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Peurs et désinformation autour de traces de pesticides dans les fruits et légumes

Publié en ligne le 20 décembre 2024 - Alimentation -
Association française pour l’information scientifique
Communiqué
Conseil d’administration de l’Afis
20 décembre 2024



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Nous assistons à une nouvelle campagne de promotion de peurs infondées. Sur le plan médiatique, tout est parti d’une dépêche de l’AFP du mardi 17 décembre 2024 titrée « Des résidus de pesticides dangereux dans les fruits et légumes en France » [1]. L’agence y reproduisait les seuls éléments de langage de l’association Générations futures qui avait rendu public le matin même un rapport sur le sujet. La dépêche de l’AFP était alors relayée quasiment à l’identique par de nombreux médias : « Des résidus de pesticides dangereux retrouvés dans 80 % des fruits et 48 % des légumes » (Libération), « Encore trop de résidus de pesticides dangereux dans les fruits et légumes en France » (Ouest-France), « Des résidus de pesticides dangereux détectés dans 62% des fruits et légumes non bio analysés par Générations futures » (Ici – France Bleu et France 3), « Des pesticides dangereux présents dans deux tiers des fruits et légumes conventionnels » (L’Humanité), « “Une dangerosité inquiétante” : ce que l’on sait des résidus de pesticides retrouvés dans 62 % des fruits et légumes non bio » (CNews), etc.

Désinformation

En ne mettant en avant que la seule présence de traces de pesticides (produits phytopharmaceutiques) sans s’intéresser à la concentration, et en limitant l’étude aux seuls aliments non bio, le message des auteurs de l’étude est qu’il est dangereux de consommer des fruits et légumes non bio. C’est d’ailleurs ce qu’ont retenu les grands titres de la presse.

Pourtant, les fruits et légumes en France et en Europe sont d’une excellente qualité sanitaire et leur consommation, qu’ils soient bio ou non bio, est recommandée par toutes les autorités sanitaires. Le dernier rapport de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), publié en avril 2024 [2], rend compte de l’analyse de 11 727 échantillons faite en 2022 dans le cadre du programme de contrôle coordonné par l’Union européenne. Il ressort de cette analyse que 98,4 % d’entre eux ont des concentrations de résidus de pesticides conformes au cadre réglementaire (et 51,4 % sont même en dessous des niveaux quantifiables). Cette étude étant menée tous les trois ans, l’Efsa note que les dépassements des limites maximales de résidus (LMR, le seuil réglementaire) ont légèrement diminué, passant de 2 % en 2019 à 1,6 % en 2022. La conclusion de l’agence est que « l’exposition estimée aux résidus de pesticides dans les aliments testés ne présentait qu’un faible risque pour la santé des consommateurs ».

Ajoutons que les LMR sont des valeurs administratives établies de façon à rester bien en deçà des seuils toxicologiques (un facteur au minimum de 100 par rapport à la « dose sans effet », ou DSE), c’est-à-dire la plus forte dose sans effet toxique avéré chez l’animal. Ainsi, le respect des LMR garantit que les quantités de résidus de pesticides qu’un individu est susceptible de retrouver dans son alimentation sont non toxiques, que ce soit à court ou à long terme [3].

Enfin, le message prioritaire des autorités sanitaires est qu’il faut consommer davantage de fruits et légumes, c’est le sens du célèbre slogan « au moins cinq fruits et légumes par jour » [4]. Il est donc malvenu d’encourager à se détourner des fruits et légumes non bio, ou de suggérer que ceux-ci seraient « dangereux ».

Ces informations sont complètement ignorées par l’AFP et par les journaux qui ont relayé le communiqué de presse associatif.

À la source de la désinformation

L’association Générations futures se fixe pour mission de lutter contre « les produits phytosanitaires et les engrais de synthèse » et le « recours à l’utilisation d’organismes génétiquement modifiés » en agriculture. Elle déclare faire la promotion de l’agriculture biologique (article 2 de ses statuts). À ce titre, elle reçoit des financements des entreprises de cette filière (Biocoop, Bjorg, Léa Nature, Naturalia, Nutergia, etc.). La présidente de l’association est elle-même présidente d’une entreprise du bio et administratrice de Synabio, le syndicat des entreprises bio de l’agroalimentaire [5]. La campagne initiée par Générations futures s’inscrit dans un contexte de baisse du chiffre d’affaires de l’industrie du bio depuis 2020 [6]. Son communiqué de presse se conclut par cette demande : « Il faut donc que le nouveau gouvernement mette en place des mesures de soutien fortes à la consommation d’aliments bio (et notamment en restauration collective) et encourage fortement le développement de l’agriculture biologique » [7].

C’est donc dans cet objectif que l’étude de Générations futures présente une analyse de « la fréquence de détection des résidus » dans 1996 échantillons d’aliments non bio [7]. Le rapport se concentre sur la fréquence de détection (combien d’échantillons dépassent le seuil de détectabilité) et non pas sur la concentration (la dose réelle à laquelle le consommateur est exposé, véritable marqueur d’un risque possible). Les aliments bio ont été volontairement écartés de l’étude. S’ils avaient été pris en compte, l’analyse aurait mis en évidence la présence de résidus de pesticides dans nombre d’entre eux. En effet, l’agriculture biologique utilise des pesticides qui, bien que présentés comme « naturels », ne sont pas nécessairement exempts de risques. Par ailleurs, les moyens modernes de la chimie analytique permettant de détecter certaines molécules à l’état de traces infimes, des résidus de pesticides venant des champs voisins peuvent être identifiés [8].

L’Afis dénonce un emballement médiatique

L’Afis déplore une nouvelle fois l’agitation de peurs infondées 1. Les pesticides sont des substances actives qui doivent être utilisées avec précaution et c’est pourquoi des réglementations de plus en plus rigoureuses sont mises en place. Dans tous les cas, les dépassements de LMR constatés font l’objet d’un suivi qui, en fonction du « danger présenté par la matière active mise en évidence et le niveau d’exposition prévisible à la denrée concernée » peut conduire à des retraits ou rappels du marché des produits végétaux concernés [9].

L’Afis dénonce l’instrumentalisation de ces peurs à des fins de promotion d’une filière économique, promotion faite en présentant les produits des filières concurrentes comme dangereux pour les consommateurs. Les deux filières ont leur place et correspondent à des attentes différentes des consommateurs et produisent toutes deux des fruits et légumes d’excellente qualité sanitaire.

L’Afis déplore également que de grands médias relaient ces peurs sans fournir les éléments scientifiques permettant d’éclairer le sujet.

De telles campagnes altèrent la perception des principaux enjeux sanitaires et environnementaux par la population. Cette communication anxiogène conduit une majorité de Français à penser que les pesticides représentent un risque plus important que le tabagisme ou l’alcool [10]. Le principal problème de santé publique concernant les fruits et légumes est leur trop faible consommation.

Conseil d’administration de l’Afis, 20 décembre 2024
Références

1 | « Des résidus de pesticides dangereux dans les fruits et légumes en France », AFP, 17 décembre 2024.

2 | « Résidus de pesticides dans les aliments : publication des chiffres les plus récents », Efsa, 23 avril 2024.

3 | « Qu’est-ce-que c’est qu’une LMR ? », fiche « Questions sur… », Académie d’agriculture de France, avril 2021.

4 | « Au moins 5 fruits et légumes par jour sans effort », plaquette d’information, Programme national nutrition santé (PNNS), sur le site du ministère de la Santé (consulté le 18 décembre 2024).

5 |Générations futures, « Qui est Maria Pelletier ? », sur le site de l’association, www.generations-futures.fr (consulté le 18 décembre 2024).

6 |Agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique, « Évolution des ventes de produits alimentaires bio », consulté le 18 décembre 2024.

7 |Générations futures, « Résidus de pesticides dans l’alimentation consommée en France – Rapport sur la fréquence et la dangerosité des résidus détectés en 2022 », décembre 2024.

8 |Agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique, « Pourquoi est-il possible de trouver des traces de pesticides dans les produits bio ? », sur www.agencebio.org (consulté le 19 décembre 2024).

9 |Ministère de l’Agriculture, « Surveillance et contrôles de l’utilisation de produits phytosanitaires (pesticides) », 30 avril 2013.

10 |IRSN, « Baromètre 2024 la perception des risques et de la sécurité par les français », septembre 2024.

1 Voir le communiqué « Tritium dans l’eau : quand la désinformation trompe l’opinion publique », publié sur www.afis.org le 15 décembre 2024