Les clés du champ
Publié en ligne le 7 novembre 2024François Parcy, préface de Pierre Laszlo
Humensciences, 2024, 235 pages, 18 €
Le livre de François Parcy, chercheur 1 au CNRS de Grenoble et médaille d’argent de cet organisme, intéressera tous ceux qui se sentent concernés par les enjeux contemporains autour de l’ingénierie génétique et plus généralement par les choix sociétaux associés au progrès scientifique et technique, et pas seulement les spécialistes d’agronomie ou les amateurs de botanique.
Son premier mérite est de faire justice, par un rappel des fondamentaux sur l’évolution de la plupart des plantes comestibles, à l’illusion fallacieuse que représente l’argument omniprésent de « l’appel au naturel ». Le début du livre développe ainsi de multiples exemples de l’origine non naturelle de la plupart des espèces et variétés de plantes que nous consommons aujourd’hui. Partant des cas de l’amande et de la pomme de terre, qui étaient à l’origine toxiques et impropres à la consommation humaine, F. Parcy montre comment ces aliments que nous voyons comme naturels ont été l’objet au minimum d’une sélection dirigée et pas du tout spontanée, voire de croisements encore moins naturels, même si les méthodes utilisées pour cela étaient artisanales, aléatoires et demandaient de nombreuses générations et autant d’essais et erreurs pour être exploitées effectivement. Il n’y a en fait rien de naturel à rendre des graines adaptées à la production et à la consommation de masse. Le rôle naturel d’une graine est de permettre la reproduction de la plante qui la produit, et non de nourrir des super-prédateurs comme nous, et c’est pourquoi beaucoup de graines « naturelles » sont toxiques ou protégées par des enveloppes qui en rendent l’utilisation difficile, puisqu’il s’agit de mécanismes de défense contre leur détournement par des « tiers ». À l’inverse, les plantes que nous avons domestiquées sont, du point de vue de leur adaptation à une survie en environnement naturel, aussi fragiles et sans défense que des caniches ou des chihuahuas peuvent l’être en comparaison avec des loups : elles ne peuvent pas se développer sans notre aide, et ne risquent pas réellement d’envahir leur environnement à notre insu.
Après ces rappels indispensables sur l’historique ancien de la domestication des plantes par l’Homme, le livre passe ensuite aux aspects plus attendus (et potentiellement polémiques) des OGM et surtout des nouvelles techniques génomiques (NTG) issues de l’utilisation des outils de la famille CRISPR.
F. Parcy ne rentre pas dans les détails techniques de CRISPR (il y a de nombreuses sources sur le sujet 2), mais explique bien les différences fondamentales entre CRISPR et les OGM « classiques » obtenus par transgénèse. En particulier, obtenir des variétés potentiellement issues de CRISPR est une façon de reproduire ce qu’ont toujours fait les agriculteurs en croisant et en sélectionnant les variétés qui possédaient les caractéristiques souhaitables, mais sans le caractère aléatoire et surtout très lent de ce processus par essai et erreur. Les NTG ne sont en aucune manière vouées à produire seulement des variétés résistantes aux pesticides ou impropres à se reproduire par elles-mêmes, comme ce fut le cas pour les OGM les plus connus qui firent de cette technologie un chiffon rouge. Leur potentiel le plus important est à chercher du côté de l’adaptation des espèces végétales agricoles au changement climatique. Un exemple particulièrement prometteur serait du côté de l’utilisation de plantes pérennes (qui ne nécessitent pas d’être replantées tous les ans) à la place des espèces les plus massivement utilisées aujourd’hui pour l’alimentation (blé, maïs, riz, soja), qui sont des plantes annuelles. Les bénéfices pour la santé des sols, mais pas seulement, en seraient immenses. Et il ne s’agirait pas d’une victoire de l’agro-industrie, bien au contraire : une plante pérenne nécessite moins de phytosanitaires et s’enracine sur la durée pour recouvrir et fixer un sol qui absorbe mieux l’eau et stocke du carbone. Les variétés obtenues par CRISPR pourraient ainsi, et de beaucoup d’autres manières, être mises au service d’une agroécologie renouvelée. Dans ce domaine comme dans d’autres, les défis écologiques auxquels nous sommes confrontés ne se résoudront pas par la pensée magique, par l’invocation d’une pureté originelle qui n’a jamais existé, mais en mobilisant rationnellement toutes les solutions disponibles, sans a priori idéologique ; ce livre qui s’adresse à tout public est là pour nous le rappeler.
1 F. Parcy est également l’auteur d’un webinaire sur ce sujet passionnant :
https://www.youtube.com/watch?v=zE1WrrgUgYg
2 Si l’on est intéressé par une vision historique mettant en valeur les personnes qui sont à l’origine de l’immense révolution scientifique et technique qu’est CRISPR, on peut lire le livre de Walter Isaacson (The Codebreaker, Simon & Schuster, 2021), qui est centré sur Jennifer Doudna mais rend justice à tous les acteurs, dont bien sûr Emmanuelle Charpentier, co-lauréate du prix Nobel 2020.