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Les OGM : une catégorie juridique aux contours débattus

Publié en ligne le 17 juin 2019 - OGM et biotechnologies -
Ce texte est une adaptation par l’auteur et pour SPS d’un article publié initialement sur Échosciences Hauts-de-France (echosciences-hauts-de-france.fr).

Le 25 juillet 2018, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé la définition de ce qu’est un « organisme génétiquement modifié » (OGM). En conséquence, les produits issus de certaines techniques nouvelles (regroupées sous le sigle NBT, pour New Breeding Techniques) seront donc soumis à la réglementation européenne spécifique aux OGM. Cette décision était très attendue. En effet, de la classification d’une technique nouvelle en OGM ou non-OGM découle un cadre réglementaire très différent. Ainsi, en France, il est interdit d’utiliser ou de fabriquer un OGM sans une autorisation préalable accordée pour une catégorie limitée de situations (utilisation en milieu confiné, expérimentations et recherche, etc.) [1].

Jusque-là, la définition légalement en vigueur, issue de la Directive 2001/18/CE de 2001, était la suivante : un OGM est un « organisme [...] dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement [...] » [2]. Un produit, dès lors qu’il est catégorisé comme OGM, est soumis à une procédure stricte d’autorisation.

La nouvelle définition européenne

La mutagenèse était explicitement exclue de la définition des OGM. On entendait par mutagenèse la modification du génome sous l’action d’agents chimiques ou physiques (par opposition à l’introduction d’un gène). C’est sur cette situation que la CJUE est revenue. En effet, de nouvelles méthodes de génie génétique se sont développées ces dernières années. Citons, par exemple, la fameuse technique CRISPR-Cas9 qui fait beaucoup parler d’elle [3]. Dérivée d’un système antiviral existant chez les bactéries, cette méthode permet d’effectuer aisément des changements précis sur le génome, comme une mutation ponctuelle sur un gène donné. Cela contraste avec l’aspect aléatoire des méthodes de mutagenèse classiques (par radiations ou agents chimiques). Le processus produit tout de même des mutations « hors cible » et les chercheurs explorent des pistes pour améliorer la précision.

C’est suite à la mobilisation d’ONG en France que la Cour européenne de justice (CJUE), sur saisine du Conseil d’État français [4], a clarifié ce flou juridique en concluant que les organismes issus des NBT étaient des OGM au sens de la Directive [5]. Elle met en avant le fait que les NBT « modifient le matériel génétique d’un organisme d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement  », et que « les risques liés à [leur] emploi [...] pourraient s’avérer analogues à ceux résultant de la production et de la diffusion d’OGM par voie de transgenèse. »

Salué par les groupes écologistes, cet arrêt a été déploré par de nombreux scientifiques. La CJUE s’est de fait positionnée contre la recommandation conjointe des académies des sciences de tous les pays d’Europe [6] qui arguait dès 2015 [7] que les produits issus des NBT ne devraient pas être concernés par la directive OGM. En effet, que penser du fait qu’une plante soit considérée comme un OGM s’il est impossible de la différencier d’une plante obtenue par des méthodes traditionnelles ?

Cependant, pour comprendre pourquoi décider de ce qui constitue ou non un OGM n’est pas évident, il faut remonter aux premières modifications génétiques effectuées par l’être humain sur les plantes (mais aussi sur les animaux), c’est-à-dire... à la naissance de l’agriculture.

Des millénaires de modifications génétiques

Les promeneurs le savent : les baies sauvages sont généralement petites, parfois amères, quand elles ne sont pas toxiques. Cela n’est pas surprenant : les plantes, comme les autres êtres vivants, ont évolué par sélection naturelle, c’est-à-dire à travers une compétition continuelle pour survivre et se reproduire, et non pas pour nourrir Homo sapiens. Avant l’agriculture, les humains se sont naturellement orientés vers les plantes comestibles les plus intéressantes (fruits plus gros ou plus sucrés, par exemple). En replantant, d’abord par inadvertance, les graines des aliments qu’ils avaient soigneusement choisis, ils ont favorisé la reproduction de plantes aux caractéristiques recherchées. Au fur et à mesure, et sans rien connaître des lois de la génétique, les humains ont modifié les espèces sauvages dans des proportions souvent considérables.

Pour s’en rendre compte, il suffit de comparer le maïs moderne à la téosinte sauvage à laquelle il est apparenté (cf. image).

De la téosinte sauvage au maïs d’aujourd’hui
De la téosinte sauvage au maïs d’aujourd’hui © Gnis-pedagogie.org

L’objectif a notamment été d’hypertrophier la partie de la plante qui intéresse, si possible bien au-delà de la situation atteinte par la sélection naturelle chez la plante sauvage. Par exemple, tout comme la domestication du loup a donné différentes races de chiens, la domestication du chou sauvage a donné les différents choux cultivés : chou-fleur, chou kale, chou de Bruxelles, etc., qui ont été obtenus en cherchant à développer différentes parties comestibles du chou sauvage (fleurs, feuilles, bourgeons, respectivement).

En supplantant la sélection naturelle, l’être humain a pu favoriser des caractères a priori délétères pour la plante dans son environnement naturel. À cet égard, le cas de céréales comme le blé est frappant. Dans le blé sauvage, les grains tombent et se dispersent au sol où ils vont germer, ce qui n’est pas pratique pour l’agriculteur qui cherche à les récolter. Néanmoins, une mutation génétique fait que les grains restent attachés à l’épi. Cela empêche la reproduction du blé dans la nature, mais facilite la récolte par les humains qui les ont sélectionnés sans le savoir en replantant leurs grains. La sélection de cette anomalie génétique a permis l’essor de l’agriculture dans le Croissant fertile [8], et la totalité du blé cultivé aujourd’hui est issue de ces mutants qui ne peuvent perdurer que dans le cadre de l’agriculture.

Le travail de sélection, de plus en plus sophistiqué, s’est poursuivi jusqu’à nos jours. La rationalisation des techniques de croisement a plus récemment conduit à la création de variétés de plantes hybrides particulièrement productives. L’histoire de l’agriculture nous rappelle donc que la plupart des espèces cultivées sont le produit d’une sélection artificielle poussée et n’existent pas dans la nature.

Essor des biotechnologies et apparition de la notion d’OGM

Au XXe siècle, l’apparition de techniques de mutagenèse a permis d’accélérer le processus de création de nouvelles variétés. En utilisant des radiations ou des agents chimiques, on provoque des mutations plus ou moins aléatoires dans le génome des organismes, en espérant créer un individu portant un caractère désiré. Dans le monde entier, les produits issus de ces techniques ne sont pas considérés comme des OGM et sont largement utilisés en France et en Europe, y compris en agriculture biologique.

Le développement des techniques de biologie cellulaire et la connaissance du fonctionnement des gènes ont ouvert la voie au développement de la transgenèse dans les années 1980. Ici, on insère dans un génome une portion d’ADN étranger, provenant potentiellement d’une espèce éloignée. Le but est d’obtenir des caractères particuliers qui sont difficiles, voire impossibles, à obtenir autrement chez une espèce donnée. C’est avec la technique de transgenèse que l’expression « OGM » et l’objet juridique associé ont été créés. Notons au passage que des transferts de gènes inter-espèces se produisent continuellement dans la nature (mais cependant, de façon rare dans les organismes supérieurs). Cela concerne d’ailleurs aussi nos aliments : la patate douce possède de l’ADN bactérien [9] et pourrait être qualifiée d’« OGM naturel ». Avec la transgenèse, l’être humain détourne à son avantage des processus existant dans la nature.

OGM ou pas OGM ?

© Arn, Wikimedia.

Que ce soit par croisement, mutagenèse, transgenèse ou autres méthodes de génie génétique, toutes les techniques d’amélioration des plantes visent in fine à modifier leur génome pour obtenir des caractères souhaités. Ainsi, si l’expression « organisme génétiquement modifié  » a un sens sur le plan juridique, elle n’en a pas vraiment d’un point de vue scientifique.

En Europe, on définit donc les OGM en fonction de la technique ayant permis de les obtenir et on a exclu de la définition les plantes issues de mutagenèse par radiations ou agents chimiques. Mais le développement de nouvelles techniques comme CRISPR-Cas9 pose question car ces NBT peuvent produire des organismes par mutagenèse dirigée, sans ADN étranger. Ces organismes sont potentiellement impossibles à distinguer de ceux issus de techniques plus traditionnelles. Ainsi, contrairement à l’Europe, les États-Unis et le Japon ont décidé de ne pas les réglementer comme des OGM.

Le point de vue qui prévaut chez les spécialistes est qu’il est plus pertinent d’évaluer la sécurité des nouvelles variétés en fonction du caractère introduit, et non de la technique utilisée pour l’obtenir.

En pratique, seules les multinationales développant des variétés à fort potentiel commercial auront les moyens de s’engager dans la longue procédure pour faire autoriser un OGM en Europe. Seulement deux variétés OGM sont aujourd’hui approuvées pour une culture en plein air 1, les autres dossiers étant bloqués. Par ailleurs, plus d’une centaine de variétés (coton, maïs, colza, soja et betterave sucrière) sont autorisées à l’importation (voir le registre tenu par l’Union européenne [10]). Les acteurs de l’industrie craignent [11] que l’arrêt de la CJUE contribue à dissuader l’innovation au sein d’entreprises plus petites qui se sont intéressées aux NBT, notamment à CRISPR-Cas9 pour son faible coût. Les académies des sciences européennes considèrent quant à elles que cette décision est une « défaite » pour la science et l’innovation en Europe, réaffirmant que « les percées en biotechnologie [...] demeurent cruciales pour la sécurité alimentaire dans le monde » (cité dans [12]). À l’heure du changement climatique et de besoins alimentaires croissants, la résistance des plantes aux maladies et aux aléas climatiques, ou l’amélioration de leur contenu nutritionnel sont autant d’applications cruciales qui sont facilitées par les NBT.


Références

[1] Site du ministère de la Transition écologique et solidaire, page « Organismes génétiquement modifiés » du 25 novembre 2016. Sur ecologique-solidaire.gouv.fr
[2] « Directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement ». Sur eur-lex.europa.eu
[3] Kaplan JC, « CRISPR-Cas9 : un scalpel génomique à double tranchant », SPS n° 320, avril 2017. Sur afis.org
[4] Conseil d’État, « Le Conseil d’État renvoie à la Cour de justice de l’Union européenne quatre questions relatives à la réglementation européenne des OGM », 3 octobre 2016. Sur conseil-etat.fr
[5] « Les organismes obtenus par mutagenèse constituent des OGM et sont, en principe, soumis aux obligations prévues par la directive sur les OGM », Cour de justice de l’Union européenne, communiqué de presse n° 111/18, 25 juillet 2018. Sur curia.europa.eu
[6] European Academies Science Advisory Council, “EASAC and the New Plant Breeding Techniques”, juillet 2018. Sur easac.eu
[7] Déclaration de l’European Academies Science Advisory Council, “New breeding techniques”, juillet 2015. Sur easac.eu
[8] Bonjean A, « Histoire de la culture des céréales et en particulier de celle du blé tendre », Dossier de l’environnement de l’INRA, 2001, 21. Sur inra.fr
[9] Kyndt T et al., “Sweet potato : A naturally transgenic food crop”, PNAS, 2015, 112:5844-5849.
[10] Commission européenne, « GMO register ». Sur ec.europa.eu
[11] “Regulatory approaches to modern plant breeding – the case of mutagenesis and new gene editing technologies”, ESA (European Seed Association), 20 juillet 2015. Sur euroseeds.eu.
[12] “Industry shocked by EU Court decision to put gene editing technique under GM law”, Euractiv.com, 25 juillet 2018. Sur euractiv.com

1 Chacun des états membres ayant la possibilité, sous certaines conditions, de les interdire à son niveau.