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L’homéopathie peut-elle aider à réduire les effets indésirables des médicaments ?

Publié en ligne le 8 avril 2020 - Homéopathie -

À ce jour, aucune étude clinique rigoureuse (planifiée et enregistrée), prospective, randomisée, conduite en aveugle et répliquée de façon indépendante n’a permis d’établir une quelconque efficacité thérapeutique de l’homéopathie au-delà d’un simple effet placebo (d’un produit dénué d’activité pharmacologique). Toutes les revues systématiques (les méta-analyses d’essais cliniques) ont également conclu dans ce sens (voir par exemple celle conduite par le National Health and Medical Research Council en Australie, à ce jour la plus exhaustive et la plus rigoureuse sur ce sujet [1]).

Les promoteurs de l’homéopathie avancent un nouvel argument qui démontrerait l’intérêt de maintenir cette pratique dans l’arsenal thérapeutique : l’homéopathie permettrait de diminuer le recours à des médicaments présentés comme inutiles et dangereux et contribuerait, du fait de son innocuité, à réduire la iatrogénie médicamenteuse en France (voir encadré). À l’appui de leurs affirmations, ils mettent en avant les résultats d’un ensemble d’études portant sur des patients de la « cohorte EPI3 » [2] atteints de trois pathologies fréquentes : douleurs musculo-squelettiques, troubles anxio-dépressifs et du sommeil, infections respiratoires des voies aériennes supérieures. Ainsi, pour justifier le maintien du remboursement de ses produits, l’entreprise Boiron met en avant ces études pour affirmer l’intérêt de l’homéopathie qui répondrait  « à des enjeux prioritaires de santé publique, notamment la surconsommation médicamenteuse, la iatrogénie et l’antibiorésistance » [3]. Les études EPI3 visaient originellement à évaluer  « l’impact d’une prise en charge homéopathique ».

En réalité, comme nous allons essayer de le démontrer, la pratique homéopathique n’a aucun effet démontré sur la iatrogénie médicamenteuse : plusieurs études confirment que cette pratique, de par les dérives qu’elle favorise ou auxquelles elle est souvent associée, peut être dangereuse pour la santé publique.

Les faiblesses méthodologiques des études EPI3

Un médecin examine une fiole d’urine, Cornelis de Bie (1621/22-1664) daprès David Teniers le jeune. © Wellcome Collection

Les études EPI3 sont constituées d’une série de neuf études observationnelles (épidémiologiques) conduites entre 2006 et 2010, dont l’objectif principal était de comparer le profil socio-démographique des patients et le profil de prescription des médecins prescrivant de l’homéopathie (c’est-à-dire les caractéristiques des pathologies traitées, des patients et des prescripteurs), et non pas d’étudier l’efficacité de l’homéopathie. Ces études ont été intégralement financées par l’entreprise Boiron mais les responsables affirment les avoir conçues, conduites et publiées en toute indépendance vis-à-vis de leur financeur.

La série d’études EPI3 portait sur l’usage de certains médicaments actifs dans le cadre de pathologies données en fonction des pratiques de prescription de leurs médecins (conventionnelles, « complémentaires » incluant l’homéopathie ou mixtes). Il s’agissait plus précisément de psychotropes pour des épisodes anxieux et dépressifs [4] ou des troubles du sommeil [5], d’antibiotiques, d’anti-inflammatoires ou d’antipyrétiques pour des infections respiratoires supérieures [6] et d’anti-inflammatoires non stéroïdiens pour des troubles musculo-squelettiques [7].

Les nombreux biais et insuffisances méthodologiques dont souffrent les études observationnelles font qu’elles sont très rarement conduites pour démontrer l’efficacité d’un traitement 1. Elles n’ont pas recours à des méthodes de « randomisation » (allocation aléatoire des patients aux groupes de traitement) ni à une expérimentation en aveugle (qui oblige notamment les investigateurs à évaluer l’efficacité des traitements selon les critères cliniques d’évaluation sans savoir quel traitement a été pris par les patients). Ces deux méthodes ont pour but, d’une part de minimiser la survenue de différences entre les groupes de patients étudiés qui pourraient biaiser l’analyse de l’efficacité du traitement étudié et donc d’éviter que l’investigateur ne modifie son jugement consciemment ou inconsciemment en sachant quel traitement a été pris par son patient. La plupart du temps, ce type de biais favorise l’hypothèse que cherchent à prouver les expérimentateurs.

Sachant que l’objectif principal des études EPI3 n’était pas de démontrer l’impact de l’homéopathie sur la iatrogénie médicamenteuse, le nombre de patients inclus dans ces études était beaucoup trop faible pour évaluer un tel effet à l’échelle de la population générale. Il aurait fallu pour cela des études de grande taille incluant un échantillon de patients représentatif de la population. La faible représentativité des études EPI3 est illustrée par les caractéristiques des patients inclus dans ces études qui sont composées de 60 à 80 % de femmes selon les cas. D’autre part, de telles études devraient utiliser des critères d’évaluation adéquats pour démontrer un tel effet : une comparaison de l’incidence d’effets indésirables entre les groupes ainsi que leur gravité (hospitalisations ou décès). Enfin, des études sur la iatrogénie devraient impliquer un suivi rigoureux des patients et de leurs prescriptions, quelle qu’en soit l’origine. Les études EPI3 ne répondent à aucun des critères mentionnés. Ainsi, l’étude EPI3 relative aux troubles du sommeil n’a inclus qu’un total de 346 patients dont 143 patients traités par homéopathie [5] ; 45 % des patients invités ont accepté de participer à ces études et environ 20 % ont été « perdus de vue » (ils sont sortis au cours de l’étude), ce qui est une source majeure de biais (il est parfaitement envisageable que ces « perdus de vue » soient les patients ayant les pathologies les plus graves, hospitalisés ou décédés au cours de ces études). Le pourcentage de perdus de vue dans l’étude conduite chez les patients souffrant de troubles musculo-squelettiques a été approximativement de 50 % [7]. De plus, les critères de recrutement des patients, le diagnostic et le suivi clinique ne sont pas précisément décrits, codifiés et validés médicalement (les informations sur l’évolution de la maladie ont été obtenues auprès des patients par téléphone en dehors de toute consultation médicale).

La iatrogénie médicamenteuse en France

La iatrogénie médicamenteuse est définie comme la survenue d’effets indésirables, parfois graves, liés à l’usage des médicaments (prescriptions non justifiées, interactions, omissions ou administrations erronées, surconsommation, etc.) et se traduirait selon le Collectif bon usage du médicament [1] par 130 000 hospitalisations et au moins 10 000 décès par an (avec de 45 % à 70 % des cas évitables). Les médicaments les plus incriminés en France sont les psychotropes, les anti-inflammatoires non stéroïdiens, les antalgiques et les antibiotiques. Le pays se place ainsi, au niveau européen, comme  « celui dans lequel la prescription semble le plus fréquemment s’éloigner des recommandations et des données de la science » [2].

Références


1 | « Les 10 préconisations du Collectif bon usage du médicament », avril 2018. Sur leem.org
2 | Bégaud B, Costagliola D, « Rapport sur la surveillance et la promotion du bon usage du médicament en France », 2013. Sur solidarites-sante.gouv.fr

Les études EPI3 sont-elles vraiment en faveur de l’homéopathie ?

Effets de l’homéopathie ou différences socio-démographiques ?

L’évanouissement,attribué à Evory Kennedy (1806-1886) © Wellcome Collection

Les résultats observés dans les études EPI3 sur la consommation des médicaments des patients suivis par un praticien conventionnel comparés aux patients suivis par un homéopathe sont à interpréter très prudemment. Ils ne permettent pas de montrer une moindre prescription de traitements conventionnels par les médecins homéopathes ou une moindre consommation de médicaments par les patients qui choisissent l’homéopathie. Les études n’ont pas cherché à savoir si les patients qui consultaient un médecin homéopathe se faisaient suivre en parallèle par un médecin « conventionnel ».

En l’absence de randomisation, des différences importantes ont été constatées entre les groupes de patients au départ de ces études. Elles portaient à la fois sur les caractéristiques socio-démographiques, et sur la gravité de la maladie et la consommation initiale de médicaments. Concernant les différents degrés de gravité des pathologies initiales, 57,8 % des patients consultant un médecin « conventionnel » présentaient soit une anxiété, soit une dépression jugée grave, contre 52,3 % des patients ayant choisi l’homéopathie, dont 26,7 % contre 17 %, pour les troubles dépressifs [4] ; 53,3 % des patients consultant un médecin conventionnel pour une infection respiratoire des voies aériennes supérieures présentaient une fièvre supérieure à 38,5 degrés contre 37,3 % des patients consultant un homéopathe [6]. La différence de gravité initiale de la pathologie est en défaveur de l’homéopathie dans une seule étude, concernant les pathologies musculo-squelettiques chroniques (50,4 % contre 60,8 %) [7]. Cette étude montre cependant que les patients qui ont choisi de se faire soigner par un homéopathe étaient en moyenne en meilleure santé que les patients ayant consulté un médecin conventionnel sur des critères comme le tabagisme, l’activité physique et les épisodes d’hospitalisation récents.

Dans le cas des psychotropes, les différences de prescription préexistantes pourraient s’expliquer soit par des différences sociodémographiques (les patients ayant recours à l’homéopathie étaient en général des femmes, non fumeuses, présentant un indice de masse corporelle plus faible et un niveau d’éducation plus élevé que les patients ayant recours à la médecine conventionnelle), soit par des degrés divers de gravité de la maladie entre les patients qui choisissent l’homéopathie par rapport à ceux qui ont recours à la médecine conventionnelle.

Prenons l’exemple de l’étude sur l’usage des psychotropes dans les troubles du sommeil. Celleci conclut que  « les patients […] qui choisissaient de consulter des médecins homéopathes consommaient moins de médicaments psychotropes et présentaient une évolution similaire à celle des patients traités avec un traitement médical conventionnel ». Cette conclusion reflète le fait qu’environ 77 % des patients qui consultaient un médecin généraliste (non homéopathe) ont déclaré consommer un psychotrope au début de l’étude contre seulement 40 % de ceux qui choisissaient un homéopathe. À la fin de l’étude, douze mois après la consultation initiale, les auteurs observent que 66 % des patients suivis par un généraliste prenaient un psychotrope (soit une diminution absolue de 11 %) contre près de 43 % des patients qui consultaient un homéopathe (soit une augmentation absolue de près de 3 %). Les médecins généralistes ont donc réussi à faire diminuer de près de 17 % la consommation relative de psychotropes chez leurs patients alors que les prescriptions des médecins homéopathes ont entraîné une augmentation relative de cette consommation de plus de 7 % [5]. Un effet similaire a été observé chez les patients présentant un trouble anxio-dépressif avec une diminution de 18 % de la consommation de psychotropes observée chez les patients traités par un médecin conventionnel contre une augmentation de consommation de psychotropes de 1,3 % chez les patients suivis par un homéopathe [4]. La plus faible consommation de psychotropes observée chez les patients qui consultent un homéopathe n’est donc pas le reflet d’une différence de prescription mais le résultat d’une situation de départ de l’étude, possiblement imputable à des différences de profil socio-démographique. L’effet sur la iatrogénie médicamenteuse induite par les prescriptions homéopathiques (argument reposant sur une moindre prescription de médicaments responsables des effets indésirables) en devient alors purement spéculatif.

Un effet similaire a pu être observé dans l’étude portant sur les troubles musculo-squelettiques [7]. Sur les douze mois de l’étude, la consommation d’analgésiques ou d’anti-inflammatoires a diminué ou légèrement augmenté chez les patients ayant consulté un médecin pratiquant la médecine conventionnelle (passant de 76,9 % à 69,1 % dans le cas d’une pathologie aiguë, et de 75,7 % à 79,8 % dans le cas d’une pathologie chronique), alors qu’elle a augmenté dans tous les cas chez les patients traités par de l’homéopathie (passant respectivement de 60,9 % à 65,5 % et de 59,0 % à 67,6 %). Il faut noter que la consommation d’analgésiques a été importante et assez comparable chez tous les patients, quelle que soit l’option thérapeutique de leur choix. Les conclusions sur un effet bénéfique potentiel de l’homéopathie sur une moindre consommation de médicaments classiques sont donc à prendre avec beaucoup de prudence.

Moins d’antibiotiques mais plus d’infections ?

Un médecin prenant le pouls d’une fille et tenant une fiole d’urine, Richard Brakenburgh (1650-1702) © Wellcome Collection

Certains éléments des études EPI3 suggèrent que les patients présentant les pathologies les plus graves ne bénéficient d’aucune efficacité de leurs traitements homéopathiques. En effet, l’évolution des pourcentages de rémission chez les patients souffrant de troubles anxio-dépressifs a été plus faible chez les patients suivis par un homéopathe (2,4 % des patients ont observé une amélioration de leur maladie) que chez les patients suivis par un médecin conventionnel (5,4 % des patients) [4].

Dans l’étude visant à évaluer la prescription d’antibiotiques chez 518 patients souffrant d’infections respiratoires supérieures [6], les patients qui ont consulté un homéopathe ont certes eu une probabilité environ deux fois moindre de se voir prescrire des antibiotiques ou des médicaments antipyrétiques ou anti-inflammatoire que les patients ayant consulté un médecin conventionnel, mais ont présenté un risque d’infection multiplié par 1,7. Toutefois, la faible taille de l’échantillon n’a pas permis de montrer que cet effet était statistiquement significatif et l’étude n’a pas permis d’évaluer la gravité potentielle des infections pulmonaires chez les patients traités par de l’homéopathie, ce qui est une faiblesse majeure de cette évaluation. La moindre consommation d’antibiotiques chez les enfants présentant des infections respiratoires supérieures et traités par l’homéopathie a été infirmée par une revue systématique conduite par le réseau Cochrane en 2018 [8]. Ceci illustre l’importance de prendre les données de prescription avec beaucoup de prudence car les études EPI3 n’ont pas été conçues pour évaluer les conséquences cliniques d’une prise en charge homéopathique, en particulier dans les situations les plus graves.

Les patients inclus dans ces essais n’ont pas été suivis ni questionnés sur les autres traitements conventionnels prescrits au cours de leur pathologie par d’autres médecins. Ainsi, il est impossible de savoir s’il y a eu une évolution favorable spontanée (la prescription homéopathique était alors inutile) ou bien s’il a été nécessaire d’administrer des médicaments conventionnels dans un second temps.

Que disent finalement les études EPI3 ?

Fondamentalement, ces études ne démontrent en aucun cas une quelconque efficacité thérapeutique de l’homéopathie sur l’évolution des pathologies considérées. Ce n’était d’ailleurs pas l’objectif affiché et les auteurs ont été beaucoup plus circonspects dans leurs conclusions que bon nombre de commentateurs.

Mais elles n’apportent pas non plus de preuves d’un effet bénéfique de la pratique homéopathique sur la iatrogénie médicamenteuse en France. Elles suggèrent plutôt que les différences observées dans le recours à certains médicaments actifs reflètent les particularités sociodémographiques et les demandes des patients adeptes de l’homéopathie. Et ces différences semblent se niveler au cours de l’évolution de ces pathologies.

L’impact de l’homéopathie sur la iatrogénie médicamenteuse

Le Guy’s Hospital à Londres, auteur inconnu © Wellcome Collection

Pour essayer de mieux évaluer un effet hypothétique de l’homéopathie sur la iatrogénie médicamenteuse, il faut se pencher sur des données beaucoup plus exhaustives et potentiellement moins biaisées. Une étude conduite sur des données de remboursement de l’Assurance maladie française en 2011 et 2012 et publiée dans le journal Family Practice en 2015 [9] a montré que 43,5 % des professionnels de santé ont prescrit des remèdes homéopathiques remboursés pendant cette période. Une coprescription de médicaments conventionnels et de remèdes homéopathiques a été observée dans 55 % des ordonnances. Enfin, cette étude a montré que seulement 10 % de la population générale s’est vu prescrire des remèdes homéopathiques remboursés par la sécurité sociale (majoritairement des femmes, à 68 %). La prescription homéopathique se fait donc, dans la majorité des cas, en association avec des traitements conventionnels.

Cette étude confirme le profil socio-démographique des patients adeptes de l’homéopathie observé dans les études EPI3 et suggère par ailleurs fortement que la prescription de remèdes homéopathiques se fait en général en plus des traitements conventionnels, ce qui ajoute un argument supplémentaire en défaveur d’un effet bénéfique sur la iatrogénie médicamenteuse.

Enfin un dernier argument renforce cette conclusion. Si l’on accepte le fait qu’une majorité des Français (77 %) auraient eu recours une fois dans leur vie à la pratique homéopathique (sondage Ipsos de 2018 [10]) et que 36 % en feraient une consommation régulière [9], une part significative des Français devrait en théorie privilégier l’homéopathie et donc être moins exposée aux effets indésirables des médicaments conventionnels. Ce qui ne s’observe pas dans les statistiques où la iatrogénie médicamenteuse en France reste une des plus importantes dans le monde.

La pratique homéopathique tend à surmédicaliser les patients atteints d’affections bénignes ne nécessitant souvent aucun traitement. Ne risquet-elle pas ainsi de renforcer une demande des patients pour une prescription systématique de médicaments et les effets iatrogéniques induits ?

Un impact négatif de l’homéopathie sur la santé publique

Même si la pratique homéopathique n’explique pas la faible couverture vaccinale en France, il existe des preuves établissant une association importante entre cette pratique et la défiance vaccinale en France et dans le monde (certains praticiens continuent d’attribuer la survenue de l’autisme à la vaccination avec, par exemple, la  « pollution par les vaccins qui seraient souvent chargés en aluminium » [11, 12]). Une étude observationnelle française visant à quantifier la prise en charge des symptômes par des remèdes homéopathiques lors de l’épidémie de grippe de 2009-2010 a mis en évidence que les patients ayant recours aux traitements homéopathiques étaient moins vaccinés que les patients ayant recours à la médecine conventionnelle (6.1 % vs. 15.5 %). Dans cette étude, la couverture vaccinale chez les patients traités par homéopathie (6.1 %) était inférieure à la couverture vaccinale moyenne nationale (7.9 %) et à la couverture vaccinale moyenne par tranche d’âge [13, 14]. La présentation de certains remèdes homéopathiques comme ayant des propriétés protectives contre la grippe 2 a conduit l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) à rappeler l’avis du Conseil supérieur d’hygiène publique de France [15] selon lequel aucun médicament homéopathique ne peut être considéré comme un vaccin contre la grippe [16]. Cette association a également été mise en évidence dans le cadre du plan gouvernemental d’élimination de la rougeole et de la rubéole congénitale en France pour la vaccination contre la rougeole entre 2005 et 2010, qui note que la pratique systématique de l’homéopathie apparaît comme un des facteurs lié à « une attitude réservée » vis-à-vis de la vaccination [17].

La pratique homéopathique peut également être à l’origine d’un refus ou d’un retard de soins de la part des patients souffrant de pathologies graves et qui peut se traduire par des conséquences dramatiques. S’il est difficile de quantifier l’étendue de l’impact de cette dérive thérapeutique, qui se manifeste souvent à travers la médiatisation de cas dramatiques, une étude observationnelle récente [18] a montré que les patients qui choisissent des approches « alternatives » au détriment des traitements conventionnels pour traiter leur cancer ont eu, entre autres, un risque de décès deux fois plus élevé que les patients traités par la médecine conventionnelle.

Par ailleurs, certains pédiatres homéopathes français prétendent traiter l’autisme infantile grâce à un « protocole chlorum » [19]. En mars 2019, les autorités britanniques ont interdit les protocoles visant à traiter l’autisme par de l’homéopathie [20].

Des dérives sont aussi observées pour des pathologies très graves ou tropicales (sida, paludisme, Ebola, etc.) où l’homéopathie est présentée comme « humanitaire ». Par exemple, l’association Homéopathes sans frontières publie une fiche de recommandations pour le traitement homéopathique « de fond » du paludisme qui indique que  « le traitement homéopathique du paludisme peut être institué seul dans des cas de paludisme simple, dans la patraquerie paludéenne mais aussi dans le paludisme viscéral évolutif » [21], forme chronique de l’infection à Plasmodium (voir aussi [22]).

Une étude de grande ampleur conduite au Royaume-Uni [23] a montré que les prescriptions homéopathiques s’écartent des recommandations cliniques, en particulier avec la prescription de remèdes dont l’efficacité n’est pas démontrée dans des pathologies potentiellement graves (infections, états dépressifs graves).

Conclusion

Les affirmations des promoteurs de l’homéopathie sont issues d’extrapolations hâtives tirées d’études originellement de faible valeur ou non conçues pour répondre à la question des effets de cette pratique sur la santé publique. Les affirmations concernant un effet positif sur la prescription d’antibiotiques (et donc sur l’antibiorésistance), bien que très médiatisées, sont purement hypothétiques et peu vraisemblables. Les effets potentiellement négatifs de la pratique homéopathique sur la santé publique (en particulier la défiance vis-à-vis de la vaccination) sont souvent minimisés et mériteraient d’être mieux évalués.

Avis de la Haute autorité de santé


Le 26 juin 2019, la Haute autorité de santé a rendu un avis portant sur le remboursement des médicaments homéopathiques. Dans ses attendus, elle relève « l’absence de démonstration de leur intérêt sur la santé publique notamment sur leur intérêt pour réduire la consommation d’autres médicaments ». Voici l’avis de la HAS :

Compte tenu :

  • de l’absence de gravité de certaines affections ou symptômes bénins, spontanément résolutifs pour lesquels il n’existe pas de besoin médical identifié et dont le recours aux médicaments (dont l’homéopathie) n’est pas nécessaire ;
  • de l’absence de démonstration d’efficacité (en termes de morbidité et/ou de qualité de vie) des médicaments homéopathiques dans les affections/symptômes pour lesquels des données ont été retrouvées dans la littérature (données non significatives et/ou faiblesses méthodologiques ne permettant pas de conclure à la supériorité par rapport au placebo ou à un comparateur actif ou absence de comparaison aux comparateurs cliniquement pertinents) ;
  • de l’absence de démonstration de leur intérêt sur la santé publique notamment sur leur intérêt pour réduire la consommation d’autres médicaments ;
  • de l’absence de place définie dans la stratégie thérapeutique des médicaments
    homéopathiques dans les affections/symptômes pour lesquels des données ont été
    retrouvées dans la littérature ;
  • de l’absence de données dans les autres affections/symptômes (non retrouvés dans la littérature) pour lesquels l’homéopathie est utilisée en pratique courante et donc de l’absence de place dans ces situations ;

et malgré :

  • la gravité et/ou l’impact potentiel sur la qualité de vie des patients de certains
    symptômes/affections étudiés, pour lesquels il existe un besoin médical à disposer
    d’alternatives thérapeutiques ou de médecines complémentaires ;
  • la très bonne tolérance et le profil de sécurité des médicaments homéopathiques ;
    la Commission donne un avis défavorable au maintien de la prise en charge par l’assurance maladie des médicaments homéopathiques relevant ou ayant vocation à relever de la procédure d’enregistrement prévue à l’article L. 5121-13 du Code de la santé publique.

la Commission donne un avis défavorable au maintien de la prise en charge par l’assurance maladie des médicaments homéopathiques relevant ou ayant vocation à relever de la procédure d’enregistrement prévue à l’article L. 5121-13 du code de la santé publique.

Références

1 | National Health and Medical Research Council (Australie), “Statement on Homeopathy”, mars 2015. Sur nhmrc.gov.au
2 | Fiche descriptive de l’étude EPI3, août 2016. Sur epidemiologie-france.aviesan.fr
3 | « Oui au maintien du remboursement des médicaments homéopathiques  », campagne de l’entreprise Boiron. Sur boiron.fr
4 | Grimaldi-Bensouda L et al., “Homeopathic medical practice for anxiety and depression in primary care : the EPI3 cohort study”, BMC Complementary and Alternative Medicine BMC series – open, inclusive and trusted, 2016, 16 :125.
5 | Grimaldi-Bensouda L et al., “Utilization of psychotropic drugs by patients consulting for sleeping disorders in homeopathic and conventional primary care settings : the EPI3 cohort study”, Homeopathy, 2015, 104 :170-5.
6 | Grimaldi-Bensouda L et al., “Management of upper respiratory tract infections by different medical practices, including homeopathy, and consumption of antibiotics in primary care : the EPI3 cohort study in France 2007–2008”, PLOS One, 2014, 9 :e89990.
7 | Rossignol M et al., “Impact of physician preferences for homeopathic or conventional medicines on patients with musculoskeletal disorders : results from the EPI3 MSD cohort”, Pharmacoepidemiol Drug Saf, 2012, 21 :1093-101.
8 | Hawke K et al., “Homeopathic medicinal products for preventing and treating acute respiratory tract infections in children”, Cochrane Database of Systematic Reviews, 2018, 4 :CD005974.
9 | Piolot M et al., “Homeopathy in France in 2011–2012 according to reimbursements in the French national health insurance database (SNIIRAM)”, Family Practice, 2015, 32 :442-8.
10 | « L’homéopathie plébiscitée par les Français », sondage Ipsos, 9 novembre 2018. Sur ipsos.com
11 | Goldacre B, “Benefits and risks of homeopathy”, Lancet, 2007, 370 :1672-3.
12 | Grandgeorge D, « Traitement homéopathique pour l’autisme », février 2016. Sur homeopathe.org
13 | Vincent S et al., “Management of influenza-like illness by homeopathic and allopathic general practitioners in France during the 2009-2010 influenza season”, J Altern Complement Med, 2013, 19 :146-52.
14 | Guthmann JP et al., « Insuffisance de couverture vaccinale grippale A(H1N1) 2009 en population générale et dans les groupes à risque durant la pandémie 2009-2010 en France », BEHWeb, 2010, 3. Sur invs.sante.fr
15 | Conseil supérieur d’hygiène publique de France, « Avis relatif aux vaccins anti-grippaux », séance du 24 novembre 2006. Sur hcsp.fr
16 | ANSM, « L’ANSM rappelle qu’aucun médicament homéopathique ne peut être considéré comme un vaccin contre la grippe », point d’information du 24 novembre 2016. Sur ansm.sante.fr
17 | « Plan d’élimination de la rougeole et de la rubéole congénitale en France entre 2005 et 2010 ». Sur solidarites-sante.gouv.fr
18 | Johnson SB et al., “Complementary medicine, refusal of conventional cancer therapy, and survival among patients with curable cancers”, JAMA Oncol, 2018, 4 :1375-81.
19 | « Protocole de traitement homéopathique pour l’autisme  ». Sur homeopathe.org
20 |Ad watchdog orders homeopaths to stop claiming autism cure”, The Guardian, mars 2019. Sur theguardian.com
21 | « Le paludisme », fiche descriptive de l’association Homéopathes sans frontière. Sur hsf-france.com
22 | « L’homéopathie en Afrique : une farce sinistre et révoltante…  », SPS n° 292, octobre 2010. Sur afis.org
23 | Walker A et al., “Is use of homeopathy associated with poor prescribing in English primary care ? A cross-sectional study”, Journal of the Royal Society of Medicine, 2018, 111 :167-74.

Des livres sur l’homéopathie

Si les ouvrages sur l’homéopathie ciblant les patients ou les professionnels de santé sont légion, force est de constater que la plupart présentent cette pratique comme validée et recommandée, comme l’illustrent quelques exemples de titre : Je me soigne avec l’homéopathie, c’est malin ; L’homéopathie au fil de la vie : Guide familial ; Maigrir avec l’homéopathie ; Vadémécum de la prescription en homéopathie : fiches pratiques par maladies et par médicament classées de A à Z ; Guide d’homéopathie pour la famille ; Ma bible de l’homéopathie ; L’homéopathie de A à Z, etc.

Dans ce contexte, les livres présentant une vision critique de l’homéopathie et utilisant une approche scientifique d’évaluation sont rares. Le lecteur intéressé trouvera sur notre site Internet des courtes notes rédigées par François Maignen rendant compte de trois de ces ouvrages : Connaissez-vous l’homéopathie ? Idéologie, médias, sciences (Thomas C. Durand, Éditions Matériologiques, 2019 – voir aussi page 65), SCAM : so-called alternative medicine (Edzard Ernst, Societas, 2018), Alternative medicine : a critical assessment of 150 modalities (Edzard Ernst, Springer, 2019).

1 Elles le sont dans des situations très particulières où la conduite d’essais cliniques s’avère impossible (maladies rares par exemple), ce qui n’est pas le cas des pathologies pour lesquelles l’homéopathie est habituellement prescrite.

2  « Ce que contiennent vraiment les médicaments homéopathiques contre la grippe », Le Figaro, 10 octobre 2018.


Thème : Homéopathie

Mots-clés : Médecine

Publié dans le n° 330 de la revue


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L' auteur

François Maignen

François Maignen est docteur en pharmacie et statisticien, spécialisé en santé publique (Londres).

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