confirmés, ils ouvriraient des perspectives importantes dans la lutte contre certaines maladies, par des traitements à base de microARN.

Les anti-OGM y ont vu quant à eux des raisons de dénoncer les risques des OGM. Bien que cette étude chinoise ne portait pas sur un OGM mais sur un riz conventionnel, ils ont vu l’opportunité d’affirmer qu’un OGM ingéré pouvait produire un ARN qui lui-même allait modifier de façon non contrôlable l’expression de gènes du mammifère nourri avec cet OGM. Ainsi a-t-on pu lire sous leurs plumes qu’il s’agissait d’« un tournant théorique pour les OGM » – avec le sous-titre : « Comment osent-ils continuer ? » (Inf’OGM) – ou encore : « une découverte de chercheurs chinois qui interpelle la technologie OGM ? L’intérêt du principe de précaution relancé par les microARN » (L’Humanité), et même « L’humain végétalisé » (Libération)...

Pour les chercheurs sérieux, l’étude avait suscité un intérêt en raison des applications potentielles, mais également un certain scepticisme. Une confirmation était donc souhaitable. Récemment, Snow et coll. (2013) ont tenté de montrer le transfert de microARN de l’alimentation (enrichie en telles molécules) vers des humains, des souris ou des abeilles. Sans succès. Lors d’expériences similaires chez des macaques, Witwer et coll. (2013) n’ont pas obtenu non plus de résultats probants. De plus, les expériences de thérapies orales contre des virus et autres maladies, basées sur des petits ARN, n’ont pour le moment pas été couronnées de succès. Le phénomène décrit par Zhang et coll. ne semble donc pas un phénomène généralisable. D’un autre côté, la possibilité théorique de combattre des insectes ravageurs par des microARN de l’alimentation a été rapportée par différents auteurs (voir Baum et coll. 2007).

Dernier évènement en date, Dickinson et coll. (2013) ont repris les expériences de Zhang sur le riz, avec soit une alimentation à base de riz, soit sans riz. Ils n’ont pas pu mettre en évidence de microARN de riz ni dans le plasma ni dans le foie des souris. L’effet sur le cholestérol en cas de consommation de riz a bien été retrouvé, mais il est attribué à un effet nutritionnel du riz sans lien avec le microARN détecté par Zhang et coll. (2011). Dans le même numéro de Nature Biotechnology, Zhang et coll. (2013) se défendent en expliquant que la méthodologie de détection des microARN de plantes utilisée par Dickinson et coll. tend à sous-évaluer ces derniers. Cependant, Dickinson et coll. avaient anticipé cette critique et utilisé également une autre méthode, avec les mêmes résultats négatifs. Zhang et coll. (2013) concluent (provisoirement) que la question de l’absorption des microARN alimentaires reste à un stade très préliminaire... Affaire à suivre, donc.

Références

1 | L. Zhang, et. al., “Exogenous plant MIR168a specifically targets mammalian LDLRAP1 : evidence of cross-kingdom regulation by microRNA.” Cell Research, 2011.
2 | Snow, J. W., A. E. Hale, S. K. Isaacs, A. L. Baggish and S. Y. Chan (2013), “Ineffective delivery of diet-derived microRNAs to recipient animal organisms.” RNA Biology, 10, 7, pp. 1107-1116.
3 | Witwer, K. W., M. A. McAlexander, S. E. Queen and R. J. Adams (2013), “Real-time quantitative PCR and droplet digital PCR for plant miRNAs in mammalian blood provide little evidence for general uptake of dietary miRNAs : Limited evidence for general uptake of dietary plant xenomiRs.” RNA Biology, 10, 7, pp. 1080-1086.
4 | Baum, J. A., Thierry Bogaert, William Clinton, Gregory R Heck, Pascale Feldmann, Oliver Ilagan, Scott Johnson, Geert Plaetinck, Tichafa Munyikwa, Michael Pleau, T. Vaughn and J. Roberts (2007), “Control of coleopteran insect pests through RNA interference”, Nature Biotechnology, 25, 11, pp. 1322-1326,
5 | Dickinson, B., Y. Zhang, J. S. Petrick, G. Heck, S. Ivashuta and W. S. Marshall (2013), “Lack of detectable oral bioavailability of plant microRNAs after feeding in mice”, Nat Biotech, 31, 11, pp. 965-967.
6 |Chen, X., K. Zen and C.-Y. Zhang (2013), “Reply to Lack of detectable oral bioavailability of plant microRNAs after feeding in mice”, Nat Biotech, 31, 11, pp. 967-969.]

1 Copie transitoire d’une portion de l’ADN correspondant à un ou plusieurs gènes. L’ARNm est utilisé comme intermédiaire par les cellules pour la synthèse des protéines. Le concept d’ARN messager a été émis puis démontré par Jacques Monod, François Jacob et leurs collaborateurs en 1960. Source : Wikipédia.