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Sciences et Avenir : une certaine « vérité sur le bio »

Publié en ligne le 30 septembre 2011 - Agriculture -

Le numéro de septembre de la revue Sciences et Avenir consacre un important dossier sur l’alimentation bio et titre en gros sur sa couverture « La vérité sur le Bio ». Malheureusement, force est de constater qu’en guise de vérité, Sciences et Avenir se fait le porte parole idéologique de ceux pour qui le bio est la panacée. La rigueur scientifique est totalement absente, la parole est presque exclusivement donnée aux militants de la cause bio, sans le moindre regard critique de la rédaction, sans que soit évoqué sur chacun des sujets traités l’état réel de la connaissance scientifique.

Léon Guéguen, membre du comité de parrainage scientifique de l’AFIS et collaborateur régulier de la revue Science et pseudo-sciences, interviewé par le magazine (un des rares passages un peu critique du dossier) a adressé à la rédaction du magazine Sciences et Avenir une lettre de protestation que nous reproduisons ci-dessous dans son intégralité. Cette lettre devrait être publiée, tout ou partie, dans le courrier des lecteurs de Sciences et Avenir.

La bactérie tueuse et le bio

Le parti pris est affiché dès l’éditorial. La directrice de la rédaction précise l’objectif : restaurer l’image du bio qui a pâti des ravages de la bactérie Escherichia coli (voir SPS n°297, juillet 2011). Un article essaie d’ailleurs de dédouaner complètement les pratiques de l’agriculture bio dans l’épidémie qui a touché l’Allemagne avant l’été et a fait 51 décès, et plus de 800 personnes hospitalisées, dont certaines garderont des graves séquelles toute leur vie.

Pourtant, les risques microbiologiques sont accrus pour les cultures bio (l’usage du compost bio augmente le risque de contamination bactérienne), même s’ils sont plutôt bien gérés (et des accidents peuvent se produire dans toutes les filières). Mais loin de cette prudence qui aurait été de bon aloi, la journaliste de Science et Avenir tente discrètement de mettre en cause... l’utilisation d’antibiotiques en médecine vétérinaire «  en imaginant un scénario qui exonère le bio ». Plutôt que l’imagination d’un tel scénario, un état de la connaissance des accidents déjà répertoriés dans la filière bio 1 aurait été plus honnête vis-à-vis du lecteur. Tout aussi spécieux, l’argument consistant à dire que « le problème, ce n’est pas le bio, ce sont les graines germées », oubliant de préciser que les graines germées labellisées AB ne peuvent pas bénéficier de certains traitements qui auraient pu éliminer la bactérie (eau chlorée, techniques d’ionisation) 2.

Le bio et la santé

Un autre article titre « Oui, le bio est bon pour la santé », sans préciser que toutes les études ont montré qu’il n’était pas meilleur que le reste de notre alimentation et qu’il n’avait pas de vertu sanitaire particulière (voir par exemple 3 4). Au passage, le magazine se fait l’avocat des 20% de produits bio dans les cantines scolaires (décidés suite au « Grenelle de l’environnement »), sans mentionner que la plupart des nutritionnistes et professionnels de santé recommandent une éducation à l’alimentation équilibrée, plutôt qu’une croisade bio coûteuse et sans effet sanitaire pour les enfants (mais un effet bien réel en terme d’augmentation des débouchés de l’agriculture biologique).

Citons également ce titre : « 9 aliments bio sont totalement exempts de produits chimiques », sans préciser qu’il s’agit des produits chimiques de synthèse. De même, cet autre titre : « Eviter d’ingérer des pesticides de synthèse serait plus sain ». Plus sain que quoi ? Que les pesticides bio ? Certains produits utilisés en agriculture biologique ne sont pas exempts de dangers. Mais rappelons que tous nos aliments (bio ou pas) doivent respecter des normes sanitaires qui font que notre assiette (bio ou pas) est, dans nos pays, sûre.

Le vin bio et l’ésotérisme

Enfin, soulignons dans ce dossier un long article intitulé « Les secrets du vin au naturel » aux relents obscurantistes quand il est fait mention des méthodes biodynamiques qui « intègrent dans leurs pratiques culturales les cycles de la Lune et l’influence des constellations », sans oublier « les cornes de vache remplies de bouse et enterrées tout un hiver ». Ou quand il est allégué l’action de « doses infinitésimales d’extraits de prêle ou de bouse de vache très diluée dans l’eau [...] à l’instar de l’homéopathie ».

La vulgarisation scientifique que revendique Sciences et Avenir méritait bien mieux.

Lettre de Léon Guéguen à la rédaction de Sciences et Avenir

Je viens de lire dans le numéro de septembre de Sciences et Avenir le dossier rédigé sous votre coordination sur le Bio. Comme vous m’aviez sollicité pour ce dossier, je crois utile de vous faire quelques commentaires inspirés par une première lecture rapide.

Point positif (pour moi), vous avez reproduit littéralement le texte « interview » que je vous avais proposé et je vous en remercie. L’absence de coupures est si peu courante que cela mérite d’être souligné ! Je m’abstiendrai de commenter les propos surprenants de Marc Dufumier, agronome expert de la Fondation Nicolas Hulot et écologiste convaincu...

En revanche, je dois vous dire que l’ensemble m’a déçu car le parti pris en faveur du Bio est trop flagrant et l’acceptation aveugle des affirmations des militants Bio que vous avez interrogés, sans aucune contestation possible et souvent sans références, n’est pas acceptable dans une revue qui se veut scientifique et donc objective. Voici en vrac une série d’objections ou critiques, choisis dans une longue liste d’inexactitudes, voire d’erreurs grossières.

Le titre de couverture : il ne s’agit pas de « la » vérité sur le Bio mais de « votre » vérité, ce qui est quelque peu différent.

Autre titre : « oui, le bio est bon pour la santé ». Il aurait fallu ajouter « mais pas meilleur » !

Vous attribuez beaucoup de place aux déclarations, fort contestées dans la communauté scientifique, du journaliste-écrivain François Veillerette qui « s’insurge » et « manque s’étrangler » quand on n’épouse pas ses thèses et convictions. Pourquoi ne pas avoir cité et utilisé mon article récemment publié dans Sciences et pseudo-sciences sur les résidus chimiques et qui conteste les conclusions alarmistes de l’enquête de Générations futures sur l’assiette des enfants ? Vous connaissiez pourtant bien cet article que je vous avais envoyé et, à votre demande, confirmé la publication. Dois-je conclure que ses conclusions ne collent pas avec votre ligne éditoriale ? Dommage !

Vous avez cité le rapport de l’Anses sur l’alimentation totale des Français (pourtant publié après mon article) mais vous ne retenez que quelques chiffres présentés comme inquiétants en omettant de dire que les conclusions de ce rapport sont très rassurantes !

A propos du « refrain surprenant siffloté par quelques-uns » (pourquoi persifler ?) sur l’innocuité des nitrates, je dois rendre hommage à l’objectivité de Claude Aubert qui reconnait que nous avons probablement raison ! En revanche, je ne comprends pas son raisonnement quand il dit que « moralement, est-ce bien de manger des aliments qui nuisent à la santé de ceux qui les produisent ». Parmi bien d’autres exemples, il ne faudrait pas non plus se chauffer au charbon, bien plus nocif pour les mineurs !

Un exemple d’erreur grossière qui suit les propos attribués à Bruno Taupier-Letage : « pour se défendre contre les mycotoxines, les plantes secrètent des métabolites secondaires » ! Ce sont les insectes ou les champignons qui attaquent la plante (qui produit alors des toxines) mais pas les mycotoxines !
Enfin, que dire des digressions sur la méthode biodynamique dans le long chapitre consacré au vin ? De tels propos ésotériques inspirés de Steiner n’ont vraiment pas leur place dans une revue de vulgarisation scientifique respectant un minimum de rationalité !

Et pour clore cette énumération, pourquoi accompagner l’annonce du très bon livre de Gil Rivière-Wekstein de commentaires assassins du genre « à contre-courant des dernières recherches » et « peine à convaincre » alors que cet ouvrage est remarquablement documenté (bien plus que votre dossier) et très convaincant ! Mauvais procès qui n’apporte rien à votre crédit !

Léon Guéguen

1 « Les légumes de la peur », Marcel Kuntz, SPS n°297, juillet 2011

2 « Enquête sur la gestion ratée d’une crise sanitaire », Gil Rivière-Wekstein, http://www.agriculture-environnement.fr/Enquete-sur-la-gestion-ratee-d-une

3 « Évaluation nutritionnelle et sanitaire des aliments issus de l’agriculture biologique », Afssa 2003.

4 « Le point sur la valeur nutritionnelle et sanitaire des aliments issus de l’agriculture biologique », Léon Guéguen et Gérard Pascal, Cah Nutr Diét, 2010, 45 : 130-143.