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Rendons aux aliments ce qui appartient aux aliments !

Publié en ligne le 5 décembre 2008 - Alimentation -
par Pierre Feillet - SPS n° 283, octobre 2008

En matière d’alimentation, tout semble simple. Pour le bénéfice de notre santé, nous expliquent les responsables du plan national nutrition santé (PNNS), il faut manger quotidiennement trois produits laitiers, au moins cinq fruits et légumes, une ou deux portions de viande, de volaille, de produits de la pêche ou d’œufs, des féculents (pain, céréales, pommes de terre, légumes secs) à chaque repas, selon l’appétit, boire de l’eau à volonté, éviter de manger trop gras, trop sucré, trop salé. Sans oublier de faire un peu de sport, l’équivalent – au moins – d’une demi-heure de marche rapide tous les jours.

Et pourtant, les Français – ce ne sont pas les seuls – sont de plus en plus désemparés et ne savent plus à quelles recommandations se vouer. Ils s’interrogent sur la manière dont les agriculteurs et les industriels produisent les aliments qu’ils sont de plus en plus nombreux à acheter dans les grandes surfaces. La puissance des grands groupes, qui seraient capables de leur faire avaler toutes les couleuvres, les effraie. Comment, en effet, s’y retrouver au sein du système alimentaire français – celui qui organise la manière dont les Français se nourrissent – qui, avec plus d’un million d’entreprises, cumule 4,6 millions d’emplois et génère un chiffre d’affaires cumulé de 420 milliards d’euros pour assurer nos besoins quotidiens en aliments ?

L’étroite relation nouée par la France paysanne avec son alimentation s’est progressivement estompée. La peur de la « mal bouffe » fait son chemin. La « junk food » ou « alimentation poubelle » envahirait l’Europe après avoir fait des ravages aux États-Unis. En réaction, le mouvement Slow Food, créé par les Italiens en 1986, pourfendeur d’une alimentation aseptisée, s’oppose aux adeptes des fast-foods, sinon des « néfastes foods », et se bat pour défendre les plaisirs de la table et la diversité des cuisines. Les aliments issus des progrès les plus récents de la science, notamment les organismes génétiquement modifiés (OGM), sont affublés du quolibet « Frankenstein foods » par leurs détracteurs.

Les consommateurs ne comprennent pas pourquoi le prix des produits agricoles – qui constituent l’essentiel de notre alimentation – tient une part de plus en plus faible (20 %) dans le prix final des aliments qu’ils achètent. La recherche malsaine du profit prendrait-elle le pas sur le bien-être des consommateurs ? À contre-courant des efforts des pouvoirs publics pour une alimentation saine et sûre, les potions magiques, élixirs de bonne santé et de remise en forme, enrichissent les charlatans sur le dos des naïfs. Le régime de Robert C. Atkins, décédé en 2003 après avoir fait fortune, préconise d’éliminer les produits céréaliers de l’alimentation sans restreindre la consommation des matières grasses, allant à l’encontre des recommandations des nutritionnistes qui prônent les bienfaits d’une alimentation équilibrée où pains, pâtes alimentaires et riz ont une place de choix. Cela n’empêche pas sa New Diet Revolution d’avoir été l’un des best-sellers les plus lus dans le monde.

Des signaux contradictoires, abondamment relayés par les médias, viennent brouiller les messages qui commencent à modifier nos pratiques alimentaires, pour le bénéfice de chacun et, peut-être, de la Sécurité sociale. Deux chercheurs américains de l’Université de Pennsylvanie, Dan Negoianu et Stanley Goldfarb, contestent la recommandation de consommer au minimum 1,5 litres d’eau par jour, conseillent de « boire à sa soif pour se sentir bien » et estiment que boire beaucoup tendrait à diminuer le pouvoir filtrant des reins (Journal of the American Society of Nephrology, Avril 2008). Les thèses du Dr Jean Seignalet, soutenues par le cancérologue Henri Joyeux (Faculté de médecine de Montpellier) se répandent. Selon eux, il faudrait exclure le lait et leurs dérivés (beurre, fromage, crème, yaourt, glace) de notre alimentation, tous, affirment-ils, responsables de maladies auto-immunes (problèmes articulaires, sclérose en plaques), de cancers (du sein et de la prostate), de problèmes d’asthme ou d’allergies. De nombreuses officines vantent les mérites de régimes minceur qui, une fois abandonnés, se terminent par un retour au poids initial, voire à son dépassement. Alors que ceux qui recommandent, en toute impunité, l’exclusion d’un ou plusieurs aliments – en totale contradiction avec la nécessité d’une alimentation équilibrée – exposent à des carences ceux qui les suivent et sont donc dangereux pour la santé.

Des industriels ne sont pas en reste, eux qui promeuvent à longueur de publicité les effets santé, voire médicamenteux, sinon cosmétiques de leurs produits. Sur les linéaires des grandes surfaces, des margarines enrichies en phytostérol « exclusivement réservées aux personnes qui doivent réduire leur taux de cholestérol sanguin » et dont la consommation par les personnes sous anticholestérolémiant doit être précédée d’une consultation médicale – en quelque sorte des « aliments sous ordonnance » (on tient peut-être là la définition d’un alicament) – côtoient les produits les plus traditionnels. Des messages plus édulcorés, et donc plus consensuels, encouragent la consommation de produits laitiers « actifs à l’intérieur et ça se voit à l’extérieur » et d’eaux minérales « sources de jeunesse » ou « moteurs transparents » (sic). À quand le yaourt au paracétamol pour combattre les migraines ?

Les messages sont si brouillés que clientes et clients ne savent plus où donner du caddie. Les médecins eux-mêmes – mais bien peu ont suivi une formation en nutrition – délivrent des messages contradictoires. Pire, nombre de Français pensent que les messages nutritionnels qui accompagnent obligatoirement les publicités télévisées s’appliquent aux aliments qui sont promus.

Si l’on est très consciencieux, on regarde avec soin les informations portées sur les emballages. Pour bien se nourrir, il faudrait en effet les lire très attentivement. Ne soyons pas naïfs ! Au-delà des mentions légales, particulièrement importantes pour garantir aux consommateurs qui sont allergiques à certaines substances que l’aliment qu’ils achètent ne met pas leur santé en danger, une grande partie des messages a pour unique objet de leur faire acheter le produit. Dans les entreprises, l’approche marketing l’emporte généralement sur la prudence et la rigueur des nutritionnistes.

À force de rechercher le « mieux disant nutritionnel », le stress va nous rendre malade. Pas de panique ! Il est temps de se rappeler que les aliments ont deux fonctions. Celle d’assurer les apports en calories et en nutriments dont chacun d’entre nous a besoin, selon son âge, son tempérament, son activité. Celle également d’apporter plaisir et convivialité à nos repas. Et que ce ne sont pas des médicaments. Une bonne alimentation peut protéger notre santé, elle ne nous guérit pas. Il est temps de donner la parole aux diététiciens, les vrais, ceux qui ont été formés pour concevoir des repas équilibrés répondant à nos besoins physiologiques et sociaux. Et de les écouter. Il est urgent de donner des repères avérés, objet d’un consensus de la très grande majorité de la communauté des nutritionnistes, aux enfants des écoles, dès leur plus jeune âge. Et d’associer les familles à cet effort de pédagogie. Les journalistes doivent comprendre que les scoops médiatiques ne font pas une bonne alimentation.

Laissons aux aliments ce qui appartient aux aliments, et aux médicaments ce qui appartient aux médicaments.