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Iridologie : de la poudre aux yeux

Publié en ligne le 4 avril 2020 - Médecines alternatives -

L’iris, en botanique, est un genre de plante vivace à grandes fleurs qui embellit les jardins au sortir de l’hiver. Dans la mythologie grecque, c’est une messagère divine, qui glisse sur l’arc-en-ciel. Mais il s’agit aussi, en anatomie, de cette membrane colorée qui donne toute sa beauté à l’œil humain et dont l’observation attentive permettrait, selon un postulat de l’iridologie, de déceler toutes les faiblesses de l’organisme. Passage d’un mythe à… l’ophtalmoscope.

Un instrument d’optique naturel…

Chez l’être humain, l’iris est une membrane pigmentée située sur la face antérieure de l’œil, à environ 1,5 mm en arrière de la cornée et percée par la pupille. Cette membrane est constituée de deux couches de cellules :

  • une couche de tissu conjonctif, qui se forme chez l’embryon, à huit semaines de grossesse ;
  • une couche de cellules pigmentées, les mélanocytes, dont la densité définit la coloration de l’iris. Cette couche se forme à la seizième semaine de grossesse, et continue d’évoluer après la naissance, mais uniquement dans les premiers mois, voire les premières années de vie.

L’iris est également constitué d’un muscle sphincter et d’un muscle dilatateur. L’action antagoniste de chacun de ces muscles iriens permet la modulation de la quantité de lumière atteignant la rétine. Ainsi, l’iris est un véritable diaphragme optique qui se structure au cours de l’embryogénèse, et dont seule la pigmentation change encore après la naissance, durant quelques mois ou années tout au plus. Au-delà, sauf pathologie spécifique 1 ou dépigmentation progressive chez les sujets âgés, l’iris n’évolue plus. Comme les empreintes digitales, il est caractéristique d’un individu, et différencie même des jumeaux homozygotes. Raison pour laquelle il est possible de concevoir des systèmes de sécurité basés sur la reconnaissance de l’iris.

…ardent miroir du corps

Pourtant, il existe une discipline, l’iridologie, que ses adeptes qualifient volontiers de scientifique, dont les fondements mêmes sont en opposition avec ces propriétés de l’iris. On apprend, sur « iridosite », le site de  « l’iridologie de terrain » [1], que l’examen de milliers d’iris a permis de constater qu’il se produisait  « dans l’iris au cours de la vie, trois grandes métamorphoses fondamentales […] en relation très étroite avec les trois phases évolutives des modifications physiques et biologiques de l’organisme » 2. Vous doutez de ces métamorphoses comme des miroirs ardents d’Archimède 3 ? Pourtant, le mécanisme qui les sous-tendrait  « a été communiqué au cours d’une conférence ayant pour titre “Les bases fondamentales de l’Iridologie de terrain”, lors des 1ers Entretiens de Monaco sur les médecines énergétiques, le 22 novembre 1985 ». Ainsi, alors que pour le médecin scientifique qui recherche  « la nature précise de la maladie », l’examen de l’iris serait  « peu performant », il en va tout autrement pour le naturopathe qui, lui, rechercherait  « les capacités réactionnelles en rapport avec l’auto-guérison et les causes profondes du déséquilibre physiologique » et pour qui  « l’iris est particulièrement riche d’informations ». L’observation de la tonicité des fibres qui composent l’iris lui donnerait une  « impression générale de l’état de santé » du patient, tandis que les signes particuliers (taches, dépôts, bosses…) lui indiqueraient  « de potentielles faiblesses et d’éventuelles prédispositions à telle ou telle maladie ». Par ailleurs, chaque zone de l’iris correspondant à un organe donné du corps, comme un  « tableau de bord » [2], la localisation de ces signes particuliers permettrait de déduire assez précisément l’origine du mal… Dire que des esprits bornés ont inventé l’imagerie à résonance magnétique alors qu’il suffisait d’examiner les yeux d’un patient à l’ophtalmoscope pendant un quart d’heure ou encore de procéder à une iridographie, un simple  « procédé photographique ou vidéo permettant de travailler sur un agrandissement des iris » [3] !

Enfin, il existerait des  « profils des faiblesses constitutionnelles », liés à la couleur des yeux. Les individus aux yeux clairs  « auraient un système immunitaire fragile » les prédisposant  « aux allergies, asthme, eczéma, migraines, arthrite » ; alors que des yeux marrons traduiraient une sensibilité particulière  « aux troubles circulatoires, hépatiques et bilieux » [4]. Les gens du nord, qui, comme le chante si bien Macias, ont dans les yeux le bleu qui manque à leur décor, seraient-ils donc plus allergiques que les autres ? Et les personnes aux yeux vairons, cumulent-elles les « faiblesses constitutionnelles » ?

La messagère des dieux

Il va de soi que lire dans l’iris le passé et l’avenir médical d’un patient n’est pas à la portée du premier oracle venu. Pour exercer, il vous faudra  « posséder un certain nombre de compétences en psychologie, en biologie mais également en spiritualité » [2], vous permettant de devenir le messager du corps de votre client comme Iris était la messagère d’Héra. Si vous souhaitez donc vous lancer, vous pourrez obtenir vos qualifications après avoir suivi une formation de 1 200 h de naturopathe iridologue, prodiguée par l’Anindra (Association naturopathie iridologie nouvelle dynamique de responsabilisation et d’autonomie), moyennant le paiement d’une petite dizaine de milliers d’euros [5]… à moins que vous ne choisissiez une voie plus courte offerte par « l’académie européenne des médecines naturelles » (36 h de formation pour 500 euros, examen final compris) [6]. Mais peut-être préférerez-vous suivre, d’un pied prompt, une visioformation en ligne de trois jours proposée par le site quantiquechakras.com [7], qui vous permettra de devenir thérapeute sans quitter votre divan.

Iridologie ? Mon œil !

© PeterHermesFurian, Istockphoto.com

Soyons clairs. L’iridologie ressemble à toutes les autres pseudo-thérapies qui exploitent toujours les mêmes ficelles pour travestir la réalité tout en se parant des habits de la science. Elle se caractérise en effet par :

  • une vue holistique du corps humain, que l’on retrouve dans l’iridologie comme, pour ne citer que quelques exemples fameux, dans l’énergiologie [8], la géobiologie de l’habitat [9] ou encore la chromothérapie [10] ;
  • un détournement de notions scientifiques et le déploiement d’un corpus de concepts qui paraissent élaborés mais reposent en réalité sur des préceptes fallacieux ; ces concepts sont souvent enchevêtrés, ce qui donne une illusion de complexité et rend possible l’établissement de passerelles entre pseudo-sciences ;
  • une mise à profit de la sensitivité du thérapeute, qui permettrait à ce dernier par exemple de « capter l’énergie », de « voir des biochamps » ou encore de se relier à des « entités spirituelles ». Bien entendu, ces pseudo-perceptions extrasensorielles n’ont rien à voir avec la science dont la réussite à expliquer et maîtriser le monde tient d’ailleurs principalement au fait qu’elle exclut, dans sa démarche, la subjectivité de l’expérimentateur. Comme l’écrivit Jean Piaget 4,  « le propre de la connaissance scientifique est […] de parvenir à une objectivité de plus en plus poussée ».

Certains auteurs prétendent mettre en évidence des preuves de l’efficacité de l’iridologie, via des études suggérant des résultats positifs qui ne seraient pas attribuables au hasard (par exemple [11, 12, 13]) publiées dans des journaux qui, il faut bien le dire, ne brillent pas toujours par leur cartésianisme... Mais beaucoup d’autres sont critiques et démasquent aisément les fondements ésotériques de l’iridologie (par exemple [14, 15, 16, 17]). À l’image du chercheur Pete Greasley, du département de recherche médicale de l’université de Lancaster, qui estime que  « l’examen des fondements historiques et des principes soustendant […] l’iridologie […] révèle une logique basée sur des analogies, ce qui est une base commune de la pensée magique et des croyances pseudoscientifiques » et  « que soumettre [l’iridologie] à l’évaluation empirique revient à évaluer l’absurde 5  » [18]. Posons-nous ainsi la question : quelle est l’hypothèse plausible ? Que l’iris, une membrane pigmentée formée durant l’embryogénèse, entretienne un lien inconnu avec toutes les parties du corps et permet d’en révéler les pathologies, cela à l’encontre de l’ensemble des connaissances acquises scientifiquement en anatomie et physiologie depuis quelques siècles ? Ou que les études démontrant une quelconque efficacité diagnostique de l’iridologie soient en réalité entachées d’erreurs ou de biais méthodologiques et statistiques ? Que l’on me permette de répondre que l’iridologie, loin d’être une science oculaire, n’est qu’une science... occulte !

Références

1 | iridosite.com<br/>

2 | « Naturopathe-iridologue  », sur bien-etre.ooreka.fr

3 | « Iridologie : un bilan de santé par étude de l’iris », sur espritsante.com

4 | « Qu’est-ce que l’iridologie ? », sur alarencontredesoi.re (page d’archive car le site n’existe plus)

5 | anindra.free.fr

6 | aemn.org

7 | « Iridologie », sur quantiquechakras.com

8 | « L’énergiologie : une pseudo-science à dormir debout », SPS n° 321, juillet 2017.

9 | « Géobiologie de l’habitat : un simulacre de science », SPS n° 316, avril 2016.

10 | « Chromothérapie : toutes les couleurs de la fausse science », SPS n° 312, avril 2015.

11 | Um JY et al., “Novel approach of molecular genetic understanding of iridology : relationship between iris constitution and angiotensin converting enzyme gene polymorphism”, The American Journal of Chinese Medicine, 2005, 33 :501-5.

12 | Demea S, “Correlation between iridology and general pathology”, Oftalmologia, 2002, 55 :64-9.

13 | Hussein SE et al., “Assessment of the potential iridology for diagnosing kidney disease using wavelet analysis and neural networks”, Biomedical Signal Processing and Control, 2013, 8 :534-41.

14 | Berggren L, “Iridology : A critical review”, Acta Opthtalmologica, 1985, 63 :1-8.

15 | Ernst E, “Not Useful and Potentially Harmful”, Arch Ophthalmol, 2000, 118 :120-1.

16 | Barrett S, “Iridology is nonsense” sur quackwatch.org

17 | Simon A et al., “An Evaluation of Iridology”, JAMA, 1979, 242 :1385-89.

18 | Greasley P, “Is evaluating complementary and alternative medicine equivalent to evaluating the absurd ?”, Eval Health Prof, 2010, 33 :127-39.

1 Au titre des pathologies touchant l’iris, on peut citer les tumeurs de l’iris ou encore l’iritis, une inflammation de l’iris qui semble associée à des maladies comme la sarcoïdose ou la polyarthrite rhumatoïde juvénile.

2 Ces phases seraient la phase d’identification (jusqu’à 25 ans, phase au cours de laquelle l’iris se structurerait peu à peu), la phase toxinique (correspondant à une diminution des capacités d’élimination des déchets, laissant apparaître des taches) puis la phase gérontoxale, liée au vieillissement.

3 Suivant la légende, des miroirs ardents, conçus par Archimède, auraient permis aux Carthaginois d’enflammer à distance les voiles des navires romains lors de la seconde guerre punique.

4 Logique et connaissance scientifique, Gallimard, 1967. Ouvrage collectif sous la direction de Jean Piaget.

5 Traduction par l’auteur.


Publié dans le n° 330 de la revue


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L' auteur

Sébastien Point

Docteur en physique, ingénieur en optique et licencié en psychologie clinique et psychopathologie. Responsable de (...)

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