Covid-19, hydroxychloroquine et traitement médiatique
Publié en ligne le 9 janvier 2023 - Covid-19 -L’hydroxychloroquine, un traitement antirhumatismal promu par le professeur Didier Raoult comme possible médicament pour la prise en charge des patients atteint de la Covid-19, a fait l’objet d’un nombre très important d’essais cliniques dû à la très forte médiatisation dont il a bénéficié. Il ne subsiste maintenant plus aucun doute à son sujet : le médicament est sans effet pour le traitement de la maladie, que ce soit à titre préventif ou curatif, et ce, quel que soit le degré d’avancement de la maladie. En parallèle, ses effets indésirables ont été largement documentés (voir par exemple la synthèse de l’OMS [1]). Les médias ont en général traité de son utilisation en médecine clinique en occultant ce qui relève des bonnes pratiques de recherche, voire en oubliant le principe de précaution souvent invoqué dans d’autres circonstances. Avant d’utiliser un médicament chez l’Homme, il faut des preuves d’efficacité. Au moment où la controverse s’est développée, il n’existait pas de données pharmacologiques en faveur d’une utilisation de l’hydroxychloroquine contre la Covid-19 chez l’Homme. Il n’y avait pas non plus d’études animales et son inefficacité avait été prouvée pour traiter d’autres maladies à coronavirus (SARS-CoV, MERS) ou d’autres maladies virales (Ebola, Chikungunya).
Il existait cependant des arguments basés sur des expériences in vitro, comme avec les virus voisins.
La couverture médiatique de la controverse a été intense et il est intéressant de se demander, a posteriori, comment l’information a été traitée, comment l’état des connaissances a été restitué par les médias. C’est à cette analyse que se sont attelés trois chercheurs suisses qui ont publié les résultats de leurs observations en septembre 2021 [2]. Pour eux, « la production et la diffusion d’informations fiables est essentielle » dans le débat public pour éviter une « idéologisation des débats scientifiques ». En effet, ajoutent-ils, « l’idéologisation pose un problème majeur si les faits réels et avérés ne sont pas au premier plan de l’analyse et que les préjugés imprègnent certaines pratiques journalistiques ».
Ils ont ainsi examiné les articles diffusés en ligne du 1er février au 13 juin 2020 par des journaux dits de référence : deux français (Le Monde et Le Figaro) et deux suisses (Le Temps et La Tribune de Genève). Bien entendu, les auteurs rappellent que « la liberté éditoriale est un principe indiscutable dans toute démocratie », mais ils estiment que, dans le cadre d’une crise sanitaire majeure, « il est crucial que la publicisation des débats scientifiques soit fondée sur une bonne qualité de l’information produite par les médias ».
Au total, ce sont près de 450 articles de presse qui ont été retenus après une recherche sur les termes « chloroquine », « hydroxychloroquine » 1, « plaquenil » et « Raoult » (185 articles pour lefigaro.fr, 142 pour lemonde.fr, 67 pour letemps.ch, et 64 pour tdg.ch – La Tribune de Genève). Les articles des journaux français représentaient ainsi une large majorité (73 %).
Ces articles ont été évalués à l’aune de trois critères :
- la pertinence de la sélection. Elle vise à mesurer à quel point « le sujet [traité par le journaliste] paraît bien sélectionné, d’un point de vue scientifique, pour éclairer le débat autour de la chloroquine » ;
- le cadrage de l’article. Différents angles peuvent être retenus par le journaliste pour décrire et contextualiser des faits ou présenter des points de vue. Ce cadrage peut « influencer la façon dont la question est perçue par le public ». Il est évalué au regard des différents principes déontologiques de la profession de journaliste, notamment l’équité et la distinction entre les faits et les opinions. Est également pris en compte le contexte de la publication en ligne (liens Internet associés, photos, vidéos) qui peut avoir un effet sur le lecteur quand il s’éloigne du registre des arguments scientifiques ;
- la tonalité de l’article. Il s’agit là d’évaluer l’attitude, favorable, neutre ou défavorable, visà-vis de l’hydroxychloroquine ou du Pr Raoult.
Les résultats produits et la comparaison entre les titres sont clairement présentés comme « un élément de réflexion […] indicatif » et ne prétendent aucunement rendre compte de tous les paramètres qui fondent la qualité d’un média. Les limites de l’étude sont soulignées et les auteurs rappellent que leurs travaux se situent « dans le cadre d’une approche [méthodologique] exploratoire ». Les quatre médias sont analysés et comparés.
Pour Le Monde, le choix des sujets est jugé « pertinent », mais « de nombreux articles se font dans un cadre où des informations, souvent extrascientifiques, viennent polluer la qualité de l’information (Raoult complotiste, Raoult et la folie de la chloroquine, amalgame avec Trump ou Bolsonaro…), ce qui décrédibilise d’entrée de jeu l’utilisation de la chloroquine ou le professeur Raoult ». Les auteurs rappellent que, pour eux, dans la période d’analyse (1er février au 13 juin 2020), il n’y a aucune démonstration scientifique de l’efficacité ou de l’inefficacité de l’hydroxychloroquine.
Pour Le Figaro, la pertinence est également jugée « élevée ». Mais, concernant la tonalité des articles, et contrairement aux trois autres journaux, elle est « favorable » (en faveur de l’efficacité du traitement promu par le Pr Raoult) pendant une longue période, « avant que cette dynamique ne s’écroule à partir du début mai ».
La Tribune de Genève ressort de l’analyse avec une sélection « pertinente à 100 % » et un cadrage quasiment du même niveau de qualité. En outre, « la dynamique des tonalités est également intéressante à observer tant elle contraste avec les deux journaux [Le Monde et Le Temps] » avec une position neutre, ni favorable, ni défavorable à l’hydroxychloroquine ou au Pr Raoult.
Pour les auteurs de l’étude, la réflexion menée va au-delà du simple cas de la polémique sur l’hydroxychloroquine : « Dans quelle mesure les pratiques journalistiques peuvent-elles expliquer certains contenus médiatiques [avec] un risque d’idéologisation associé ? » Ils appellent à la mise au point de méthodes et de protocoles permettant de systématiser ce genre d’analyse.
1 | Organisation mondiale de la santé, « Maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) : hydroxychloroquine », Questions et réponses, 30 avril 2021.
2 | Badillo PY et al., « Publicisation et qualité de l’information : la polémique sur la chloroquine », Communiquer, 2021.
1 Les auteurs de l’étude ont utilisé à tort le terme chloroquine (antipaludéen) en lieu et place de l’hydroxychloroquine (antirhumatismal). C’est aussi le cas dans certains des journaux analysés.
Publié dans le n° 341 de la revue
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L' auteur
Hervé Maisonneuve
Médecin de santé publique, il est consultant en rédaction scientifique et anime le blog Rédaction Médicale et (…)
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