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Est-il rationnel de croire aux visites d’extraterrestres ?

Publié en ligne le 25 mars 2019 - OVNI et extra-terrestres -

Extraits de la postface du livre Les OVNI du CNES, trente ans d’études officielles (1977-2007), book-e-book, 2007, de David Rossoni, Éric Maillot et Éric Déguillaume. Avec l’autorisation des auteurs, que nous remercions. Une version plus longue est disponible sur afis.org

Lorsque les Conquistadors sont arrivés en Amérique à bord d’ofnis (objets flottants non identifiés), il n’a pas fallu longtemps pour que les habitants se rendent compte, pour leur malheur, qu’il ne s’agissait pas d’une illusion, puisque, peu de temps après, ils mouraient en grand nombre. Les gens qui soutiennent que les ovnis démontrent la présence d’extraterrestres visitant notre planète doivent expliquer pourquoi ces visites n’ont pas de conséquences manifestes pour nous ; pourquoi, par exemple, ces extraterrestres ne s’emparent-ils pas, mettons, de la Maison Blanche ? À cette question « naïve », on peut évidemment répondre qu’ils ont une autre psychologie que la nôtre, qu’ils aiment nous observer tout en étant discrets, etc. La question que je voudrais brièvement discuter est de savoir dans quelle mesure cette réponse-là est rationnelle […].

Si je n’ai pas vu, personnellement, d’extraterrestres et que j’entends simplement d’autres personnes me rapporter, soit qu’elles en ont vu elles-mêmes, soit qu’elles ont entendu d’autres personnes dire qu’elles en ont vu, je dois me poser la question de Hume [ voir encadré ] : quelles raisons ces personnes me donnent-elles de croire ce qu’elles disent plutôt que de croire qu’elles me trompent ou se trompent ? Il est vrai que les assertions les plus fréquentes ne portent pas directement sur les extraterrestres, mais sur les ovnis, qui sont supposés en être les symptômes. Mais la même question se repose néanmoins : quelles raisons me donne-t-on de croire qu’il s’agit bien d’intelligences extraterrestres et non pas d’un phénomène déjà connu mal interprété ? Dans la critique de la religion, il y a ce qu’on appelle le « Dieu des trous », c’est-à-dire que certains invoquent Dieu pour expliquer tout ce que la science n’explique pas – mettons l’origine de la vie ou de l’Univers. L’invocation d’extraterrestres est du même type : les phénomènes observés sont supposés être inexplicables par des causes terrestres, de façon tellement manifeste, qu’ils indiquent nécessairement la présence d’extraterrestres. La réponse ici est en partie la même que pour le Dieu des trous : pourquoi croyons-nous connaître tellement bien les phénomènes terrestres, pour être sûrs qu’une explication fondée sur ces phénomènes est impossible ? En particulier, pourquoi croyons-nous connaître si bien les problèmes liés à la perception humaine ?

Pourquoi les extraterrestres sont-ils si discrets ?

Mais ce qui nous intéresse surtout, c’est d’examiner le contre-argument à la question naïve : pourquoi les extraterrestres ne se manifestent-ils pas de façon indiscutable ? Quelles raisons avons-nous de croire que les extraterrestres ont une autre psychologie, aiment être discrets, etc. ? A priori, aucune ; le simple fait que l’existence dans l’Univers d’êtres intelligents très différents de nous soit possible n’est pas un argument en faveur de leur présence sur Terre. Le même problème se pose exactement de la même façon à propos des miracles. Une des objections classiques à la croyance aux miracles est « pourquoi Dieu n’aime-t-il pas les amputés ? », c’est-à-dire pourquoi les guérisons « miraculeuses » ne font-elles jamais repousser des membres amputés (de façon vérifiable) ? Mais évidemment, il est possible que Dieu n’aime pas les amputés (c’est sa psychologie qui est ainsi faite) ; il est tout aussi possible qu’il réponde sélectivement et arbitrairement à nos prières : il en soigne certains et aggrave le cas des autres, de façon à ce qu’il soit impossible de détecter statistiquement l’efficacité des prières (après tout, dans certaines versions du christianisme, c’est exactement ce qui se passe avec la grâce, qui est donnée aux uns et pas aux autres, sans que l’on sache vraiment pourquoi).

Dans le cas des ovnis, la situation est encore plus paradoxale : d’une part, nous devons supposer que ces extraterrestres sont super-intelligents et cherchent à ne pas être vus (pour expliquer leur absence de visibilité manifeste), y parviennent quand ils sont recherchés par des scientifiques menant des enquêtes systématiques, mais sont néanmoins suffisamment stupides pour se laisser apercevoir par certains « amateurs ». Il faut une certaine dose de bonne volonté pour trouver ce scénario plausible.

Une autre façon d’énoncer le problème, c’est que nous n’avons aucune expérience de telles divinités ou d’extraterrestres ayant une autre psychologie. Un simple argument de possibilité n’est nullement un argument de plausibilité.


L’argument de David Hume sur les miracles

Un argument philosophique important, qui remonte à cette culture des Lumières, est celui avancé par David Hume (1711-1776) pour montrer qu’il n’est jamais rationnel de croire aux miracles 1. L’argument est simple et a une portée très générale. Supposons, comme c’est le cas pour la plupart des gens, que vous n’ayez jamais vu un miracle vous-même, mais que vous ayez simplement entendu des gens vous rapporter (par exemple via la Bible) l’existence de miracles. Est-il rationnel d’y croire ? Non, répond Hume, parce que vous savez, par votre expérience personnelle, qu’il existe des gens qui se font des illusions ou qui cherchent à tromper d’autres personnes. Par contre, un miracle, vous n’en avez aucune expérience personnelle. Par conséquent, il est plus rationnel de croire que le fait que vous entendiez un récit de miracle s’explique en supposant que quelqu’un se trompe ou vous trompe plutôt qu’en supposant qu’un miracle s’est réellement produit. Ou, pour exprimer autrement la même idée, on peut faire remarquer que, lorsqu’on entend un récit de miracle, le « fait brut », directement perceptible, qu’il faut chercher à expliquer, ce n’est pas le miracle, mais le fait qu’on vous dit qu’un miracle s’est produit. Or l’explication de ce phénomène-là est facile : on peut toujours penser que ceux qui affirment l’existence du miracle cherchent à vous tromper, se trompent ou sont trompés par d’autres.

Hume ne dit évidemment pas qu’il ne faut croire qu’en ce qu’on perçoit directement, mais plutôt qu’il faut exiger de son interlocuteur que, si ce qu’il dit contredit notre expérience immédiate, il apporte des preuves de ce qu’il avance qui soient plus crédibles que cette expérience elle-même.

Comme le dit toujours Hume, si nous raisonnons a priori, on peut en arriver à penser que la chute d’un galet est capable d’éteindre le Soleil. Ce n’est qu’en partant de nos expériences que nous pouvons progresser dans nos connaissances. C’est en combinant ce que nous savons sur les phénomènes terrestres inhabituels, sur les guérisons spectaculaires et sur la faillibilité des témoignages humains que l’on avance, petit à petit.

Une méthode rationnelle de raisonner, mais qui ne peut garantir des conclusions correctes

Notons que Hume ne dit pas que sa façon de raisonner permet toujours d’arriver à des conclusions correctes. En effet, il donne l’exemple d’un prince indien qui refusait de croire que l’eau gèle chez nous en hiver et il approuve sa façon de raisonner : l’eau se solidifie abruptement autour de zéro degré et le prince, vivant dans un climat chaud, n’avait aucune raison de croire qu’un tel phénomène soit possible. Hume donne simplement une règle méthodologique qu’il est rationnel de suivre en toutes circonstances ; mais il n’y a aucune garantie que cette façon de procéder nous permette de nous rapprocher dela vérité. Il y a une différence entre ce qui est vrai, qui dépend de l’état du monde tel qu’il est, et ce qui est rationnel, qui est une façon pour les êtres humains de se « débrouiller » cognitivement dans ce monde. Rien ne garantit que la rationalité mène à la vérité. Il est parfaitement possible que, contrairement à ce que pensait Einstein, « Dieu » soit non seulement subtil, mais malicieux, et qu’il existe des miracles et des visiteurs extraterrestres, mais que nous ne pouvons pas nous en apercevoir. La défense de la rationalité ne se fonde pas sur un quelconque optimisme aveugle (la rationalité nous mènera à la vérité) mais plutôt sur une réflexion lucide sur ce qui est souvent la tarte à la crème des anti-rationalistes, à savoir la finitude humaine, le fait que nous n’ayons pas d’accès immédiat à la vérité, etc. C’est précisément parce que nous sommes des êtres faillibles que nous n’avons pas d’autre espoir d’arriver peut-être à certaines vérités, plutôt que de nous en tenir à des règles de rationalité, telles que l’argument de Hume face aux miracles, qui est justement un argument « pessimiste » puisque fondé sur la faillibilité de nos sens.

– Pas la moindre trace de vie !...

La mauvaise utilisation de l’équation de Drake

Sommes-nous seuls dans l’univers ? Pourrons-nous un jour entrer en contact avec des civilisations extraterrestres ? Ces questions sont discutées depuis bien longtemps. En 1840, dans son Cours de littérature française, Abel-François Villemain évoque le philosophe grec Xénophane (décédé en 450 avant notre ère) qui  « avait affirmé qu’il existait dans l’orbe de la Lune une autre Terre, et là une autre race d’Hommes, qui vivaient de la même manière que nous ici-bas » pour évoquer ensuite  « les progrès modernes » permettant de nuancer cette opinion. Les conditions d’existence sur la Lune, faitil remarquer, ne seraient pas adaptées :  « point d’eau, point de fluide, point d’air respirable, nulle végétation ». Mais, ajoute-t-il,  « la science vient ici au secours de la science, et Fontenelle prouve déjà très bien que ces habitants de la Lune ne sont et ne peuvent être en rien semblables aux habitants de la Terre, c’est l’idée sur laquelle Voltaire a bâti son Micromégas, en raillant d’ailleurs Fontenelle, et en le copiant un peu ». On le voit, le débat n’est pas nouveau.

Dans les années 1960, l’astronome Frank Drake, initiateur du projet SETI – Search for Extra-Terrestrial Intelligence – a proposé une équation (qui porte maintenant son nom) visant à estimer le nombre N de civilisations extraterrestres qui pourraient être visibles dans notre galaxie. La voici :

N = R* × fp × ne × fl × fi × fc × L

R* est le nombre d’étoiles naissant chaque année dans la galaxie ; fp
est la proportion d’étoiles autour desquelles gravitent des planètes ; ne est le nombre moyen de planètes habitables 2 pour une telle étoile ; fl est la proportion de telles planètes ayant développé une forme de vie ; fi la proportion de telles planètes ayant développé une forme de vie intelligente ; fc la proportion de telles planètes abritant une vie capable de communiquer ; et L la durée de vie moyenne d’une civilisation.

Cette équation prouverait-elle l’existence de vies extraterrestres ? C’est ce que certains affirment, se risquant à donner des valeurs aux différents paramètres pour arriver à des estimations de centaines de milliers de civilisations extraterrestres dans notre galaxie. Mais quand on regarde bien,  « cette formule ne fait qu’énoncer une égalité entre deux manières de dire notre ignorance : aucun des termes de droite de l’égalité n’est connu 3, si bien que la transformation de N en ce produit de facteurs ne nous approche aucunement d’une solution » 4.

En réalité, Drake n’a utilisé sa formule que comme support d’un exposé, lors d’une réunion en novembre 1961, avec pour objectif d’alimenter la réflexion sur les principaux facteurs d’existence d’une civilisation extraterrestre avec laquelle nous pourrions entrer en contact. Ainsi, la durée de vie d’une telle civilisation apparaît comme un facteur important. En aucun cas la formule de Drake ne permet de « calculer » le nombre de civilisations extraterrestres.

J.-P. K.

2 La notion de « zone habitable » réfère en fait à un endroit où l’on estime réunies les conditions d’apparition de la vie (présence d’eau liquide, éloignement par rapport à l’étoile, etc.)

3 Ce n’est plus tout à fait vrai maintenant : on estime qu’il y aurait dans notre galaxie (la Voie lactée) sensiblement autant de planètes que d’étoiles et que la proportion qui serait habitable serait de l’ordre de 1 %, voire bien plus.


Thème : OVNI et extra-terrestres

Mots-clés : Ovnis

Publié dans le n° 326 de la revue


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L' auteur

Jean Bricmont

Jean Bricmont est physicien et essayiste belge, professeur émérite de physique théorique à l’université (...)

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