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Vers un dépassement de la controverse sur les OGM ?

Publié en ligne le 17 juillet 2024 - OGM et biotechnologies -
Introduction du dossier

« Alerte au soja fou » : c’est avec ce titre du journal Libération le 1er novembre 1996 que la controverse est lancée en France. Le journal se faisait l’écho de la campagne de Greenpeace Allemagne contre l’autorisation d’importation d’un soja génétiquement modifié venant des États-Unis. Le 18 décembre de la même année, la Commission européenne autorisait la culture et la commercialisation d’un premier maïs transgénique. Des programmes de recherches visant à étudier les modalités de la coexistence entre plantes transgéniques et conventionnelles sont lancés et un cadre juridique est progressivement mis en place. Cependant, sur le terrain politique, les organismes génétiquement modifiés (OGM) enflamment le débat public : autorisations, interdictions, saccages de champs expérimentaux et de laboratoires de recherche, recours juridiques… Le sujet est devenu un véritable symbole cristallisant de nombreuses dimensions sociales et politiques.

Si cette histoire est connue, celle du génie génétique l’est beaucoup moins. Elle remonte aux années 1970 avec la découverte des « enzymes de restriction » capables de fragmenter l’ADN et celle de vecteurs permettant d’insérer ces fragments dans une cellule. En 2012, l’histoire s’accélère : Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna publient dans la revue Science les résultats de leurs recherches sur la méthode Crispr-Cas9, ces « ciseaux moléculaires » qui permettent de modifier à volonté et à l’endroit désiré le programme génétique de n’importe quel organisme. Ces travaux leur valent le prix Nobel de chimie en octobre 2020. Depuis, les techniques d’édition du génome se multiplient, regroupées sous le terme de « nouvelles techniques génomiques », avec de nombreuses applications dans le domaine de l’agriculture (voir l’article de Christophe Robaglia, « Nouvelles techniques génomiques : le retour du fils du monstre OGM ? »).

Nature morte au maïs, Charles Ethan Porter (1847-1923)

Sauf à être expert du domaine, ces avancées sont difficiles à suivre : « L’histoire technique de la sélection végétale s’est dissoute dans une bataille entre pro-OGM et anti-OGM » [1]. Une partie de la confusion vient de la logique réglementaire qui définit un OGM comme résultant « d’un matériel génétique ayant été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement » (directive européenne de 2001). Dans cette définition, ce qui prime, ce sont les techniques utilisées et non pas les propriétés de l’organisme obtenu. Ainsi, le croisement de variétés végétales pratiqué depuis des millénaires et qui permet la sélection d’organismes au génome modifié n’est pas assimilé par la réglementation à la création d’OGM.

Les termes de ce débat pourraient cependant être rendus obsolètes par les récentes évolutions technologiques. Certaines des nouvelles méthodes mises au point génèrent des organismes dont il est impossible de déterminer le caractère artificiel ou naturel des modifications opérées. Peut-on alors, dans la réglementation, continuer à se référer aux procédés d’obtention utilisés, ou convient-il plutôt de se fonder sur la seule évaluation des bénéfices et des risques des plantes produites ? Un large consensus s’accorde à reconnaître la nécessité de faire évoluer la réglementation [2].

Espérons que les slogans dénonçant des « OGM cachés » et la rhétorique de la peur qui a brouillé toutes les cartes pendant près de trente années laissera la place à un débat serein. Et qu’une analyse de fond permettra des décisions éclairées prenant en compte les avantages pour l’agriculture (largement reconnues par les institutions scientifiques [2]), tout en évaluant et gérant au mieux les risques induits (voir l’article « Réglementation des nouvelles technologies d’édition du génome – Les avis des académies et des agences sanitaires ») ?

On n’en est pas encore là, en témoigne le récent saccage (21 juin 2024) par des militants antiOGM d’une parcelle de 28 m2, dans le nord de l’Italie. Cette parcelle portait une culture expérimentale de riz dont quelques courts segments d’ADN avaient été supprimés par la technique Crispr-Cas9 pour renforcer sa résistance à la pyriculariose, une maladie fongique dévastatrice représentant une grave menace pour la production de riz à l’échelle mondiale et aujourd’hui traitée par un usage très important de fongicides. Fruit d’une collaboration initiée en 2017 entre chercheurs de l’université de Milan, du Sainsbury Laboratory (Royaume-Uni) et du Max-PlanckInstitut für Biologie (Allemagne), ce riz qui s’inscrivait dans la catégorie des nouvelles techniques génomiques avait reçu toutes les autorisations pour un essai expérimental [3].

Jusque-là, les plantes génétiquement modifiées ont essentiellement profité aux agriculteurs (meilleurs rendements, moindre utilisation d’intrants, facilitation du travail au champ). Mais des variétés bénéficiant directement aux populations pour améliorer leur santé pourraient modifier profondément la perception de l’opinion publique (riz doré, tomate Gaba modifiée par la technique Crispr-Cas9), si elles n’étaient l’objet de campagnes hostiles (voir l’article de Catherine Regnault-Roger, « Aubergine Bt et riz doré : des OGM emblématiques objets de violentes oppositions »). La mise au point de nouvelles variétés génétiquement éditées qui soient plus adaptées aux conséquences du réchauffement climatique pourrait également être de nature à modifier les termes du débat.

Références


1 | Tournay V, « Les OGM, une histoire juridiquement brouillée », Pour la science n° 515, 30 juillet 2020.
2 | « Réglementation des nouvelles technologies d’édition du génome : académies et scientifiques donnent leurs avis », Conseil d’administration de l’Afis, 22 janvier 2024.
3 | “Disease-resistant Rice for Risotto”, communiqué commun des trois laboratoires, 12 juin 2024. Sur tsl.ac.uk