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Sauver la nuit

Publié en ligne le 2 septembre 2020
Sauver la nuit
Comment l’obscurité disparaît, ce que sa disparition fait au vivant, et comment la reconquérir

Samuel Challéat
Éditions Premier Parallèle, 2019, 298 pages, 21 €

Voici un ouvrage profondément remuant qui nous incite à reconsidérer notre relation à la nuit. Samuel Challéat est docteur en géographie, chercheur invité au laboratoire Géode 1 (CNRS-Université de Toulouse 2), et travaille sur les différentes actions menées par les territoires pour valoriser et préserver l’environnement nocturne.

Dans la première partie, « Observer », l’auteur présente les données du problème. Quel est le statut de la nuit ? S’est-on seulement posé cette question ? Pourtant notre relation au ciel s’appauvrit de jour en jour (de nuit en nuit…) et l’espace nocturne risque de ne devenir qu’un territoire à exploiter pour Internet ou le tourisme spatial. Nous sommes si accoutumés au brouillard de lumière artificielle inondant nos villes que nous sommes incapables de réaliser l’étendue de cette perte, l’obscurité étant une ressource naturaliste, littéraire, paysagère, scientifique, artistique… et d’abord environnementale.

La deuxième partie est intitulée « S’organiser ». Tenter de sauver la nuit, c’est d’abord une volonté profonde de redéfinir l’espace de vie nocturne qu’une société accepte de mettre en commun avec le vivant non humain. S. Challéat, dans cet ouvrage richement documenté, nous fait prendre conscience de l’importance de l’obscurité. Aux États-Unis, chaque année, sept millions d’oiseaux migrateurs sont tués par des collisions avec des bâtiments éclairés. La vie a besoin de nuit : 28 % des vertébrés et 64 % des invertébrés sont nocturnes.

La massification de l’éclairage public, avec la production de plus en plus facile d’électricité, a engendré de nouveaux marchés : il faut éclairer pour resplendir et séduire. Mais face à la colonisation de la nuit par la lumière artificielle, l’érosion de la biodiversité ou le préjudice de ne plus voir la Voie lactée ne sont pas encore des données quantifiables financièrement. Selon l’auteur, il est donc essentiel de ne pas s’arrêter aux « coûts directs », mais aussi de prendre en compte les coûts sanitaires, écologiques ou socioculturels. Le projet de sauver la nuit implique de développer une culture environnementale, donc d’attirer l’attention du public, par exemple sur la destruction de la faune ou l’inhibition de la production de mélatonine. Concilier l’intérêt public et scientifique permet un traitement plus efficace des problèmes et l’engagement d’une action politique.

Dans la dernière partie, « Atterrir », l’auteur donne des éléments pour comprendre que les dés ne sont pas jetés et que nous pouvons agir pour reconquérir la nuit. Et si cette lutte a été initiée au départ par quelques astronomes amateurs passionnés, les avancées sont maintenant importantes, du décret de 2012 limitant les publicités lumineuses (extinction de 1 h à 6 h pour les villes de plus de 800 000 habitants) à l’inscription, en 2015, de la problématique de la pollution lumineuse dans la loi de transition énergétique pour la croissance verte. S. Challéat fait le tour de la question avec compétence et rigueur, et son travail approfondi permettra aux protecteurs de l’environnement, aux élus ou aux scientifiques de pouvoir se repérer dans un sujet encore difficile à appréhender pour certains. La grande qualité de l’écriture rend l’ouvrage particulièrement agréable à découvrir pour tout lecteur.

1 Géode : Géographie de l’environnement.