Peut-on vraiment guérir d’un trouble psychique ?
Publié en ligne le 2 septembre 2023 - Santé et médicament -La guérison en médecine signifie la disparition d’une maladie et le retour à l’état de santé antérieur à celle-ci, un retour dit ad integrum, grâce à l’instauration d’une thérapie traitant des causes de la maladie. Cette définition s’adapte bien aux maladies aiguës comme une infection bactérienne ayant, dans la plupart des cas, un début et une fin. Mais cette approche ne peut pas être généralisée : elle est, par exemple, mise à mal avec les maladies chroniques comme le diabète, l’asthme, les troubles thyroïdiens… Dans ce cadre, les interventions soignantes ont pour objectif de limiter les manifestations de la maladie et ses impacts, faute de la faire disparaître. Par ailleurs, les progrès de la médecine permettent de guérir des maladies qui étaient jusque-là fatales, ou de les transformer en maladies chroniques avec lesquelles on peut vivre (comme certains cancers). Qu’en est-il en psychiatrie ?
Guérir d’une pathologie psychiatrique, une pure folie ?
La guérison, en tant que rémission symptomatique complète, est une ambition réaliste pour certaines pathologies. C’est par exemple le cas de certains états dépressifs caractérisés qui peuvent présenter une rémission symptomatique complète pour un tiers des patients, après huit semaines de traitement médicamenteux bien conduits [1]. Toutefois, ce concept de guérison ne semble pas adapté aux pathologies psychiatriques dites sévères, comme la schizophrénie, le trouble bipolaire ou les troubles de l’humeur ou anxieux sévères. Ces troubles sont définis par la Haute autorité de santé par « leur caractère incertain et évolutif, le temps nécessaire pour confirmer le diagnostic, la stigmatisation associée, le handicap psychique engendré, le risque suicidaire, parfois la nécessité de soins sans consentement, les comorbidités somatiques, les conduites addictives et les difficultés à prendre conscience des troubles et à s’y ajuster » [2]. La guérison dépasse en effet complètement la seule dimension médicale (la présence des symptômes, leur intensité et leur retentissement). Elle renvoie à des attentes d’ordre politique et socioculturelle autour de la normalité et de la dangerosité supposée des « anormaux » [3]. De plus, la maladie psychique est souvent perçue comme un déficit stable et irréversible, inscrit dans l’identité même des personnes concernées.
Il en découle des représentations populaires encore persistantes : un trouble psychique serait incurable et la place des personnes concernées serait dans les hôpitaux psychiatriques conçus spécialement pour eux et non « dans la rue ». Autre idée reçue : la rareté supposée des troubles psychiques. Ils touchent pourtant beaucoup d’entre nous puisqu’une personne sur cinq souffrira d’une dépression au cours de sa vie [1]. Quant aux troubles psychiques sévères, ils concernent environ trois millions de personnes en France [4].
Prenons l’exemple de la schizophrénie. Une vision très pessimiste caractérise encore l’évolution de ce trouble psychique sévère. Elle remonte à la fin du XIXe siècle, où elle s’appelait alors « démence précoce » et avait un pronostic forcément défavorable. Cette vision fataliste perdure. Qu’en est-il en réalité ? La rémission est-elle possible ? Doit-elle s’évaluer uniquement sur des critères symptomatiques comme ceux définis de manière consensuelle en 2005 [5] ? Cette rémission correspondrait alors à une diminution importante de différents symptômes de la maladie (symptômes positifs ou délires, symptômes négatifs, désorganisation de la pensée) pendant au moins six mois, associée à un fonctionnement opérant dans les actes de la vie quotidienne évalué comme stable et de bonne qualité. Sur ce modèle uniquement médical, le taux de rémission à un an de la mise en place d’un traitement reste modeste, de 10 % à 27 % selon plusieurs études [6]. On peut cependant reprocher à cette approche de se fonder sur la simple observation clinique du thérapeute (à l’aide d’échelles validées), sans prise en compte réelle du point de vue de la personne concernée. Elle induit aussi une vision de la bonne santé mentale à l’absence de symptôme psychiatrique.
Le concept de rétablissement en santé mentale
Le rétablissement en santé mentale est une approche élargie de l’accompagnement des personnes atteintes de troubles psychiques sévères [7]. Il suppose la prise en compte de plusieurs paramètres : l’approche médicale objective (évaluation, actions de réduction des symptômes et d’amélioration de la santé physique) mais surtout la prise en compte d’aspects subjectifs (estime de soi, sentiment d’espoir, bien-être, qualité de vie, auto-stigmatisation 1). Cette approche intégrative permet la prise en compte des points de vue de différents acteurs (professionnels de santé, aidants, personnes concernées) et vise une qualité de vie la plus satisfaisante possible pour les patients. Ainsi, le rétablissement devient-il un processus complexe, qui comprend quatre dimensions reliées entre elles :
- Le rétablissement clinique ou « rémission clinique » : il se traduit par une disparition des symptômes ou leur persistance à un niveau faible et le moins gênant possible. Le recours aux médicaments psychotropes (antipsychotiques, antidépresseurs…) et aux psychothérapies y contribue.
- Le rétablissement fonctionnel : il correspond à l’aptitude à faire face de façon satisfaisante aux situations de la vie quotidienne. Il repose sur la capacité à faire des choix et suppose la connaissance de ses possibilités, mais également des limitations dues à la maladie.
- Le rétablissement social : dimension indispensable, il fait référence à l’insertion dans la communauté. Il inclut en particulier notamment l’accès à un logement, à un emploi, à des relations sociales, aux loisirs et à la citoyenneté.
- Le rétablissement personnel : c’est une dimension plus subjective et singulière, un processus non linéaire comportant la reprise de l’espoir, la reconnexion aux autres, la redéfinition d’une identité au-delà de la maladie, la reprise du contrôle de sa vie et de son pouvoir d’agir (empowerment).
La psychiatrie s’est longtemps focalisée sur le seul rétablissement clinique, considérant que la rémission d’une maladie est suffisante pour récupérer une bonne santé mentale. On sait qu’il n’en est rien : on peut ainsi être porteur d’une schizophrénie avec des hallucinations résiduelles en ayant une vie ressentie comme satisfaisante, tout comme il est possible de traverser une situation de souffrance psychique (par exemple, dans le cadre d’un deuil) sans pour autant être atteint de maladie psychique. Ainsi, cette discipline considère désormais comme essentiel de favoriser les autres dimensions du rétablissement, notamment le rétablissement fonctionnel, dans le cadre des actions de réhabilitation psychosociale. En pratique, aider une personne atteinte de trouble psychique à se rétablir d’un point de vue clinique et fonctionnel participe au processus de rétablissement social et personnel [8].
Le rétablissement en santé mentale fait son chemin
Le rétablissement en santé mentale est une approche de la maladie mentale dont les origines prennent racine il y a plusieurs siècles. Ainsi Philippe Pinel, aliéniste français du XVIIIe siècle, défend l’idée que la maladie mentale n’est qu’une partie du psychisme d’une personne, ouvrant la voie aux actions s’appuyant sur sa partie saine en faisant appel à la raison morale et logique de l’aliéné contre sa propre folie et au soutien entre pairs. Des observations d’évolution favorable de la maladie sont décrites par d’autres célèbres médecins par la suite, comme Eugen Bleuler au début du XXe siècle ou Henri Ey en 1955. Elles rejoignent de nombreux témoignages qui ont fleuri depuis plus de cent ans dans plusieurs pays, sans oublier la dynamique politique grandissante des mouvements des usagers de la psychiatrie (comme le mouvement des « survivants de la psychiatrie » aux États-Unis) avec le célèbre nothing about us without us (rien sur nous sans nous) [9].
Quels arguments scientifiques ?
La littérature scientifique comporte des études longitudinales (suivi d’un groupe de personnes sur une longue période) sur le devenir des personnes atteintes de schizophrénie, réalisées dès les années 1970. Une analyse de ces travaux montre que, au-delà d’hétérogénéité de résultats du fait de conceptualisations différentes du rétablissement, 21 à 51 % des sujets aux ÉtatsUnis connaissent une issue favorable allant du handicap léger au rétablissement complet [10]. Quand le rétablissement est abordé sous l’angle subjectif du « bien-être », et malgré une définition encore non consensuelle, les études trouvent des taux de rétablissement avoisinant les 50 % [11].
Les progrès de la médecine ont permis de mieux contrôler le cours de maladies comme l’épilepsie, le diabète ou un cancer et d’ouvrir la possibilité de se reconstruire et vivre avec une maladie chronique. Les compétences des individus pour faire face à la maladie sont alors un élément important à prendre en compte. C’est ce qui s’appelle le « coping » (de l’anglais « faire face »). Il prend également toute sa place en psychiatrie.
Initialement proposé dans le cadre de la gestion du stress [1], les stratégies de coping ont été définies comme les efforts cognitifs et les comportements permettant de réduire et tolérer les manifestations induites par la situation. Elles peuvent s’aborder via les outils de psychoéducation et éducation thérapeutique du patient ou le partage d’expériences entre pairs.
Référence
1 | Folkman S., “Personal control and stress and coping processes : a theorical analysis”, Journal of Personality and Social Psychology, 1984, 46 :839-52.
Mentionnons également des études qualitatives et des analyses phénoménologiques fondées sur les récits autobiographiques de parcours de rétablissement qui permettent de mieux comprendre les mécanismes mis en œuvre [12]. Elles ont, par exemple, permis d’identifier la stratégie de « retrait actif » dans la schizophrénie. Ce terme désigne un comportement de réinsertion sociale à la marge, une façon d’être en société, mais à distance (par exemple, prendre un café à une table seule dans un bar) [13]. D’autres dimensions ont été décrites, telles que l’acceptation de la maladie, une médication personnalisée, la capacité à dépasser l’auto-stigmatisation d’un trouble psychique, la possibilité de prendre des décisions (empowerment) et de se libérer d’une identité de malade [14].
Les outils d’accompagnement au processus de rétablissement
À côté des médicaments psychotropes et des psychothérapies validées comme les thérapies comportementales et cognitives (TCC) permettant la réduction de l’intensité des symptômes et de leur impact, la psychiatrie propose un large panel d’outils [9]. Ceux-ci sont destinés à renforcer les rétablissements fonctionnel et personnel. Ils correspondent aux soins de réhabilitation psychosociale, composés notamment de la psychoéducation des personnes et des aidants (apport de compétences – savoirs, savoir-être et savoir-faire – pour mieux gérer sa maladie), la remédiation cognitive (techniques de rééducation limitant l’impact des troubles cognitifs), l’entraînement aux compétences sociales ou l’activité physique adaptée. Ces dernières années sont marquées par l’arrivée de la pair-aidance professionnelle (apport de l’expérience des personnes qui ont affronté l’épreuve des troubles psychiques et sur les ressources qu’elles ont développées pour y faire face, sur la base d’une formation professionnalisante), véritable catalyseur du processus de rétablissement et facteur limitant de rechute. On peut citer également l’impact majeur de la rédaction de directives anticipées en psychiatrie (élaboration d’un « plan de crise », ressources à contacter, attitudes à adopter, médicaments à utiliser, etc.), avec l’aide d’un pair-aidant, permettant de réduire significativement (de 27 % à 39,9 %) les réhospitalisations à un an [15].
Au-delà des soins, le rétablissement nécessite également un débat public et des actions politiques, afin d’agir sur d’autres déterminants capitaux que sont l’accès au logement et à l’emploi ou encore la lutte contre la stigmatisation et la discrimination.
Les fausses promesses de guérison en santé mentale
Haut potentiel émotionnel, haut potentiel spirituel, surdouance, new age, dérives sectaires, négation des troubles psychiques par des coachs sportifs, développement personnel, pseudothérapies (ennéagramme, reiki, respirianisme, décodage biologique…), la santé mentale attire de nombreuses personnes et peut constituer un marché juteux. La crise sanitaire liée au coronavirus et la dégradation de la santé mentale de la population qui l’a accompagnée [16] a favorisé cette tendance. Le rejet de la médecine dite « conventionnelle », les critiques adressées à la famille, aux amis, aux services de l’État peuvent conduire à l’isolement [17]. Des « vendeurs de rêves » ont attrapé dans leurs filets certains déçus du système de soins ou des personnes en recherche de solutions simples et miraculeuses face à des troubles très difficiles à vivre et à accepter. La méfiance doit donc être de mise face à des promesses de réponses révolutionnaires, simples et universelles.
L’espoir : le nouveau maître-mot en psychiatrie
Les troubles psychiques peuvent prendre différentes formes : être aigus et pouvoir guérir dans le sens de la rémission, mais aussi durer longtemps sans forcément la disparition totale des symptômes. Mais l’espoir persiste toujours : celui de se rétablir sans forcément guérir totalement. Il implique de prendre en compte le bien-être et les actions de compensation des déficiences dans l’objectif d’avoir une vie la plus satisfaisante possible et pleine de sens. Les défis pour accompagner ce processus sont majeurs aujourd’hui. Il s’agit de renforcer et faire évoluer la psychiatrie française afin de fournir des soins de qualité en tenant compte de l’avis des personnes concernées, de coordonner les compétences et ressources autour et avec elles…
L’approche du rétablissement est complexe et plurielle, mais collective, engageante et passionnante. Elle se fonde sur un espoir : se rétablir d’un trouble psychique est une attente réaliste et non une utopie.
1 | Guardier A, Corruble E, « Dépression : mieux la comprendre pour la guérir durablement », dossier Inserm, 2017. Sur inserm.fr
2 | Haute autorité de santé, « Annoncer un diagnostic psychiatrique sévère chez l’adulte », communiqué de presse, octobre 2022. Sur has-sante.fr
3 | Roelandt JL, « De la psychiatrie à la santé mentale, de la guérison au rétablissement », in Santé mentale : guérison et rétablissement, regards croisés, John Libbey Eurotext, 2015, 63-77.
4 | Santé publique France, « Santé mentale et Covid-19 », dossier, 15 mars 2022.
5 | Andreasen NC et al., “Remission in schizophrenia : proposed criteria and rationale for consensus”, Am J Psychiatry, 2005, 162 :441-9.
6 | Jaaskelainen E et al., “A systematic review and meta-analysis of recovery in schizophrenia”, Schizophr Bull, 2013, 39 :1296-306.
7 | Leonhardt BL et al., “Recovery and serious mental illness : a review of current clinical and research paradigms and futures directions”, Expert Rev Neurother, 2017, 17 :1117- 30.
8 | Masson D, Franck N, Des soins porteurs d’espoir en psychiatrie, la réhabilitation psychosociale, Le Coudrier éditeur, 2021.
9 | Deegan P, “Recovery : the lived experience of rehabilitation”, Psychosocial Rehabilitation Journal, 1988, 11 :11-9.
10 | McGlashan TH, “A selective review of recent North American long-term following studies of schizophrenia”, Schizophr Bull, 1988, 14 :515-42.
11 | Hegarty JD, “One hundred years for schizophrenia : a meta-analysis of the outcome literature”, Am J Psychiatry, 1994, 151 :1409-16.
12 | Davidson L, Living outside mental illness : qualitative studies of recovery in schizophrenia, New York University Press, 2003.
13 | Corin E, Lauzon G, “Positive withdrawal and the quest for meaning : the reconstruction of experience among schizophrenics”, Psychiatry, 1992, 55 :266-78.
14 | Franck N, Processus de rétablissement : définition, méthode d’étude, déterminants et implications pratiques, EMC, 2022.
15 | Tilland A et al., “Effect of psychiatric advance directives facilitated by peer workers on compulsory admission among people with mental illness : a randomized clinical trial”, JAMA Psychiatry,2022, 79 752-9.
16 | Santé publique France, « Comment évolue la santé mentale des Français pendant l’épidémie de Covid-19 : résultats de la vague 27 de l’enquête CoviPrev », enquêtes et études, septembre 2022.
17 | Psycom, « Dérives sectaires et psychiatrie », collection « Droits en psychiatrie », janvier 2022. Sur psycom.org
1 L’auto-stigmatisation est le processus qui conduit un individu à intérioriser les préjugés et les stéréotypes qui s’appliquent à la maladie dont il est victime.
Publié dans le n° 345 de la revue
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L' auteur
David Masson
Psychiatre, responsable du centre référent de réhabilitation psychosociale CURe Grand Est Lorraine et du département (…)
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