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L’affaire Hwang

Publié en ligne le 25 juin 2006 - Intégrité scientifique -

L’affaire Hwang défraie la chronique depuis la mi-novembre 2005, et les faits sont maintenant bien établis : l’avancée spectaculaire dans le domaine du clonage thérapeutique publiée par l’équipe coréenne en mai dernier ne repose sur aucune réalité et nous sommes en présence d’une imposture scientifique de première grandeur.

Les objectifs du clonage thérapeutique

Rappelons d’abord ce qu’est le clonage thérapeutique, que certains préfèrent appeler « transfert nucléaire ». Il commence par l’introduction d’une cellule (ou d’un noyau) provenant de la personne à soigner dans un ovule dont le noyau a été préalablement retiré. Si tout se passe bien, le pseudo embryon ainsi constitué entame son développement, à l’instar de celui qui donna en 1996 naissance à Dolly. Au bout de quatre ou cinq jours, il est dissocié pour obtenir des cellules souches embryonnaires homologues au donneur. Celles-ci pourront alors être cultivées au laboratoire afin d’en augmenter le nombre ; on induira ensuite leur différenciation vers le type cellulaire apte à traiter le malade. Le but est d’obtenir ainsi des neurones que l’on greffera pour lutter contre la maladie de Parkinson ou des cellules pancréatiques pour guérir le diabète ; ces greffons ne provoqueront pas de rejet puisqu’ils sont génétiquement identiques au patient. Il faut souligner que ce procédé n’est pour le moment qu’une hypothèse, il n’a été réalisé ni chez l’animal ni chez l’homme. Néanmoins, il est a priori concevable, et son succès ouvrirait la voie à tout un ensemble de thérapies cellulaires régénératrices. C’est donc un enjeu majeur du point de vue scientifique mais aussi médical... et commercial.

De patients efforts devenus succès ?

De fait, on en parle depuis au moins dix ans, depuis que la naissance de Dolly a montré que le clonage reproductif de mammifères était possible. Les recherches ont fait l’objet de multiples débats, sont interdites dans certains pays (comme la France), autorisées ou tolérées dans d’autres. Une des premières tentatives sérieuses fut, en 2001, celle de l’entreprise Advanced Cell Genetics, aux États-Unis 1, avec des résultats décevants : seuls quelques embryons avaient commencé à se diviser, et aucun n’avait dépassé le stade de six à huit cellules, bien antérieur à celui (appelé « blastocyte ») nécessaire pour en extraire des cellules souches. Un peu plus tard, un laboratoire américain avait montré, sur le singe, que l’obtention d’un embryon viable par transfert nucléaire se heurtait, chez les primates, à des difficultés spécifiques qui n’existent pas chez la brebis ou les bovins. Cela suggérait la quasi-impossibilité du clonage thérapeutique (et reproductif, bien sûr) chez les primates, donc chez l’homme. Cependant une équipe coréenne publiait, en mars 2004, un article dans lequel, grâce à une méthodologie particulière et à une optimisation minutieuse des différentes étapes, le développement de plusieurs embryons clonés humains avait pu être observé jusqu’au stade blastocyte. Les chercheurs avaient même réussi à dériver une lignée de cellules souches embryonnaires à partir de l’un de ces blastocytes. Il s’agissait déjà de l’équipe de Hwang ; sa publication, dans Science, l’une des meilleures revues mondiales, comportait quelques ambiguïtés, mais elle fut très généralement acceptée comme un progrès essentiel montrant que l’obstacle technique était levé. Un an plus tard, les mêmes auteurs rapportaient dans la même revue un travail beaucoup plus avancé, dans lequel onze lignées de cellules souches embryonnaires avaient été créées en utilisant des cellules de peau prélevées sur autant de malades. Cette fois le but semblait à portée de main, d’autant plus que le nombre d’ovules mis en œuvre était relativement raisonnable, une dizaine par lignée obtenue. Il ne restait plus qu’à consolider et diffuser la méthode 2 et l’on commençait déjà à imaginer les essais thérapeutiques...

Falsification et orgueil national

Hélas, ces espoirs devaient s’effondrer au cours d’une fin d’année 2005 riche en rebondissements et en coups de théâtre. La première alerte, courant novembre, concernait la manière dont les centaines d’ovules nécessaires avaient été obtenus et motivait le retrait volontaire du seul co-auteur américain, Gerald Schatten 3 : bien que Hwang ait affirmé que ces ovules provenaient de dons libres et gratuits, il s’avérait bientôt que certains avaient été achetés à des « donneuses » et que d’autres provenaient de jeunes techniciennes de l’équipe - dont on imagine la vulnérabilité face aux pressions de leur tout-puissant patron. À peine Hwang avait-il fini par admettre ces manquements à l’éthique que l’on découvrait que certaines photos des lignées publiées dans l’article de Science étaient « en double », c’est-à-dire que les mêmes images illustraient des lignées différentes. C’était ensuite au tour des profils d’analyse, censés démontrer l’identité génétique des lignées avec les malades, de paraître suspects lors d’un examen approfondi. Accusé par l’un de ses collègues, au cours d’un mælstrom médiatique sur fond de concurrence entre chaînes de télévision et d’appels à l’orgueil national, Hwang reconnaissait avoir « perdu » la moitié des lignées à la suite d’une (opportune ?) contamination mais affirmait qu’au moins deux d’entre elles subsistaient. Une commission d’enquête coréenne révélait, fin décembre, que l’ensemble avait été falsifié et Hwang démissionnait de toutes ses fonctions. Le rapport final, publié le 10 janvier 4, infirme les deux publications sur les cellules souches humaines et indique clairement que les données ont été inventées (il valide en revanche le clonage d’un chien réalisé par la même équipe en 2004). Les deux articles de Science ont été officiellement retirés par l’éditeur (procédure tout à fait inhabituelle), et des actions pénales sont lancées par les institutions coréennes, qui avaient investi plus de quarante millions de dollars dans le soutien de ces recherches...

Le contexte économique et politique

Timbre émis en l’honneur de Hwang par les postes coréennes en février 2005 (1,6 millions d’exemplaires). À gauche, un ovule maintenu par une pipette et en cours d’injection ; au centre et à droite, un paralytique (que l’on imagine guéri grâce au clonage thérapeutique) se lève de son fauteuil roulant pour aler embrasser sa dulcinée...

Il s’agit là de l’une des plus grandes fraudes scientifiques de l’histoire, exceptionnelle par ses répercussions scientifiques, industrielles et même politiques. Hwang avait fourni les résultats espérés par une bonne partie de la communauté scientifique et médicale 5, démontrant la faisabilité du clonage thérapeutique : comme le disait un commentaire paru à l’époque, c’était là « un travail que les observateurs considèrent à la fois comme remarquable et comme inévitable ». Cette réussite encourageait les chercheurs à poursuivre leurs travaux sur les cellules souches embryonnaires, éclaircissait les perspectives des entreprises engagées dans ce secteur difficile et apportait un argument de poids à ceux qui se battaient pour obtenir l’autorisation des recherches sur le clonage thérapeutique. C’est en effet un enjeu politique, notamment aux États-Unis. En schématisant un peu, le centre gauche, démocrates et entrepreneurs de l’industrie biomédicale notamment, réclame que ces recherches soient autorisées et soutenues, tandis que les conservateurs, républicains, protestants fondamentalistes et réactionnaires de tout poil, opposés à l’avortement et à toute recherche sur l’embryon, se battent pour leur interdiction. Du coup, cette même droite tend à exagérer les espoirs que représentent les « cellules souches adultes » prélevées directement sur les malades, sans passage par un embryon et donc sans problème éthique 6. Évidemment, la révélation des turpitudes de Hwang ne peut que faire plaisir à ces conservateurs, il n’est que de consulter le site « Généthique » émanant de la fondation Lejeune 7 pour le constater...

Le rôle des publications scientifiques

Il est indubitable que, pour le clonage thérapeutique, nous sommes revenus à la case départ. Les seuls résultats vraiment positifs ayant été invalidés, il est impossible de savoir si ce procédé pourra représenter un jour une approche thérapeutique efficace, et les espoirs qu’y avaient mis plusieurs associations de malades sont reportés à un avenir indéfini. La cote boursière des entreprises concernées 8, tout comme les crédits publics consacrés à ces études, vont certainement en souffrir. Plus largement, l’image de la science et des chercheurs, déjà passablement écornée, ne sort pas grandie de cet épisode. Cela d’autant plus qu’il ne s’agissait pas cette fois d’une affirmation marginale et contestée (comme le fut en son temps la « mémoire de l’eau »), mais d’un travail très généralement considéré comme valide et publié sans réserves par une excellente revue. Attardons-nous sur ce point, car, en tant que scientifiques, nous insistons souvent sur la nécessité de se reporter à ces publications pour évaluer le sérieux des annonces faites dans les médias...

Science est l’une des trois ou quatre meilleures revues de biologie. Il n’est pas facile d’y être publié : les deux tiers des manuscrits soumis sont rejetés au niveau éditorial pour manque d’intérêt suffisant ou de nouveauté évidente. Une partie seulement de ceux qui passent cette étape et sont envoyés pour examen à des experts (les reviewers) seront finalement acceptés, souvent après d’importantes modifications et moyennant l’inclusion de données complémentaires. Mais, contrairement à ce qu’imaginent probablement nombre de non-initiés, l’analyse des reviewers ne porte pas sur la validité des résultats : impossible de s’en faire une idée sans répéter les expériences, ce qui est totalement irréaliste. Les experts, chercheurs reconnus dans le domaine 9, évaluent la cohérence du manuscrit, vérifient que les conclusions annoncées sont justifiées par les données présentées et indiquent si, à leur avis, l’ensemble est assez solide et novateur pour justifier une parution dans Science. Ils sont donc à la merci d’un faussaire assez habile pour inventer un ensemble de données convaincantes... Dans le cas présent, les délais d’instruction de l’article de Hwang ont été conformes à la norme (une soixantaine de jours, un peu moins que la moyenne, mais à l’évidence il s’agissait d’une nouvelle importante), et tout ce que l’on peut reprocher aux experts est de n’avoir pas décelé les figures en double et les tracés suspects - mais honnêtement, même en relisant les articles aujourd’hui, ces trucages ne sautent pas aux yeux...

« Le clonage rend fou »

Quelle morale tirer de cette affaire dont les répercussions vont probablement être durables ? L’imposture de Hwang a sans nul doute été favorisée par le climat d’extrême compétition qui règne dans la recherche biomédicale et tout particulièrement autour du clonage, qu’il soit thérapeutique (pour l’homme) ou reproductif (pour l’animal). Dans ce contexte, la volonté des autorités coréennes de faire apparaître leur pays comme un haut lieu de la nouvelle biologie était patente, et elles ont fait preuve en la matière d’un nationalisme exacerbé 10. La compétition, l’élitisme sont certes (à mon sens du moins) indissociables d’une recherche performante, mais on atteint peut-être ici une limite où intérêts scientifiques, économiques, politiques (le clonage thérapeutique versus les cellules souches adultes) et nationalisme ont tous joué dans le même sens. Comme l’a fort bien dit Axel Kahn, « le clonage rend fou », parce qu’il regroupe tous ces enjeux et, en outre, fait l’objet d’une exploitation médiatique intense. Peut-être faudrait-il calmer un peu le jeu, ce fiasco va d’ailleurs y contribuer...

La reproductibilité, seul critère vraiment fiable

Au niveau des revues scientifiques, des adaptations sont nécessaires. La chasse aux « faux auteurs » 11, déjà ouverte (plusieurs journaux demandent que chaque signataire précise la part qu’il a prise à l’étude) devrait être intensifiée. Autre élément, la publication de résultats négatifs, notamment de la part d’équipes qui ont tenté sans succès de reproduire une avancée importante, devrait être encouragée. Elle est actuellement très difficile, car, pour les responsables éditoriaux, ces informations ne sont pas « porteuses »... On en arrive à ce que seuls les initiés, les spécialistes du domaine, sachent que certains travaux n’ont jamais pu être reproduits et que leurs conclusions sont probablement fausses. Il faut que cette politique change et que ces contre-expertises soient publiées, ne serait-ce que sous une forme très abrégée. Peut-être convient-il enfin de s’interroger sur le sérieux de certains reviewers et d’examiner comment la qualité de ce « jugement des pairs » pourrait être améliorée 12 ?

Je vais tout de même m’autoriser à conclure sur une note optimiste, en constatant que l’imposture de Hwang n’a pas duré bien longtemps : un succès d’une telle portée mobilise forcément de nombreux scientifiques qui, dès lors, vont l’examiner de près et tenter de répéter les expériences dans leur laboratoire afin de poursuivre dans la voie ainsi ouverte. Les manquements éthiques ont attiré l’attention et ont suscité des investigations qui ont révélé la falsification des données, mais cette dernière aurait de toutes façons été découverte. Le vrai critère de la vérité scientifique, c’est la reproduction des expériences de manière indépendante, et ce filtre, qui certes n’agit que a posteriori, a maintes fois prouvé son efficacité. Il faudra insister sur ce point, face à la vague de commentaires qui ne se priveront pas d’utiliser cette affaire pour jeter le discrédit sur l’ensemble de la science... et pour promouvoir par la même occasion des doctrines aussi fumeuses que catégoriques.

1 Où ces recherches ne sont pas interdites sous réserve d’être exclusivement financées par le privé.

2 Un « Consortium mondial des cellules souches » était créé à cet effet, sous la direction de Hwang.

3 Celui-là même qui avait précédemment publié les résultats sur le singe montrant la quasi-impossibilité du clonage chez les primates. Le fait qu’il signe l’article de Hwang avait contribué à convaincre du sérieux de ces travaux.

4 On peut consulter le rapport final de la commission d’enquête coréenne à l’adresse http://www.snu.ac.kr :6060/engsnu [page indisponible — 27 juillet 2019]

5 On aimerait comprendre comment il en est arrivé là : a-t-il pris ses désirs pour des réalités, en s’auto-intoxicant jusqu’à l’aveuglement et jusqu’à « arranger » ses données, ou s’agit-il d’une falsification consciente et machiavélique ? L’avenir nous éclairera peut-être sur ce point.

6 Ironie supplémentaire, les résultats les plus prometteurs sur les cellules souches adultes, obtenus aux États-Unis par la chercheuse française Catherine Verfaillie, n’ont pu être reproduits par d’autres laboratoires et sont aujourd’hui remis en cause (sans qu’il soit dans ce cas question de fraude scientifique).

7 http://www.genethique.org/. Rappelons que le Professeur Lejeune fut l’un des fondateurs, en 1971, du mouvement anti-IVG « Laissez les vivre »

8 La cote boursière de toutes les sociétés de biotechnologie coréenne a baissé de 30 à 50 % entre début et fin décembre 2005...

9 Leur travail est bénévole, mais il est aussi prestigieux et générateur d’influence dans le milieu.

10 Au point de publier un timbre à la gloire de Hwang montrant un malade paralysé qui se lève de son fauteuil...

11 Il est malheureusement courant que la liste des auteurs d’un article comporte des personnes qui n’ont nullement participé au travail, mais s’estiment en droit de le signer parce qu’elles dirigent l’institut auquel appartient l’équipe ou ont contribué à l’obtention de fonds. Parfois les « vrais » auteurs eux-mêmes sollicitent ces signatures afin de donner plus de poids à leur manuscrit et de faciliter son acceptation par une revue de haut niveau. C’est sans doute ce qui s’est passé pour Gerald Schatten, signataire de l’article de 2005.

12 Dans la situation actuelle certains reviewers, trop souvent sollicités, ne consacrent pas le temps nécessaire à ce travail bénévole.

Publié dans le n° 271 de la revue


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L' auteur

Bertrand Jordan

Biologiste moléculaire et directeur de recherche émérite au CNRS. Auteur de nombreux articles et d’une douzaine (...)

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