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Le raisonnement universel de la science

Publié en ligne le 27 juillet 2019 - Rationalisme -
Nous reproduisons ici l’intervention faite par Yves Bréchet au nom de l’Union rationaliste à l’occasion de l’événement organisé pour les 50 ans de l’Afis le 17 novembre 2018.

Le combat de l’Afis, qui est celui de toute organisation attachée à la rationalité comme un bien commun qui rend le progrès des sociétés humaines possible et durable, est d’une actualité inquiétante.

Se réunir pour son cinquantième anniversaire est certes une fête pour tous les amis des sciences, mais c’est aussi l’occasion de prendre conscience de la montée multiforme des obscurantismes, nourris de peurs irraisonnées, amplifiées par des moyens de communication sans limite, au service d’idéologies ou de groupes d’intérêts qui crient aux lobbies… des idéologies ou des groupes d’intérêt adverses !

La démarche scientifique a toujours été gênante pour les amateurs d’interprétations globalisantes. Les esprits religieux auraient bien voulu que la science n’ait pas accès à la réalité sans l’accord préalable de la théologie… Les esprits politiques la voyaient bien servir leur vision du sens de l’histoire. Ces détournements ont échoué, au moins temporairement, mais le combat contre la science ne faiblit pas.

Les attaques contre la science ont pris d’autres formes, et elles sont virulentes. Certains aimeraient bien que la science ne soit qu’un mode de connaissance parmi d’autres, une façon d’appréhender le monde parmi d’autres.

Après la tentative de sujétion à des fins qui lui sont étrangères, après la sournoise attaque du relativisme, la science se voit aujourd’hui attaquée dans ses fondements mêmes, dans ce qui fait sa valeur : la reconnaissance d’un raisonnement universel que l’on peut partager indépendamment de celui qui l’énonce.

Ce raisonnement universel a une valeur indépendante de celui qui l’émet car il est au moins en partie vérifiable par celui qui l’écoute et qui se le réapproprie. Si l’on veut attaquer l’universalité de la science, il suffit de lier le contenu et l’origine. Si l’on veut dénigrer la valeur de la science, la voie la plus facile est de dénigrer celui qui la produit. D’aucuns se complaisent à égrener les bizarreries des grands scientifiques. D’autres disqualifient toute expertise en jetant sur elle, par principe, le soupçon de la connivence industrielle et du conflit d’intérêt.

Ces raisonnements ont une part de vérité : il y a des savants aux convictions bizarres, il y a des expertises achetées par des intérêts économiques. Ces informations peuvent être utiles pour appeler à la vigilance. Mais ce qui donne sa valeur à un énoncé de nature scientifique est son contenu, et non son origine. Disqualifier a priori un énoncé en fonction de qui l’énonce, sans analyser le contenu scientifique lui-même, dénature le fondement de la démarche scientifique. Il ne s’agit pas de nier que la science soit faite par des humains (et non par des saints) : ils peuvent, comme tout le monde, être vénaux, lâches, endoctrinés… Mais le propre de la science est que l’énoncé scientifique et sa validation par la communauté transcendent l’origine de cet énoncé. Cela nécessite une intégrité sans faille de cette communauté. C’est pourquoi toute complaisance vis-à-vis de fraudes scientifiques est mortelle et constitue le pire crime contre l’esprit scientifique.

Ces considérations deviennent essentielles quand il s’agit d’avoir un avis sur une question qui relève de la science. Quand il s’agit de donner un avis détaillé sur un sujet, un scientifique ne devrait pas s’aventurer en dehors de son champ de compétences. Par contre, il peut avoir un avis sur la plausibilité d’un raisonnement au regard des critères de la démarche scientifique.

Certes, l’idéal serait la compréhension de tous les aspects d’un raisonnement scientifique, mais la variété des questions posées nous prive de la possibilité d’atteindre partout cet objectif. Nous devons souvent nous contenter du « plausible ». Et, dans nos appréciations de citoyens, le passage du « plausible » au « probable » passe par une étape de confiance qui doit être consciente et assumée. Elle est indispensable car nous ne pouvons avoir compétence universelle, et elle doit être consciente pour distinguer ce que l’on sait de ce que l’on croit. Cette étape de « confiance » s’appuie sur une communauté scientifique et non sur une autorité hiérarchique ou historique.

La confiance sans la compréhension est le plus sûr chemin vers l’idéologie. La défiance avant l’analyse du contenu est une forme de paresse intellectuelle qui ramène au relativisme. Les deux excès relèvent de la croyance. La confiance, ou la défiance, venant de façon explicite après la compréhension, me paraît une méthode plus rationnelle.

La seule façon, à mes yeux, de défendre la démarche scientifique est de commencer par aller au cœur de l’énoncé, de juger de la valeur de la preuve par sa cohérence, par son caractère partagé et par la démarche collective qui la porte. Aucun de ces critères n’est infaillible, mais la convergence de ces critères rend un énoncé plausible, sans pour autant donner une preuve de validité. L’analyse de la provenance de l’énoncé me semble devoir venir en complément et non en prérequis.

Ce que fait l’Afis depuis 50 ans, c’est rendre accessible au plus grand nombre, par des textes de grande qualité, des énoncés plausibles et laisser le lecteur libre de se construire une conviction où se mêleront la plausibilité qui relève de ce qu’il a compris, et la confiance qu’il pensera devoir accorder à ceux qui lui apportent ces informations. C’est pour moi un exemple dans un combat pour défendre ce bien commun qu’est la démarche scientifique.


Thème : Rationalisme

Mots-clés : Rationalisme

Publié dans le n° 327 de la revue


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L' auteur

Yves Bréchet

Yves Bréchet est professeur des universités à l’Institut polytechnique de Grenoble, spécialiste des matériaux. Il (...)

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