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L’épigénétique en images

Publié en ligne le 11 juillet 2019
L’épigénétique en images

Cathy Ennis et Oliver Pugh

EDP Sciences, 2018, 176 pages, 9,90 €

Cet ouvrage (traduction de Epigenetics : A graphic guide), comme son titre l’indique, fait usage d’illustrations (fort nombreuses, puisque présentes à chaque page) pour aborder de façon pédagogique et relativement exhaustive les diverses facettes de ce domaine de la biologie. Sur l’une des illustrations, on voit de dos un chercheur qui déclare : « En y réfléchissant, j’aurais mieux fait d’étudier quelque chose de plus simple, comme la physique quantique » (p. 17). Sur une autre, il est question d’un « code incroyablement complexe qui va occuper les scientifiques pendant des années ! » (p. 71). On l’aura compris, appréhender ce qui se cache derrière le mot épigénétique n’est pas chose facile. Cette complexité touche à deux aspects. Tout d’abord, ce qui relève de l’épigénétique touche des phénomènes en apparence très divers, de l’influence de la température sur la détermination du sexe chez certaines espèces de reptiles à la spécialisation fonctionnelle des cellules au cours du développement embryonnaire (p. 73), en passant par l’inactivation du chromosome X (p. 84), le vieillissement (p. 124) ou le cancer (p. 133). Ensuite, à l’échelle moléculaire, les mécanismes à l’œuvre sont divers et souvent interdépendants, sachant que les facteurs « qui coordonnent la régulation épigénétique sont eux-mêmes régulés par des modifications épigénétiques » (p. 71). Sans compter qu’il n’y a pas une mais des définitions de l’épigénétique (p. 32). En dehors d’une définition par défaut, « l’épigénétique explique ce que la génétique seule ne peut expliquer » (p. 72), il s’avère que même dans le monde scientifique, il n’existe pas de consensus univoque à propos des contours de ce qui relève de l’épigénétique.

La notion de base, minimale, se réfère au fait que les cellules d’un organisme ont les mêmes gènes et peuvent présenter des caractéristiques différentes (cellules musculaires, nerveuses…). Cette spécialisation des cellules résulte du fait que, parmi tous les gènes, certains sont actifs (exprimés) et d’autres inactifs (silencieux).

L’épigénétique s’intéresse aux mécanismes qui sous-tendent cette expression différentielle des gènes selon le type cellulaire. La seconde notion importante est le maintien du « patron » d’expression des gènes, donc des caractéristiques épigénétiques, lors des divisions cellulaires (p. 31). Cette « mémoire » cellulaire fait qu’une cellule d’un certain type, de foie par exemple, ne peut normalement générer, après division, que deux cellules du même type, ici de foie. La dernière notion, objet de controverses, s’apparente à une « hérédité des caractères acquis », à savoir la transmission au travers de la descendance de certaines modifications acquises durant la vie d’un individu (p. 94). Des exemples d’hérédité épigénétique, qualifiée de « transgénérationnelle », sont décrits dans la littérature scientifique, qu’ils résultent d’expériences sur divers organismes modèles, dont la souris, ou d’analyses de données épidémiologiques humaines. Les auteurs de l’ouvrage, qui relatent certains exemples classiques, font néanmoins preuve de prudence quand il est question de l’existence d’une hérédité de type épigénétique dans l’espèce humaine (p. 109), évoquant simplifications et surinterprétations de certaines études ainsi que le fossé qui existe, en termes mécanistiques, entre corrélation et causalité. C’est ainsi le cas à propos du rôle de l’épigénétique dans les maladies : « Toute différence épigénétique entre cellules en bonne santé et anormales n’est pas significative, et certaines différences pourraient être une réponse à la maladie plutôt que la cause » (p. 126). Ce constat conduit les auteurs à consacrer deux pages à « Epigénétique et pseudoscience » (p. 156), ce qui ne sera pas pour déplaire aux lecteurs de Science & pseudo-sciences. Un dernier avertissement, présent à l’avant-dernière page, rappelant que « le domaine de l’épigénétique dans son ensemble est particulièrement vulnérable à la surinterprétation, au battage médiatique et même aux fausses déclarations délibérées » (p. 171). Ces précautions et mises en garde contrastent avec la relative légèreté de ton, la moindre réserve, d’autres ouvrages sur le sujet, dont certains qui sont analysés par ailleurs sur notre site.

L’épigénétique en images est donc très riche en informations, abordant des notions parfois complexes, la rigueur du propos étant contrebalancée par le ton souvent humoristique des illustrations, certaines toutefois plus décoratives que vraiment utiles. Deux manques sont à signaler : un sommaire hiérarchisé, utile pour se repérer plus aisément au travers d’un ouvrage foisonnant, et une liste de références scientifiques, permettant d’identifier les études auxquelles il est fait allusion. Cette dernière absence peut être le résultat d’un parti pris, celui de supposer que de telles références ne soient pas adaptées à un lectorat novice en la matière. En dehors de ces réserves, c’est un ouvrage complet qui fait bien le tour de la question épigénétique, apte à satisfaire l’appétit d’un large public, du néophyte à celui qui dispose déjà de quelques connaissances sur le sujet.


L’épigénétique ou la nouvelle ère de l’hérédité

Andràs Pàldi

Le Pommier, 2018, 182 pages, 10 €

Ce livre s’adresse plus à un public averti. Comme le titre l’indique, l’épigénétique est abordée sous l’angle de l’hérédité, suggérant les apports novateurs de celle-ci sur celle-là. Premier constat lorsque l’on parcourt le sommaire : plus de la moitié des pages sont consacrées à la génétique. L’épigénétique se définissant par rapport à la génétique, il peut paraître effectivement raisonnable de passer du temps à présenter cette dernière, depuis ses origines jusqu’à ses développements récents (l’ouvrage est une réédition d’un livre initialement paru en 2009, avec une mise à jour sous la forme de quelques pages intitulées « Dix ans après » qui concluent la partie « Perspectives »). Le but de l’auteur, selon lequel « l’épigénétique est née en réaction aux difficultés rencontrées par la génétique moléculaire » (p. 15), est de souligner les limites, voire les insuffisances de la génétique en termes de pouvoir explicatif dans le domaine de l’hérédité, limites que l’épigénétique permettrait de dépasser. La communauté des généticiens « orthodoxes » est décrite comme relativement conservatrice et rétive au changement, s’appuyant sur certains dogmes qui auraient freiné l’épanouissement des concepts de l’épigénétique. Cette opposition entre génétique et épigénétique peut paraître parfois artificielle, le fruit d’un parti pris personnel de l’auteur, car nombre de découvertes dans le domaine de l’épigénétique sont le fait de généticiens. « Les chercheurs d’aujourd’hui nous livrent simplement… l’état de leur savoir », peut-on lire en quatrième de couverture. Simplement ? On peut ici émettre une réserve, certains des concepts et idées développés dans l’ouvrage n’étant pas toujours aisément assimilables par un public non initié. À titre d’exemple, le principe proposé par l’auteur de « bistabilité » des états de la chromatine [La chromatine, constituée d’une association d’ADN et de protéines, est la structure habituelle des gènes sur laquelle nombre de mécanismes épigénétiques agissent pour réguler leur activité.] (p. 144) qui conduit celui-ci à conclure, d’une façon qui peut paraître contre-intuitive, que « la dynamique chromatinienne est un gage de stabilité dans le temps » (p. 148). Plutôt qu’un ouvrage de vulgarisation, ce livre s’apparente à un manifeste théorique destiné à ébranler certaines des certitudes de la génétique à l’usage de ceux qui ont un certain bagage dans le domaine.


Pour résumer… Face à un domaine scientifique pour le moins ardu, deux comportements caractérisent ceux, plus ou moins spécialistes du domaine, qui veulent en rendre compte : soit prendre le temps de décrire avec objectivité et précaution l’état d’avancement d’une science en train de se faire, soit « brûler les étapes » en extrapolant de façon subjective et hâtive certaines données, les unes acquises au travers de l’étude expérimentale de divers modèles biologiques dont le caractère extrapolable à l’espèce humaine reste à prouver, les autres reposant sur l’interprétation parfois délicate de données épidémiologiques. La première attitude est celle de L’épigénétique en images qui, au-delà du mode humoristique pour faire passer certaines idées complexes, rappelle les limites du pouvoir explicatif de l’épigénétique, même si, selon les arguments développés dans L’épigénétique ou la nouvelle ère de l’hérédité, l’épigénétique a permis de sortir du cadre devenu trop étroit de la génétique. La seconde attitude est prégnante dansLa révolution épigénétique (de Valérie Urman) , et surtout dans La symphonie du vivant (de Joël de Rosnay) où des données encore fragiles sont tenues pour acquises ou surinterprétées, certains faisant passer leur « ressenti » avant les « preuves », pour laisser libre cours à des extrapolations hardies, des analogies aventureuses, voire proposer de simples « recettes » de vie dont le lien supposé avec les découvertes de l’épigénétique apparaît pour le moins gratuit. Une part trop importante est ici donnée au spéculatif, à la « survente » des effets épigénétiques, qui l’emporte sur ce que le scientifique est véritablement autorisé à dire. La pente glissante du moindre effort intellectuel est préjudiciable à l’appréhension de résultats, certes souvent séduisants, d’un domaine de la biologie qui est loin d’avoir dit son dernier mot.


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