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Dialogue avec nos lecteurs sur la maladie de Lyme

Publié en ligne le 26 mai 2018 - Maladie de Lyme -

 Science et pseudo-sciences n°323 - janvier / mars 2018

Notre dossier sur la maladie de Lyme (SPS 321 et 322) a suscité de nombreuses réactions, souvent positives. Nous avons également reçu quelques rares courriers négatifs que nous publions, avec notre réponse.

Exprimer ce que scientifiques et soignants pensent

Je vous remercie vivement pour votre article de juillet sur l’affaire maladie de Lyme, car vous avez pu exprimer clairement ce que nous, scientifiques et soignants, pensons, mais n’avons pas exprimé clairement, étant juge et partie et suspectés de conflit d’intérêts à tort. Nous étions consternés de voir que les articles de presse et les émissions de radio se fassent piéger par des fausses expertises et des témoignages malheureusement désastreux.

Je suis médecin, professeur de médecine interne, avec une compétence sur la prise en charge des borrélioses de Lyme, j’étais un des rédacteurs du consensus de 2006, j’ai vu de nombreux malades suspects de cette maladie, […]. J’ai récupéré de nombreux malades qui ont eu le parcours (sérologie en Allemagne, PCR vétérinaire, tictox, antibiothérapies multiples) qui avaient une maladie non diagnostiquée : polyarthrite rhumatoïde, maladie de Horton, polyglobulie primitive… La particularité de notre spécialité est de pouvoir évoquer les maladies rares et les formes atypiques de maladies fréquentes, et de savoir explorer les malades qui nous sont adressés pour des symptômes peu spécifiques ou des plaintes atypiques comme la fatigue les douleurs multiples […].

Votre analyse me semble parfaitement résumer la problématique actuelle.

Pr Robin Dote

Médecine interne, Hôpital Avicenna,
université Paris 13 Bobigny


Lyme et biodiversité

Je partage l’essentiel des propos de l’article [Nathalie Boulanger et Benoît Jaulhac, « La bactérie dans la nature et sa transmission à l’être humain », SPS n° 321] et notamment le fait que les modifications de l’environnement, mais aussi les comportements, ont favorisé les populations de tiques. Néanmoins, la dernière phrase m’interpelle sérieusement : « le maintien de la biodiversité… est absolument essentiel afin que les maladies vectorielles transmises par les tiques… ne deviennent pas des affections épidémiques » […]. Que signifie maintien de la biodiversité dans ce contexte ? Richesse en espèces, types de milieux, ou autre ? Est-ce que l’on veut maintenir les choses en l’état ? C’est évidemment impossible car il n’y a pas d’équilibre de la nature (cf. changement climatique). Est-ce que l’on sous-entend que tout aménagement est à proscrire ? Je rappelle que l’on a lutté contre la malaria, avec succès au XIXe siècle, en asséchant des zones humides, donc en modifiant l’environnement, ce qui a été vécu comme positif… […]

Christian Lévêque

Directeur de recherche émérite de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et président honoraire de l’Académie d’agriculture

La réponse de Nathalie Boulanger

Les tiques Ixodes vectrices de la borréliose de Lyme sont très sensibles à la sécheresse et habitent des forêts mixtes surtout (forêts avec mélange de feuillus et de conifères). D’autre part, elles sont susceptibles de se nourrir sur plus de 300 espèces animales très variées (lézards, oiseaux, rongeurs, mammifères de grande taille). Les grands mammifères sont nécessaires car les tiques femelles prennent 100 à 200 fois leur poids de sang. L’homme se fait piquer lors de la fréquentation de ces écosystèmes.

Le maintien de la biodiversité tant animale que végétale est essentiel pour limiter l’augmentation des cas de borréliose de Lyme. En effet, certaines espèces animales sont plus réceptives aux tiques mais moins à l’agent infectieux (l’écureuil roux est porteur d’une charge en tiques importante mais peu réceptif à la bactérie ; à l’inverse la souris à patte blanche est moins réceptive aux tiques mais constitue un excellent réservoir pour les bactéries qui s’y multiplient très bien). C’est ce que l’on appelle en écologie « l’effet de dilution » : il est fondamental de maintenir dans l’environnement une diversité animale et ne pas en faire émerger une plus spécifiquement qui pourrait être très favorable à la prolifération à la fois des tiques et des bactéries. De même sur le plan végétal, cela ne signifie pas de passer d’un extrême à l’autre, autrement dit sur le plan forestier par exemple, évoluer des coupes à blanc (coupe de la totalité des arbres d’une parcelle) ou de l’écobuage (destruction par le feu) à une absence de contrôle de la végétation, surtout dans les sous-bois (tas de branches, arbres morts en excès…). Tout est question d’équilibre et d’harmonie dans les actions humaines.

Ces constatations n’empêchent pas des interventions ponctuelles par l’Homme sur la forêt et sur la faune sauvage, les cervidés notamment. Par contre, il est illusoire de vouloir combattre directement les tiques Ixodes car, au contraire des moustiques, leur site de ponte est réparti de façon uniforme dans l’environnement sans particularités qui pourraient permettre de les cibler (pour les moustiques de l’anophèle responsable du paludisme, on a ciblé les gîtes larvaires c’est-à-dire les étendues d’eau stagnante). De même, l’utilisation de prédateurs de cette tique est illusoire car ces prédateurs n’ont pas été identifiés dans la nature. Au laboratoire, les spores de champignons, des vers nématodes ou des guêpes parasitoïdes peuvent diminuer les populations de tique mais ces outils sont difficilement envisageables pour des raisons écologiques et sanitaires. Il reste à trouver une approche multidisciplinaire pour contrôler ces populations de tiques dans notre environnement.

La comparaison avec le paludisme et son éradication est intéressante, seulement il y a un certain nombre d’éléments très différents entre ces deux pathologies qu’il est important de garder à l’esprit quand on parle de contrôle. La borréliose de Lyme est avant tout une zoonose et l’être humain est un hôte accidentel avec un réservoir animal très important ; le vecteur, comme mentionné précédemment, se nourrit sur une large variété d’hôtes. Le parasite du paludisme est strictement humain (mis à part les quelques cas associés à Plasmodium knowlesi, plasmodium du singe) et le vecteur anophèle femelle est anthropophile avec des gîtes larvaires clairement identifiés.

Il convient donc actuellement, pour la borréliose de Lyme, de contrôler la population de cervidés qui est clairement avérée comme un critère important dans le maintien des populations de tiques. Plusieurs études américaines et européennes l’ont montré. Mais ces mêmes études sont également d’accord pour constater que ces animaux ne sont pas seuls responsables de nos maux et que les raisons de la multiplication des tiques sont multifactorielles et certaines, non encore identifiées.

Référence

Mysterud A et al., “Contrasting emergence of Lyme disease across ecosystems”, Nature Communication, 2016, 7:11882.


Les scientifiques non approchés ?

Dans son numéro de juillet Science et pseudo-sciences publie un important dossier intitulé « Maladie de Lyme, et si le scandale était ailleurs ? ». Malheureusement, force est de constater que les rédacteurs sont loin d’être au fait du sujet. Le communiqué de presse joint titrait « Et si l’on écoutait les scientifiques ? ». Seuls des médecins ont été interviewés, et il est dommage qu’aucun scientifique n’ait été approché.

La forme aiguë de la maladie pose peu de questions, et se traduit par une auréole migrante centrée sur la piqûre de tique, souvent accompagnée d’un syndrome pseudo-grippal, puis par l’apparition d’anticorps dirigés contre la bactérie incriminée, Borrelia. Souvent anodine, deux à trois semaines d’antibiotiques aident généralement à juguler l’infection.

Cependant, tout le monde n’a pas la chance d’avoir un système immunitaire apte à détecter cette proche parente du tréponème de la syphilis, dont les phases tardives neurologiques sont voisines. C’est alors une lente descente aux enfers qui s’ouvre pour un pourcentage non négligeable de personnes, qui reste d’ailleurs à préciser, lorsqu’ils croisent cette bactérie. Borrelia étant capable, comme cela a déjà été démontré chez la souris, et que des travaux en cours chez l’Homme viennent confirmer, d’induire une immunosuppression partielle, neutralisant le fonctionnement de certains types de lymphocytes [1].

La bactérie contamine ensuite différents tissus conduisant à l’apparition d’une forme diffuse tardive, ou forme chronique de la maladie. La concentration bactérienne dans les tissus malades, de quelques dizaines à quelques centaines d’exemplaires par gramme, rend sa détection directe, même par amplification PCR, aléatoire. De plus, la neutralisation de certains globules blancs ne permet ni conversion sérologique, ni production de molécules pro-inflammatoires, ni fièvre. C’est là que se situe l’impasse, et que naît la controverse.

Borrelia permet aussi, comme cela a déjà été montré chez l’animal, de faire le lit de pathogènes co-infectants qui, profitant d’un terrain fragilisé, vont alors se développer [1]. Ainsi, par exemple le parasite Babesia, considéré comme non pathogène chez l’Homme sauf en cas d’immunosuppression (SIDA le plus souvent), va alors devenir un pathogène problématique, souvent associé à Borrelia dans la forme tardive de la maladie de Lyme.

La maladie chronique conduit à une fatigue dé-socialisante (perte d’emploi, arrêt de scolarité) nécessitant souvent un alitement, des douleurs ostéo-articulaires multifocales, une confusion mentale et une atteinte des capacités de concentration et de mémoire (voisine de ce que chacun peut ressentir lors de fortes fièvres). À cela s’ajoutent parfois des complications plus graves encore conduisant à des neuropathies périphériques ou à des atteintes cardiaques. Cette maladie qui va durer des années ne répond que rarement aux traitements antibiotiques courts.

Et c’est la raison pour laquelle, en 2011, les autorités médicales de l’université de Harvard vont obtenir une modification de la Loi de santé de l’État du Massachussetts, autorisant ainsi la prescription d’antibiotiques à long terme dans la maladie de Lyme, que ce soit par voie « orale, intramusculaire ou intraveineuse isolément ou en combinaison » [2]. C’est pour cette même raison que les poursuites contre les médecins américains prescrivant des antibiothérapies longues vont devenir rares après cette date.

Nous sommes tristes des amalgames faits par l’Afis et sa revue, mélangeant allègrement déni médical, charlatans, sectes, associations de malades, approximations fantaisistes, phrases hors contexte et malades imaginaires, dans un dossier loin de l’objectivité scientifique requise. Nous pensions que l’Afis avait au moins retenu un petit quelque chose des écrits de Molière.

Mais pourquoi ne pas avoir consulté la Haute Autorité de santé ou le ministère de la Santé, qui auraient été plus à même d’apporter des éléments précis, plutôt que l’appréciation personnelle des uns et des autres ? Et vous n’êtes pas sans savoir que de nouvelles recommandations médicales sont en phase de finalisation, avec une probabilité forte de rendre le dossier de SPS caduc à court terme.

Selon SPS, la société civile, au travers d’associations de malades apparemment toutes plus ou moins farfelues, voudrait influer sur les décisions médicales. Un peu d’humilité, et rappelons-nous que ces mêmes associations, plus radicales encore, ont conduit en son temps le corps médical à prendre à bras le corps le problème du SIDA. Trente ans après, tous sont d’accord sur leur impact positif. Mais pour la maladie de Lyme, en trente ans rien n’a changé. Une archive de l’Ina couvrant les entretiens de Bichat de 1987 est d’ailleurs des plus instructives sur l’immobilisme médical dans la maladie de Lyme, mais l’Ina ne serait-elle pas complotiste ? [3].

Soutenons la recherche sur ce domaine, sans dogmatisme préétabli, et avec l’objectivité requise. L’Inserm a récemment fait part de sa position dans le dernier numéro de Science et Santé avec une approche constructive, concluant par « Nous en avons pour 30 ans de recherche, il est temps de le faire de manière coordonnée » [4].

Gilles Mercier

Référence

[1] ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26136236
[2] alegislature.gov/Laws/GeneralLaws/PartI/TitleXVI/Chapter112/Section12DD
[3] ina.fr/video/CAB87033958
[4] inserm.fr/actualites/rubriques/magazine-science-sante (n° 37)

SPS - Le dossier de Science et pseudo-sciences reprend les avis unanimes des agences sanitaires en France, en Europe, au Canada ou encore aux États-Unis (qui sont largement cités). En France, il s’agit du HCSP (Haut comité de santé publique, rapport de 2014), de l’Académie de médecine, du Centre de référence sur la maladie de Lyme (hôpitaux universitaires de Strasbourg) ou encore de Santé publique France (le site du ministère, ministère que vous nous reprochez de ne pas avoir consulté). Sur le site de la Haute autorité de santé, que vous citez, aucune information ne va à l’encontre du consensus présenté dans notre dossier.

De votre côté, vous avancez, sur la base d’une étude sur la souris, l’hypothèse d’un système immunitaire défaillant chez l’Homme et qui viendrait expliquer qu’« une maladie qui va durer des années ne répond que rarement aux traitements antibiotiques courts ». Cette hypothèse, comme de nombreuses autres qui circulent, demande à être prouvée. Voici ce qu’en dit le NIAD américain, un équivalent de l’Inserm aux États-Unis : « Plusieurs études récentes suggèrent que la bactérie Borrelia burgdorferi peut persister chez les animaux après un traitement antibiotique. Dans une étude, des scientifiques […] ont découvert que des restes de Borrelia burgdorferi restaient chez la souris après un traitement antibiotique. Une autre équipe de chercheurs […] a constaté que des bactéries intactes persistent après un traitement antibiotique chez des primates non humains. Il n’a pas été possible de cultiver ces bactéries et il n’est pas déterminé si elles sont infectieuses ou non. Des travaux plus récents ont reproduit la mise en évidence d’ADN de bactéries persistant mais non cultivable après un traitement antibiotique sur un modèle murin. Des recherches supplémentaires sont nécessaires et continuent d’être soutenues par le NIAD, pour en apprendre davantage sur l’infection persistante dans les modèles animaux et son implication potentielle pour les maladies humaines » [1]. En revanche, le même NIAD le rappelle, les traitements antibiotiques longs ont bien été montrés non seulement comme inefficaces, mais aussi dangereux.

Vous évoquez par ailleurs les associations de malades et nous reprochez de procéder à un amalgame. Comme souligné dans le communiqué de l’Afis publié le 27 juin 2017 [2], « les associations de malades ont un rôle à jouer en termes d’accompagnement des patients, d’éducation thérapeutique, de reconsidération de la relation de la société à la maladie ou encore de la relation médecin-malade ». Ce que nous contestons, c’est l’invitation qui leur serait faite à peser sur l’expertise scientifique dans le domaine de la recherche ou celui des soins. Ce mélange des genres préjudiciable n’a pas été fait par les associations de malades du sida. C’est une différence fondamentale. Comme rappelé dans le communiqué, « les recommandations médicales ne peuvent être le fruit d’une négociation entre des associations et des représentants politiques, ni être dictées sous le feu de la pression médiatique. Les bonnes pratiques en médecine et les protocoles de prise en charge ne relèvent pas de l’opinion, du rapport de force ou de l’émotion, mais d’une approche scientifique validée » 1.

Vous faites également référence à un jugement d’une instance judiciaire de l’État du Massachusetts aux États-Unis. Comme nous le soulignions dans notre dossier (en donnant d’ailleurs bien d’autres illustrations de décisions judiciaires), la vérité scientifique ne se décrète pas dans les tribunaux.

Oui, il y a encore de nombreuses recherches à mener sur cette maladie (et sur bien d’autres). Mais il faut aussi rappeler ce qu’on en sait : qu’il existe des méthodes de diagnostic, certes perfectibles, mais solides et qu’il existe des traitements efficaces. Et qu’il existe aussi un véritable marché de l’errance thérapeutique qui s’est saisi de rumeurs et de fausses informations sur la maladie de Lyme, au profit de traitements parfois dangereux, qui risquent de détourner des malades de véritables prises en charge de pathologies qui ne sont pas nécessairement une maladie de Lyme.

Jean-Paul Krivine

Références

[1] “Chronic Lyme Disease”, sur le site du NIH : niaid.nih.gov
[2] Maladie de Lyme : et si l’on écoutait les scientifiques ?

Questions et réponses sur la maladie de Lyme

La controverse autour de la maladie de Lyme se développe autour de fausses informations et de rumeurs, mais suscite aussi, dans le grand public, un certain nombre de questions. En complément de notre dossier (publié en juillet 2017), nous publions sur notre site Internet les réponses d’Yves Hansmann, spécialiste du sujet, à quelques-unes de ces questions.

Yves Hansmann est chef du service des Maladies infectieuses et tropicales et médecine interne de l’hôpital universitaire de Strasbourg.

Les questions abordées :

  • Peut-on avoir une borréliose de Lyme avec des tests sérologiques négatifs ?
  • Peut-on avoir une sérologie positive sans avoir la maladie ?
  • Comment alors confirmer de façon certaine la présence ou l’absence d’une borréliose de Lyme ?
  • Peut-on infirmer la présence d’une infection ?
  • La bactérie peut-elle devenir résistante aux traitements recommandés ?
  • La bactérie peut-elle se cacher pour réapparaître ensuite ?
  • La maladie de Lyme ferait-elle l’objet d’un manque d’actions de recherche ?
  • Une défaillance du système immunitaire pourrait-elle rendre les patients plus sensibles à la maladie ? Moins réactifs aux traitements recommandés ?
  • Les médecins généralistes sont-ils suffisamment formés ?

A lire ici Maladie de Lyme : questions et réponses

1 Ajoutons que l’une de ces associations, Le droit de guérir, toujours invitée au comité de pilotage de la concertation gouvernementale, a lancé en octobre 2017 une campagne d’intimidation visant directement et nommément une dizaine de personnalités médicales, ainsi que deux rédacteurs en chef (dont celui de Science et pseudo-sciences). Voir notre éditorial du SPS n°323.

Publié dans le n° 323 de la revue


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Maladie de Lyme

La maladie de Lyme, ou borréliose de Lyme, est une maladie infectieuse, non contagieuse, causée par une bactérie (de type Borrelia burgdorferi) transmise à l’Homme par piqûres de tiques infectées. Le consensus scientifique, partagé par l’ensemble des agences sanitaires au niveau international, fait l’objet d’une contestation de la part de certaines associations.