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Quand le corps dit tout haut ce que l’esprit pense tout bas

Publié en ligne le 10 décembre 2012 - Pseudo-sciences -

D’après son promoteur en Amérique du Nord et en France, Philippe Turchet [1], la synergologie est une méthode de lecture du « langage non verbal inconscient », qui consiste à décrypter les micro-mouvements du corps considérés comme une traduction de ce que l’on ressent et de ce que l’on est. Le postulat de base est que le discours dissimule le mensonge, mais que le corps parle et nous dit ce que cachent les mots.

Imparable !

Ça vous gratouille ou ça vous chatouille ?

Les micro-expressions du visage et les micro-mouvements du corps sont provoqués par des micro-démangeaisons. Il suffit pour décoder le langage du corps d’utiliser LA grille :

Dépêchons-nous ! « Sur le tibia gauche la micro-démangeaison indique notre désir de voir le mouvement physique hâté. Cette micro-démangeaison est sans ambiguïté. »

J’aurais mieux aimé ne pas entendre cela ! « Les mots maladroits ou déplacés produisent des picotements dans l’oreille. Les mots sont entrés dans notre oreille et nous essayons très inconsciemment de les en extirper. »

Ça me reste en travers de la gorge ! « L’index sur la glotte, nous brûlons de dire ce que nous avons sur le cœur. Les choses vont d’ailleurs ne pas tarder à sortir. L’index dressé, face à l’interlocuteur, montre qu’on est capable de dire « Je » et à faire preuve d’autorité, puisque cela semble nécessaire. » [2]

La gestuelle des femmes est-elle différente de celle des hommes ? « Il y a quelques petites différences. Elles ouvrent davantage les malléoles, la partie qui se trouve au-dessus du pied. Et les femmes ont plus tendance à ouvrir les poignets. Elles introduisent une souplesse de geste qui est aussi une souplesse d’esprit. »

Sachez aussi que si vous vous grattez le nez : « Bill Clinton [...], devant le Congrès, pendant le procès de l’affaire Monica Lewinsky, s’est gratté trois fois le nez... Et lorsqu’on ment, on a tendance à se gratter le nez... »

Ou si vous recevez un kilo de farine pendant un discours en public : « [...] l’occasion était trop belle d’utiliser le lexique corporel pour observer François Hollande. En fait très maître de lui, son visage reste impassible, mais il se trouve que des rides horizontales traversent le haut de son front durant un très court laps de temps (moins de 2 secondes). Ce sont des rides de peur. [...] Les rides horizontales de la peur apparaissent toujours et forcément lorsqu’une personne a peur. C’est LE signe de la peur. »

C’est ce décryptage du langage du corps que nous offre la synergologie, qui signifie étymologiquement « sun – ergos – logos : être ensemble, actifs, en situation de discours, l’étude du corps en mouvement, sans occulter le lien au verbal ». Turchet la présente comme une science de « type non comportementaliste » : « La synergologie est la discipline dont l’objet est de mieux comprendre le fonctionnement de l’esprit humain à partir de la structure de son langage corporel », qui se fonderait sur les dernières avancées issues des neurosciences sur le fonctionnement de notre cerveau et s’appuierait sur une importante base de données vidéos pour valider ses hypothèses et ses recherches : « [...] tout ce que propose la synergologie a été validé, notamment par l’observation. Au début de mon travail, j’ai fait passer à peu près 350 entretiens vidéo à des personnes à qui je demandais : « qu’attendez-vous de la vie ? » [...] Je me suis aperçu que lorsqu’on est en situation de bien-être et qu’on se laisse aller, on montre par exemple davantage l’œil gauche, on penche plus la tête à gauche. [...] C’était il y a 20 ans. Depuis 10 ans, toutes ces observations ont pu être validées par l’IRM et le scanner. Par exemple, j’avais observé il y a très longtemps chez des gens dépressifs que l’œil droit avait tendance à partir sur l’extérieur quand on est dans la lune. Et puis il y a trois ans, l’équipe américaine de Davidson a noté que lorsqu’on est dépressif, on a tendance à déconnecter les lobes frontaux. Les scientifiques commencent depuis quelque temps à s’intéresser de très près à cette méthode. » [3]

La synergologie, science ou pseudo-science ?

Il y a 20 ans, 350 vidéos validées par l’observation, depuis 10 ans toutes les observations validées par l’IRM et le scanner, qui ne serait impressionné par cette méthode permettant d’accéder à la connaissance si utile, mais si difficile, d’autrui et de ce qu’il pense derrière ce qu’il dit ?

Malheureusement, on ne trouve aucune publication dans aucune revue spécialisée, aucun protocole expérimental, aucun travail de recherche, rien qui puisse confirmer que la synergologie ait fait l’objet d’une véritable recherche scientifique. Sur son « blogue synergologique », Turchet dit : « Mon travail théorique prend la forme de quatre essais traduits en italien, espagnol, portugais, chinois, coréen, anglais, serbe, turc, portugais, catalan, roumain. » Mais depuis quand la traduction de quatre essais en plusieurs langues suffit-elle pour prouver qu’il s’agit d’un travail scientifique ?

La séduction qu’exerce la synergologie sur les lecteurs/trices de la presse féminine et sur les téléspectateurs – M6 a diffusé le 3 mai 2011 un reportage totalement acritique sur la synergologie dans l’émission « 100 % Mag » – peut s’expliquer justement par le fait qu’elle s’inspire d’une psychologie naïve, qui donne des recettes sans qu’il y ait à en connaître les bases théoriques et conceptuelles. Le 12 février 2012, M6, dans E=M6, a diffusé un reportage « Hypnotiseurs, magnétiseurs, mentalistes : peuvent-ils vraiment nous contrôler ? » et a consacré un volet à la synergologie. [4]

Les deux invités, le pédopsychiatre Stéphane Clerget et Patrice Lardellier, professeur en sciences de la communication, ont dit qu’il fallait en finir avec la sur-interprétation et sortir de l’illusion d’une espèce de sens des gestes qui serait universel. En effet, Turchet postule que les mots et les gestes sont complètement indépendants, que la communication peut s’analyser uniquement du point de vue de l’individu qui parle, sans tenir compte du contexte : à un geste donné correspond une explication unique, détachée du contexte social et culturel, « valable dans 95 % des cas ». Mais on ne sait pas d’où sort ce pourcentage. Selon Stéphane Clerget et Patrice Lardellier, nos gestes dépendent de notre éducation et ne sont pas communs à tout le monde. Nous gratter peut avoir plusieurs significations selon les individus et les situations.

Pire que tout, dans la situation de communication, un entretien d’embauche par exemple, le synergologue est dans une position dominante par rapport à celui qu’il observe et peut le manipuler à sa guise. Cette pseudoscience du langage gestuel se vend cher dans les formations d’entreprise, dans les Écoles de commerce, dans les professions médicales et paramédicales. Philippe Turchet décrit en quoi consistent les formations à la synergologie en France et en Amérique du Nord : « Je rencontre des gens sur deux ans et demi, douze fois et pendant deux jours. [...] Pendant ces 24 jours, je leur apprends à décoder le langage non verbal à travers une méthode qui permet de décrypter n’importe quel type de geste car, selon moi, 95 % d’entre eux sont universels. »

Enfin, Philippe Turchet ne limite pas son champ d’interprétation aux seuls cas individuels ou situations de communication. Il n’hésite pas, par exemple, à remettre en question et même contredire les descriptions de l’autisme par l’INSERM : « Non, dit-il, la communication non verbale de l’autiste n’est pas troublée, elle traduit exactement l’état de sa relation à l’environnement. Elle en est le témoin privilégié, témoigne de lui et témoigne pour l’autre. [...] Tout laisse croire qu’à terme la meilleure façon de mieux comprendre un autiste, ce soit simplement de le regarder et de considérer avec sérieux sa parole corporelle... » [5] Il suffisait d’y penser...

Comme dans beaucoup de pseudosciences et de pseudotechniques de communication, on a affaire à un homme, une idée, des livres, un site, un blog, des disciples, une mode et l’argent à la clé. Mais pas de preuves.

[1]Philippe Turchet, Le langage universel du corps, Éditions de l’homme, 2009
[2] La synergogologie au programme de M6, par Anton Suwalki, http://imposteurs.overblog.com/arti...
[3] http://blog.synergologie.org/
[4] Dimanche 12 février, « E=M6 » http://www.m6replay.fr/#/emissions/... Pascal Lardellier, professeur en sciences de la communication à l’université de Dijon, Pour en finir avec la « synergologie ». Une analyse critique d’une pseudoscience du « décodage du non-verbal » http://communication.revues.org/ind...
[5] http://philippe.turchet.synergologi...

Pour aller plus loin : Nicolas Vivant « Synergologie : pas un geste ! » http://zetetique.fr/synergologie-pa...