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Biophotons : la conscience sans la science

Publié en ligne le 1er octobre 2019 - Pseudo-sciences -

La mécanique quantique est une discipline de la physique qui reste difficile d’accès, par la rudesse de son formalisme mathématique d’une part, et par les difficultés (et l’entêtement) qu’a le cerveau humain à se figurer ses résultats. Malgré cela, elle a fait entrer l’humanité dans une ère nouvelle, où la compréhension et la maîtrise de l’infiniment petit deviennent progressivement possibles. Les thérapies quantiques se réclament de ces avancées et promettent une révolution médicale à venir. Leur credo : les cellules communiquent par des biophotons qui joueraient un rôle fondamental pour la bonne santé de l’organisme et participeraient même à former la conscience. Lumière... sur un conte d’aujourd’hui.

Il était une fois… des photons ultra-faibles

La lumière est souvent décrite comme une onde électromagnétique, mais certains des phénomènes qui y sont associés ne peuvent être compris et modélisés que par l’intermédiaire d’un modèle corpusculaire, c’est-à-dire un modèle assimilant le rayonnement lumineux à des paquets de particules, que l’on nomme photons. Ces photons sont émis par les corps chauds (Soleil, feu, filament des ampoules à incandescence…) ou par luminescence (diodes électroluminescentes, tubes néon…). Certains organismes vivants peuvent également émettre des photons, via des mécanismes de bioluminescence impliquant des réactions enzymatiques complexes : c’est le cas des méduses, des lucioles, des vers luisants ou encore des baudroies abyssales.

Dans la littérature scientifique récente, on peut désormais croiser, chemin faisant, le terme de « photons ultra-faibles » (ultra weak photons). Ces photons sont l’objet d’un champ de recherche qui reste complexe. Sous-produits du stress oxydatif des cellules vivantes, ils seraient émis en très faible quantité, ce qui les rend uniquement observables après amplification électronique. Certains chercheurs font l’hypothèse que l’observation de ces photons ultra-faibles, témoins de l’état de stress oxydatif des cellules humaines, permettrait de détecter certaines pathologies [1, 2]. D’autres soupçonnent l’existence de canaux de communication photonique à l’intérieur du cerveau [3] 1 ou suggèrent que ces signaux lumineux sont à l’origine d’une communication intercellulaire responsable du processus de division cellulaire [4] 2. La recherche sur les photons ultra-faibles en est là, ou presque, puisque compte tenu de la nature des phénomènes étudiés, qui impliquent des flux de photons extrêmement faibles, on ne peut exclure complètement l’idée qu’une partie au moins des conclusions des chercheurs se fondent sur des artefacts expérimentaux, notamment celles portant sur le rôle de ces photons ultra-faibles sur la division cellulaire, qui restent hautement spéculatives et controversées [5, 6].

La lumière enchantée

Pourtant, de cette incertitude entourant l’existence et le rôle de ces photons ultra-faibles, certains ont construit une fable (pseudo-) scientifique. Sur la toile, les photons ultra-faibles se sont changés en « biophotons », des particules que l’ensemble des êtres vivants seraient capables de produire.  « D’origine non thermique » et émis  « dans le spectre visible et ultraviolet » [8], ces biophotons  « ne peuvent être vus à l’œil nu, mais peuvent être mesurés par des outils spéciaux » et formeraient  « ce que l’on appelle l’aura, un champ bioénergétique qui entoure tous les organismes vivants, incluant l’eau » 3 [9]. Ils seraient « stockés » dans l’ADN mais permettraient une communication instantanée entre tous les organes du corps humain [10]. Ils auraient donc un rôle primordial dans notre état de santé puisqu’ils transporteraient  « des modèles de maladies et de mort entre les cellules » [11]. Une découverte véritablement « majeure », à en croire certains, largement exploitée dans un nouveau type de thérapies, les thérapies quantiques, qui considèrent  « l’individu dans sa globalité et surtout comme le siège de vibrations, générées par des photons ou particules de lumière » et qui permettent, en « manipulant » ces photons, de  « délivrer l’être humain de ses douleurs ou de blocages psychologiques » [14]. D’aucuns vantent  « une approche passionnante et riche de promesses qui vise à réveiller les pouvoirs d’autoguérison du corps humain » [12] et qui révèlerait  « en chacun de nous l’alchimiste et le chaman en sommeil » [13]. D’ailleurs, en pratique, certaines séances de thérapie quantique auraient de  « nombreuses similitudes avec le chamanisme  » [14], même si certains  «  thérapeutes quantiques » préfèrent mettre à profit les avancées technologiques, probablement pour attirer le chaland plus féru d’électronique que d’animisme. Ainsi, certains appareils, correspondant aux  « standards techniques les plus récents de la technologie », produisent des photons qui sont, nous dit-on,  « absorbés par la peau, se multiplient (...) atteignent le cerveau (...) et harmonisent (...) la production de différentes hormones » [15], tandis que d’autres instruments mesureraient les  « bio-photons déchargés par le bout des 10 doigts » afin de quantifier  « le niveau énergétique des organes » [16]

© Kriscole | Dreamstime.com

Le cas de conscience

Concernant les très hypothétiques canaux photoniques à l’intérieur du cerveau, on apprend qu’ils relieraient  « notre conscience à la lumière ». Certains évoquent même, comme cela ne leur coûte guère, la possibilité que  « notre esprit et notre conscience communiquent avec nos corps par l’intermédiaire de ces biophotons » [17] qui seraient émis en quantité par notre matière grise : en effet,  « au cours d’une ou deux expériences, on a découvert que le cerveau des rats ne pouvait transmettre qu’un seul biophoton par neurone à la minute, tandis que les cerveaux humains pouvaient transmettre plus d’un milliard de biophotons par seconde. » D’ailleurs, les religions ne s’y étaient pas trompées, puisque  « beaucoup de mythes et de textes sacrés, depuis l’aube de la civilisation humaine, rapportent que des saints, des êtres de pouvoir et des éveillés avaient des cercles brillants autour de leurs têtes, qu’on appelle des auréoles » [18]. Qui sait ? Les biophotons expliquent peut-être aussi le mystère des habits neufs de l’empereur…

Comme ils ne sont pas à un ou deux miracles près, ces biophotons prophétiques éclaireraient également le phénomène de télépathie. On découvre ainsi, sur le site Physique & Réussite, l’existence d’une expérience pour laquelle  « un haricot fut coupé en morceaux et chaque morceau séparé d’une distance de 1 à 10 mm de ses voisins [ce qui] montra une extraordinaire communication entre les morceaux qui semblent communiquer entre eux comme si le haricot n’avait jamais été découpé » [19]. Et si des haricots, pas même magiques, peuvent communiquer par biophotons, alors l’être humain doit pouvoir le faire. Une expérience fut donc réalisée avec des guérisseurs qui devaient envoyer, par la pensée, des « intentions » à des feuilles afin de modifier leur production de biophotons : tenez-vous bien,  « les résultats se sont avérés concluants 80 % du temps. » Un exemple supplémentaire, pour paraphraser H. L. Mencken, d’une croyance absurde dans l’éventualité de l’improbable…

© vchal | istockphoto.com

Jack et le haricot magique

La notion de biophoton semble être née des travaux du scientifique russe Alexander Gurwitsch menés au début des années 20, très critiqués et tombés dans l’oubli au cours du XXe siècle, puis remis en lumière dans les années 1970 par les publications de Fritz-Albert Popp. C’est un exemple de production de certitudes pseudo-scientifiques à partir de la récupération, de la déformation et de l’exagération d’hypothèses produites dans le cadre de la science en train de se faire. Sur un domaine aussi complexe que le bio-électromagnétisme, propice aux affabulations, les chercheurs et experts du domaine devraient trouver le temps d’expliquer ce qui relève de la science et ce qui relève de la fable, selon les vœux émis conjointement par Henri Broch et Georges Charpak :  « Tout scientifique peut et doit soulever les problèmes posés par le développement des pseudo-sciences et des croyances. Il doit en effet mettre en évidence que les croyances au paranormal sont des obstacles à l’avènement de l’homme libre » [20]. Ne pas s’atteler à cette tâche, c’est prendre le risque que nos concitoyens sombrent dans un rêve sans issue servant à pallier la réalité, comme le petit Jack, qui, poussé d’abord par la crédulité qui accompagnait son désir d’un avenir meilleur, fut affligé enfin d’avoir échangé sa précieuse vache contre quelques maigres haricots secs…

Références

1 | Burgos RCR et al., “Ultra-weak photon emission as a dynamic tool for monitoring oxidative stress metabolism”, Scientific Reports, 2017, 7 :1229.
2 | Ives JA et al., “Ultraweak Photon Emission as a Non-Invasive Health Assessment : A Systematic Review”, PlosOne, 2014, doi.org/10.1371/journal.pone.0087401.
3 | Zarkeshian P et al., “Are there optical communication channels in the brain ?”, Frontiers in Bioscience, 2018, 23 :1407-1421.
4 | Volodyaev I, Beloussov LV, “Revisiting the mitogenetic effect of ultra-weak photon emission”, Front. Physiol., 2015, 6 :241.
5 | Taylor GW, Harvey EN, “The theory of mitogenetic radiation”, Biological Bulletin, 1931, 61 :280-293.
6 | Quickenden TI, Tilbury RN, “An attempt to stimulate mitosis in Saccharomyces cerevisiae with the ultraviolet luminescence from exponential phase cultures of this yeast”, Radiat Res, 1985, 102 :254-63.
7 | Point S, « Voir son aura : l’illusion d’optique », SPS, n° 314, janvier 2016.
8 | « Le rôle des biophotons dans la guérison », sur elisheanportesdutemps.com (archive.org 9-07-2020)
9 | « Nous sommes des êtres de lumière (biophotons et eau informée) », sur cristalange.over-blog.com
10 | « Biophoton : la lumière est vivante, elle communique avec toutes nos cellules », sur elishean.fr (archive.org 9-07-2020)
11 | « N’importe quelle maladie et de mort cellulaire peut être transmis par des ondes électromagnétiques », sur arcturius.org
12 | « Osez la médecine quantique », sur resistanceinventerre.wordpress.com
13 | « Qu’est-ce que la médecine quantique ? »,sur symphony-energetique.com
14 | « Les thérapies quantiques soigner avec l’énergie »,sur femmeactuelle.fr
15 | biophoton.de
16 | h2obenelux.be (archive.org 9-07-2020)
17 | https://stopmensonges.com/ (indisponible 21-06-2020)
18 |  « La lumière du cerveau », sur eden-saga.com
19 | « Les-biophotons », sur physiquereussite.fr
20 | Broch H, Charpak G, Devenez sorciers, devenez savants, Odile Jacob, 2003.

1 On notera que l’article suggérant l’existence d’une communication photonique à l’intérieur du cerveau est publié dans Frontiers in Bioscience, un journal apparaissant dans la liste de Beall (beallslist.weebly.com), qui recense les journaux dits « prédateurs ». Un journal prédateur est un journal faisant payer l’auteur pour publier un article scientifique, sans regarder véritablement la qualité de son travail, ce qui permet de faire paraître à peu près n’importe quoi…

2 Article également publié dans une revue apparaissant dans la liste de Beall.

3 On notera au passage que cette définition de l’aura, faite d’un champ de photons invisibles à l’œil nu, s’accommode mal de la description que l’on retrouve par ailleurs abondamment sur le net et qui fait de l’aura un champ d’énergie visible par tous (voir la sornette « Voir son aura : l’illusion d’optique » [7]). Peut-être faudrait-il un concile…


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