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Un repas Bio par semaine dans la restauration collective ?

Publié en ligne le 16 décembre 2008 - Alimentation -

Un repas Bio par semaine dans la restauration collective. Telle est l’une des conclusions actées du « Grenelle de l’environnement ». Pourquoi ?

La raison de cette décision ne peut être la qualité supérieure des aliments Bio pour la nutrition et la santé. En effet, un très important rapport de l’Afssa publié en 2003, intitulé « Évaluation nutritionnelle et sanitaire des aliments issus de l’agriculture biologique », fruit de deux années de travail d’un groupe paritaire (filière Bio largement représentée), a clairement conclu à l’absence de différences significatives entre les aliments AB et les aliments conventionnels 1.

Les rares différences parfois citées dans le cas de quelques légumes et fruits portent sur des écarts de 15 à 20 % en faveur du Bio pour le magnésium (mais pas toujours) et de certaines substances anti-oxydantes (mais pas toutes). Cependant, ces faibles différences dépendent plus de facteurs de variation comme le stade de maturité ou le climat que du mode de production sans produits dits chimiques. En revanche, le blé AB est plus pauvre en protéines et a donc une plus faible valeur boulangère. Dans le cas du lait, les différences observées pour certains acides gras insaturés et vitamines ne font que traduire l’influence de l’alimentation à l’herbe, ce qui n’est pas l’apanage de l’AB. Il en est de même pour les viandes issues d’animaux bénéficiant d’un parcours extérieur, en élevage Bio ou traditionnel (la plupart des productions labellisées). De plus, la composition de la viande dépend surtout de l’âge à l’abattage (on ne peut pas comparer un poulet de 40 jours à une volaille Bio ou label rouge de 80 jours !). Quoi qu’il en soit, de tels faibles écarts éventuels ne concernant que quelques nutriments n’auraient qu’un impact nutritionnel insignifiant dans le cadre d’un régime alimentaire global. Même si les aliments Bio avaient quelque avantage, à quoi servirait-il d’en consommer dans un seul repas hebdomadaire en mangeant « n’importe quoi » dans les vingt autres repas ?

Au plan sanitaire, il est évidemment facile de reprocher aux fruits et légumes conventionnels un risque plus élevé de contenir des traces de produits phytosanitaires, mais ces résidus sont très faibles et réglementés (limites maximales fixées) et ne concernent plus les produits épluchés, lavés ou cuits. Quant aux teneurs parfois plus fortes en nitrates de quelques légumes, le risque (faible) ne concerne que les nourrissons, leur innocuité étant ensuite totale. D’un autre côté, on peut aussi reprocher aux produits Bio de contenir des traces de pesticides naturels qui n’ont pas fait l’objet d’études approfondies de toxicité, des teneurs parfois plus élevées (céréales) en mycotoxines cancérigènes et en divers contaminants chimiques, microbiens ou parasitaires caractérisant toute production en plein air, notamment le lait et l’œuf. Aucun aliment n’est à l’abri de telles contaminations, en particulier en zone industrialisée, périurbaine ou de fort trafic routier ou aérien.

Dans le cas particulier des cantines scolaires, le meilleur service à rendre aux enfants pour leur nutrition et leur santé serait de les aider à manger varié et équilibré, en favorisant les légumes et les fruits (Bio ou non !) et la présentation appétissante des plats. Le principal problème pour les enfants est de manger suffisamment en acceptant ce qui leur est proposé et d’apprendre à manger de tout ! Là doit résider le principal effort à faire !

Pour l’éducation nutritionnelle et civique des enfants, il serait déraisonnable de diaboliser les engrais minéraux, qui ne sont rien d’autre que des aliments normaux de la plante, et de leur laisser croire que l’on peut s’en passer. Alors que l’on manque déjà de céréales (dont les cours mondiaux flambent), de pommes de terre, de lait, etc., ce n’est certainement pas le moment de réduire les rendements agricoles ! Sauf à négliger ce qui se passe dans le monde et à vivre égoïstement dans sa niche de pays nanti, il ne faut pas oublier qu’il faudra nourrir 3 milliards de bouches de plus avant 2050 et qu’il faudra pour cela doubler la production alimentaire mondiale actuelle (ce qui ne se fera pas sans engrais, comme vient de le confirmer le directeur de la FAO après une annonce très médiatisée et faussement attribuée à la FAO pendant l’été 2007).

Il faut aussi prendre en compte le prix plus élevé des aliments Bio (justifié par un coût plus élevé du travail et des rendements plus faibles). Si la demande augmente rapidement, l’offre intérieure ne suivra pas (déjà près de la moitié des aliments Bio est importée) et les prix augmenteront encore. Et que penser de la garantie sanitaire des produits Bio importés de pays dont la réglementation est plus souple, par exemple le blé d’Europe de l’Est ?

Alors, pourquoi cette proposition du « Grenelle de l’environnement » ? Parce qu’il a été décidé, pour des raisons légitimes de protection des ressources naturelles (sols, eau) et pour répondre à la demande sociétale, de favoriser l’agriculture biologique (qui n’utilise pas de produit chimique de synthèse) en faisant passer la superficie utilisée de 2 % de la surface agricole utile actuellement à 6 % dans quelques années. Il importe donc d’augmenter ses débouchés, en commençant par un secteur directement influençable comme la restauration collective. Mais l’objectif réel est la contribution à la protection de l’environnement et non pas, comme le pensent les consommateurs, la préservation de la santé publique (les pays du nord de l’Europe l’ont bien compris et admis depuis longtemps) !

Enfin, parmi les peurs irraisonnées qui encouragent à consommer Bio, on ne peut occulter les OGM, effectivement interdits en agriculture biologique mais qui ne sont pas non plus autorisés de façon générale en alimentation humaine en Europe. Les plantes transgéniques sont pourtant incontournables et notre pays, comme les autres, les acceptera aussi dans un très proche avenir. Seul le progrès scientifique permettra de réduire progressivement le nombre des affamés du monde… à la condition de ne pas céder au chantage de quelques autres « affamés volontaires » de notoriété mais qui ne risquent rien !

Nourrir 9 milliards d’habitants en 2050

Le « Grenelle de l’environnement » a mis l’accent sur l’agriculture biologique et sur ses perspectives de développement. Si l’on ne considère que les raisons environnementales légitimes, les pays développés comme la France peuvent s’offrir le luxe d’augmenter la production et la consommation de produits Bio. Cependant, l’argument avancé ne peut être la nutrition et la santé humaine, car la valeur qualitative ajoutée n’est pas significative. […]

Alors que l’on va droit vers une pénurie mondiale d’aliments de base (céréales, pomme de terre, lait…), il semble déraisonnable d’encourager à grande échelle une forte et inévitable diminution des rendements. De plus, si les prix des produits Bio diminuent par suite d’une offre plus grande, comme d’aucuns l’espèrent, l’agriculteur AB y trouvera-t-il encore son compte sans des subventions importantes ? Par exemple, acceptera-t-il des rendements faibles en blé alors que les cours mondiaux flambent ? Il devra aussi penser à son revenu, à sa survie… et éventuellement à celle des futurs 9 milliards d’habitants de la planète ! Ne serait-il pas plus sage d’encourager une forme d’agriculture raisonnée, encore plus durable, socialement et économiquement acceptable ? […] D’aucuns prétendent aussi que la production actuelle mondiale de céréales (maïs, blé, riz…) serait suffisante pour nourrir bien plus que les 6,5 milliards d’habitants actuels de la planète. Ils oublient sans doute que la moitié de cette production mondiale (environ 2 milliards de tonnes) est destinée à l’alimentation animale, principalement des volailles et des porcs. Il faudrait donc décréter que le modèle humain omnivore est réservé aux nantis et que tous les autres, c’est-à-dire l’immense majorité, devraient se tourner vers le végétarisme ! De plus, une telle affirmation est particulièrement malvenue dans une période où les stocks mondiaux de céréales sont au plus bas et où, depuis plusieurs années, la production est inférieure à la consommation. Et il en sera de même pour le lait ! [...]

Qu’adviendra-t-il dans 40 ans lorsqu’il faudra nourrir 9 milliards de bouches, soit 2,5 milliards de plus, et y ajouter les 850 millions qui ont actuellement faim, sans compter les deux milliards qui ne sont pas affamés mais qui souffrent de carences diverses en minéraux, oligoéléments et vitamines, aux conséquences pathologiques graves ? Un débat récurrent, notamment à l’Académie d’Agriculture de France, porte sur le thème « Le monde pourra-t-il nourrir 9 milliards d’habitants en 2050 ? ». Il y a toutes les raisons d’être pessimiste, même en intensifiant encore l’agriculture dite productiviste.

Léon Guéguen
« Agriculture biologique et sécurité alimentaire mondiale », SPS n° 280, janvier 2008