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Qu’est-ce que l’étiopathie ? (2)

Publié en ligne le 17 juillet 2004 - Santé et médicament -
SPS n° 166, mars-avril 1987

Nous avons relaté dans notre dernier numéro le jugement de la cour d’appel de Caen, confirmant la condamnation par le tribunal de Coutances, pour exercice illégal de la médecine, d’un « docteur en étiopathie », qui exerçait son activité à Saint-Lô depuis une dizaine d’années. Le fondateur de cette nème médecine « parallèle », lancée en France en 1963, s’était familiarisé aux États-Unis avec les manipulations articulaires et vertébrales qui y sont pratiquées par les « chiropracteurs ». L’étiopathie, dont le principe proclamé est de « soigner sans médicaments », est un mélange de chiropraxie américaine avec quelques références aux traditions héritées des rebouteux et à une philosophie mystique. (Chaque être humain naît avec un PVO, un potentiel vital originel, formé à l’instant même de sa conception ; la santé réside dans le respect de la courbe naturelle du PVO.)

Beaucoup de manœuvres décrites par les étiopathes ne leur appartiennent nullement en propre. Elles sont connues et pratiquées par de nombreux médecins et kinésithérapeutes. Ce qui est particulier aux étiopathes, c’est d’abord qu’aucun d’eux n’est docteur en médecine : deuxièmement qu’ils prétendent (comme de nombreux chiropracteurs d’outre-Atlantique) traiter à peu près toutes les maladies courantes.

Les manipulations vertébrales (qui, soulignons-le encore, sont bien connues de la médecine « officielle ») donnent parfois d’excellents résultats. Du fait même qu’elles agissent sur des régions particulièrement sensibles, elles peuvent aussi, en cas de fausse manœuvre ou d’erreur grossière de diagnostic (méconnaissance d’une tumeur, par exemple) entraîner des accidents et même des catastrophes. Pour qu’on ne soupçonne pas de parti-pris, nous citerons quelques cas précis mentionnés dans un récent ouvrage d’autant moins suspect d’hostilité à l’égard de la chiropraxie qu’il la présente sous un jour favorable et que l’un des deux auteurs est lui-même chiropracteur aux États-Unis. C’est La Chiropraxie par François Le Corre et Scott Haldeman, aux P.U.F. (Que sais-je ? n° 2296).

« Parmi les quelques dizaines d’observations citées pour mettre en garde contre les dangers de la chiropraxie », écrivent les auteurs « en voici deux parmi les plus récentes » :

 Femme de 44 ans consultant un chiropracteur pour céphalées occipitales récentes. Douze heures après le traitement, elle se réveille avec de violents maux de tête et une difficulté pour avaler. L’évolution fut heureusement régressive.

 Un homme jeune âgé de 25 ans voit un chiropracteur pour une cervicalgie aiguë. (NDLR : névralgie de la nuque.) Une heure après l’ajustement, il se plaint de très vives céphalées et des vertiges. L’examen anatomopathologique fait après son décès montre une importante thrombose au niveau des artères vertébrales et du tronc basilaire.

Le premier de ces cas ne mérite aucun commentaire particulier, sinon que de toute évidence la manipulation chiropractique a brutalement aggravé les maux de tête dont souffrait la patiente. Le second cas est plus grave, puisqu’une heure après l’« ajustement », c’est-à-dire la prétendue remise en place des vertèbres, l’aggravation subséquente a été fatale. L’autopsie a montré que les artères du cou et de la base du crâne étaient oblitérées par des caillots, ce qui était évidemment la cause des maux de tête qui avaient poussé le patient à consulter. Un diagnostic correct, avec les actuelles méthodes de laboratoire, aurait probablement aboutit surtout pour un homme aussi jeune, à une intervention chirurgicale efficace. La manipulation chiropractique équivalait à un homicide par imprudence.

Le troisième cas nous est présenté comme concernant non un chiropracteur, mais un « vertébrothérapeute » :

Une malade âgée de 35 ans vient voir un vertébrothérapeute pour une cervicalgie et une douleur hémifaciale droite. Après quatre manipulations, elle présente une quadraplégie avec d’autres troubles neurologiques. Les examens complémentaires révèlent l’existence d’un méningiome dont la cure chirurgicale fait un succès. (NDLR : la quadraplégie est une paralysie totale, le méningiome est une tumeur développée à partir des méninges).

Là encore, un examen banal aurait décelé la tumeur méningée avant une manipulation catastrophique. Heureusement pour la malade, le chirurgien a pris à temps la place du vertébrothérapeute.

Soyons juste : aucune médecine n’est à l’abri des erreurs de diagnostic ou de prescription avec les conséquences qu’elles peuvent entraîner. Mais le risque est maximal quand un homme qui n’a pas suivi d’enseignement médical et qui croit aveuglément aux vertus universelles de la manipulation s’empare de vos vertèbres ou de vos articulations. Les étiopathes, en France, affichent bien des programmes de cours « libres », mais ils se situent ouvertement en opposition à la médecine. L’étiopathe, écrivent-ils dans leur guide à l’usage du public, « n’infiltre pas, ne pique pas, ne donne pas de médicaments, ne se sert pas d’appareils... Il ne travaille qu’avec ses mains... (Son rôle) est de chercher la vraie cause du mal ».

Soyons justes encore. Il peut y avoir, il y a même sûrement, parmi les praticiens de l’étiopathie (comme du reste parmi les rebouteux) des hommes habiles à réduire une entorse, à soulager une lombalgie ou toute autre souffrance relevant d’un désordre mécanique. Il n’y a pas de raison pour que la médecine rejette leur expérience dans ce qu’elle peut avoir de positif. Malheureusement ils ne s’en tiennent pas là. Tout en se déclarant non-médecins, ils ouvrent des « facultés libres de médecine étiopathique » et ne craignent pas de mentionner, parmi les malades qu’ils s’offrent à guérir (en quelques séances !), ceux qui souffrent d’un fibrome, d’une hépatite, de sclérose en plaques, de syncopes graves à répétitions, etc. La porte est alors ouverte à bien des charlatanismes. Autre trait caractéristique : les étiopathes s’efforcent d’obtenir l’autorisation officielle d’exercer leur activité sans autre contrôle que le leur. Ils inspirent en ce sens des articles de journaux, notamment dans la presse féminine et mobilisent des naïfs pour signer des placards publicitaires comme cet « appel de 600 maires de Normandie » paru l’an dernier, où l’on réclamait « l’abolition du monopole médical et la liberté du droit à disposer d’eux-mêmes pour tous les citoyens » ainsi que « le libre exercice de la médecine étiopathique et son remboursement par les organismes sociaux ».

La ficelle est un peu grosse, et les grands principes ont bon dos. Aucun texte en France n’entrave la vocation des médecins qui - avec la sécurité que leur donnent les connaissances qu’ils ont acquises pour obtenir leur doctorat - désirent pratiquer une thérapeutique manuelle. Le contrôle de ces connaissances appartient à la collectivité. Certes rien n’est parfait, et l’on peut proposer bien des réformes dans l’enseignement de la médecine et dans les textes qui régissent la profession médicale. Mais que deviendrons-nous le jour où n’importe qui pourra, au nom de la « liberté », ouvrir un cabinet médical comme on ouvre une épicerie ou un salon de coiffure !