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Les leucémies de l’enfant et les champs électromagnétiques basse fréquence

Publié en ligne le 7 juin 2009 - Ondes électromagnétiques -

Les leucémies sont les cancers les plus fréquents chez l’enfant, avec 470 nouveaux cas par an en France, soit une incidence annuelle d’environ 4 cas par million. Elles sont légèrement plus fréquentes chez les garçons que chez les filles. Dans les pays industrialisés, elles présentent un pic d’incidence très marqué autour de l’âge de 2 ans. Les leucémies de l’enfant, en particulier pendant cette période de pic, sont majoritairement développées à partir des précurseurs des lymphocytes B.

Quelles causes possibles ?

Les leucémies de l’enfant sont des maladies hétérogènes, d’origines multifactorielles et résultant vraisemblablement d’au moins deux étapes de cancérogenèse. Une étape intra-utérine conduisant à la génération de cellules pré-leucémiques a été mise en évidence dans plusieurs formes de leucémies. Les causes connues des leucémies de l’enfant sont avant tout les radiations ionisantes à forte dose, certaines chimiothérapies anticancéreuses, et un petit nombre de facteurs génétiques comme la trisomie 21 ou des maladies génétiques comme l’ataxie télangiectasie ou certaines neurofibromatoses. Plusieurs expositions environnementales sont soupçonnées d’augmenter le risque de leucémie de l’enfant. Il s’agit principalement des expositions aux radiations ionisantes d’origine naturelle, et notamment au radon, des expositions aux pesticides, des expositions aux hydrocarbures émis par le trafic automobile. Jusqu’à présent, la recherche de virus leucémogènes est restée sans succès. De tels virus ont été mis en évidence dans plusieurs espèces animales. Leur existence dans l’espèce humaine a été suggérée devant les augmentations localisées d’incidence observées dans des régions isolées soumises à un afflux massif de population, comme de gros chantiers de construction, par exemple. C’est notamment ce que l’on a pu observer dans les années 80 près de certains sites nucléaires britanniques : sous l’hypothèse où un virus serait en cause dans les leucémies, ce type de mouvements de population pourrait mettre en contact les porteurs du virus et les individus susceptibles d’être infectés dans des proportions facilitant sa transmission.

Parmi les autres facteurs mis en cause, une réaction inappropriée du système immunitaire à une infection banale est évoquée. L’isolement immunitaire relatif des enfants protégés des infections banales pendant leurs tout premiers mois de vie favoriserait la transformation maligne des cellules préleucémiques lors d’infections ultérieures. Le risque des enfants des pays développés serait ainsi accru, comme celui des enfants uniques ou aînés, et globalement celui des enfants mis plus tardivement en collectivité. L’allaitement prolongé serait un facteur protecteur. Enfin, des facteurs génétiques sont soupçonnés de moduler le rôle carcinogène de certaines expositions comme le tabagisme passif.

Les champs électromagnétiques

Les champs électromagnétiques à extrêmement basse fréquence (CEMEBF, produits par des lignes à haute tension, ou par le câblage des installations et appareils domestiques) font également partie des facteurs soupçonnés d’augmenter le risque de leucémie de l’enfant, et les données épidémiologiques ont conduit le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) à les classer dans le groupe 2B des cancérogènes possibles [9]. En l’état actuel des connaissances, les expositions ne semblent pas liées à d’autres tumeurs que les leucémies de l’enfant. Aucun mécanisme biologique n’est susceptible aujourd’hui d’expliquer ce possible doublement du risque de leucémie chez des enfants fortement exposés au CEM-EBF suggéré par l’épidémiologie [9], mais quels autres facteurs pourraient expliquer une telle association ? Quels biais pourraient entraîner ces associations apparentes entre leucémie de l’enfant et CEM-EBF ? Beaucoup de pays contribuent depuis plus de 20 ans à ce débat et les premières données épidémiologiques françaises seront disponibles dans quelques mois.

La littérature épidémiologique rapporte des travaux assez différents les uns des autres. Les études, de type cas-témoins, comparent l’exposition estimée d’enfants atteints de leucémie et d’enfants non malades de la même population. Aucune d’entre elles n’a pu disposer d’une estimation totalement satisfaisante de l’exposition. Idéalement, l’estimation devrait être antérieure à la survenue de la leucémie, mesurer fidèlement l’exposition de l’enfant lui-même, prendre en compte l’ensemble des sources d’exposition de ses différentes habitations et de ses autres lieux de vie, et ce sur toute sa vie depuis sa conception. Les erreurs d’estimation de l’exposition ont des conséquences sur l’estimation du risque qui leur est associé : qu’elles sur- ou sous-estiment l’exposition, des erreurs identiques pour les cas et leurs témoins conduisent à minorer voire masquer un lien réel entre l’exposition et la maladie. À l’inverse, si elles surestiment l’exposition des cas ou sous-estiment celle des témoins, elles peuvent faire apparaître une relation qui n’existe pas.

Une autre faiblesse des études cas-témoins est le possible écart entre le groupe des individus pris comme témoins et la population qu’ils sont censés représenter. Si ce groupe est moins exposé que ne l’est l’ensemble de la population dont les cas sont issus, les cas apparaissent faussement surexposés et l’exposition semble liée à la maladie.

Enfin, il est possible d’imputer à tort aux CEM-EBF l’effet d’une autre exposition responsable de leucémies et qui leur serait corrélée.

Toutes ces erreurs ont deux particularités notables : d’une part, elles ne se corrigent pas par un effectif important, si bien qu’une étude biaisée de grande taille a simplement plus de facilité à conduire significativement à une conclusion erronée. D’autre part elles ont peu de chance de se reproduire à l’identique dans des études suivant des méthodes différentes, réalisées dans des populations différentes à des périodes différentes. Ainsi la convergence de résultats provenant d’études différentes est un argument particulièrement important de l’inférence causale.

La responsabilité des CEM-EBF dans les leucémies de l’enfant a été évoquée pour la première fois en 1979 à partir d’observations sur la configuration du câblage électrique alimentant le domicile [22]. Par la suite, un petit nombre de travaux a encore concerné le câblage électrique. Les études produites par les pays scandinaves se sont focalisées sur le risque à proximité des lignes à haute tension qui sont des sources d’exposition élevée. L’exposition « vie entière » a été estimée par un calcul qui fait intervenir la distance aux lignes à haute tension proches des habitations et leurs caractéristiques techniques. Chaque pays avait une taille insuffisante pour détecter une augmentation de risque, mais prises ensemble, ces études ont estimé un doublement de risque pour les expositions les plus fortes aux CEM-EBF. D’autres études, notamment deux études de grande taille réalisées aux États-Unis et en Grande-Bretagne ont utilisé des dosimètres placés au domicile de l’enfant au moment de l’enquête, et des études canadiennes ont utilisé des dosimètres individuels intégrant l’ensemble des expositions. Les associations rapportées étaient globalement faibles ou très modérées. En 2000, deux analyses regroupant les données de plusieurs enquêtes ont été publiées. La première [1] a sélectionné neuf études basées sur le calcul [6, 16, 19, 21] ou des mesures [3, 11, 14, 15, 20] et a conclu à un risque doublé de leucémies de l’enfant pour des expositions estimées à 0,4 µTesla ou plus, que cette exposition soit calculée ou mesurée. Il n’y avait pas de relation dose-risque : les expositions intermédiaires n’étaient pas associées aux leucémies. La seconde [8], moins sélective, a inclu quinze études, dont 11 avec une estimation quantitative de l’exposition [2, 3, 6, 11, 12, 14, 15, 16, 17, 19, 21] et estimé à 1,7 le risque relatif à 0,3 µTesla ou plus. Là non plus, il n’y avait pas de relation dose-risque. Ces deux analyses convergentes ont conduit les experts réunis par le CIRC à classer les CEM-EBF parmi les cancérogènes possibles en dépit de l’absence d’arguments expérimentaux. En particulier, ces experts n’ont pas pu imputer les résultats publiés à des problèmes méthodologiques

Plus récemment, un risque relatif de 1,7 a été rapporté en Grande-Bretagne chez les enfants résidant à la naissance à moins de 200 m de lignes à haute tension, ce qui correspond à des champs plus faibles que ceux qui étaient pointés par les analyses poolées [4]. Environ 1 % des cas britanniques pourraient être attribuables à ces expositions. Une étude japonaise basée sur des mesures [10] et une étude iranienne basée sur des champs calculés [5] ont fourni des estimations du même ordre que dans les analyses poolées.

Conclusion

Aujourd’hui, l’état des connaissances suggère un doublement du risque de leucémie de l’enfant pour des expositions élevées aux CEM-EBF telles qu’on peut les rencontrer à très faible distance (moins de 50 mètres) des lignes à haute tension ou tout près des postes de transformation. Les travaux en cours dans plusieurs pays, notamment en France, et la nouvelle analyse internationale prévue dans quelques mois apporteront de nouveaux éclairages sur cette relation et, le cas échéant, sur les autres facteurs qui pourraient l’expliquer.

Références

1 | Ahlbom A, Day N, Feychting M, Roman E, Skinner J, Dockerty J et al. (2000). “A pooled analysis of magnetic fields and childhood leukaemia”. Br J Cancer 83 : 692-698.
2 | Coghill RW, Steward J and Philips A (1996). “Extra low frequency electric and magnetic fields in the bedplace of children diagnosed with leukaemia : a case-control study”. Eur J Cancer Prev 5 : 153-158.
3 | Dockerty JD, Elwood JM, Skegg DC and Herbison GP (1999). “Electromagnetic field exposures and childhood leukaemia in New-Zealand”. Lancet 354 : 1967-1 968.
4 | Draper G, Vincent T, Kroll ME and Swanson J (2005). “Childhood cancer in relation to distance from high voltage power lines in England and Wales : a case-control study”. BMJ 330 : 1290.
5 | Feizi AAHP and Arabi MAA (2007). “Acute childhood leukemias and exposure to magnetic fields generated by high voltage overhead power lines – a risk factor in Iran”. Asian Pac J Cancer Prev 8 : 69-72.
6 | Feychting M and Ahlbom A (1993). “Magnetic fields and cancer in children residing near swedish high-voltage power lines”. Am J Epidemiol 138 : 467-481.
7 | Green LM, Miller AB, Agnew DA, Greenberg ML, Li J, Villeneuve PJ et al. (1999). “Childhood leukemia and personal monitoring of residential exposures to electric and magnetic fields in Ontario, canada”. Cancer Causes Control 10 :233.
8 | Greenland S, Sheppard AR, Kaune WT, Poole C and Kelsh MA (2000).“A pooled analysis of magnetic fields, wire codes, and childhood leukemia. childhood leukemia-emf study group”. Epidemiology 11 : 624-634.
9 | IARC. Non-Ionizing radiation, part 1 : Static and extremely low-frequency (ELF) electric and magnetic fields. Lyon : IARC ; 2002.
10 | Kabuto M, Nitta H, Yamamoto S, Yamaguchi N, Akiba S, Honda Y et al. (2006). “Childhood leukemia and magnetic fields in Japan : a casecontrol study of childhood leukemia and residential power-frequency magnetic fields in Japan”. Int J Cancer 119 : 643-650.
11 | Linet MS, Hatch EE, Kleinerman RA, Robison LL, Kaune WT, Friedman DR et al. (1997). “Residential exposure to magnetic fields and acute lymphoblastic leukemia in children”. N Engl J Med 337 : 1-7.
12 | London SJ, Thomas DC, Bowman JD, Sobel E, Cheng TC and Peters JM (1991). “Exposure to residential electric and magnetic fields and risk of childhood leu kemia”. Am J Epidemiol 134 : 923-937.
13 | Maslanyj M, Simpson J, Roman E and Schüz J (2008). “Power frequency magnetic fields and risk of childhood leukaemia : misclassification of exposure from the use of the ‘distance from power line’exposure surrogate”. Bioelectromagnetics.
14 | McBride ML, Gallagher RP, Thériault G, Armstrong BG, Tamaro S, Spinelli JJ et al. (1999). “Power-frequency electric and magnetic fields and risk of childhood leukemia in Canada”. Am J Epidemiol 149 : 831-842.
15 | Michaelis J, Schüz J, Meinert R, Zemann E, Grigat JP, Kaatsch P et al. (1998). “Combined risk estimates for two german population-based casecontrol studies on residential magnetic fields and childhood acute leukemia”. Epidemiology 9 : 92-94.
16 | Olsen JH, Nielsen Aand Schulgen G (1993). “Residence near high voltage facilities and risk of cancer in children”. BMJ 307 : 891-895
17 | Savitz DA, Wachtel H, Barnes FA, John EM and Tvrdik JG (1988). “Case-control study of childhood cancer and exposure to 60-hz magnetic fields”. Am J Epidemiol 128 : 21-38.
18 | Tomenius L (1986). “50-hz electromagnetic environment and the incidence of childhood tumors in stockholm county”. Bioelectromagnetics 7 : 191-207.
19 | Tynes T and Haldorsen T (1997). “Electromagnetic fields and cancer in children residing near norwegian high-voltage power lines”. Am J Epidemiol 145 : 219-226.
20 | UK Childhood Cancer Study Investigators (1999) “Exposure to power frequency magnetic fields and the risk of childhood cancer : a case/control study”. Lancet 354 : 1925-1931.
21 | Verkasalo PK, Pukkala E, Hongisto MY, Valjus JE, Järvinen PJ, Heikkilä KV et al. (1993). “Risk of cancer in finnish children living close to power lines”. BMJ 307 : 895-899.
22 | Wertheimer N and Leeper E (1979). “Electrical wiring configurations and childhood cancer”. Am J Epidemiol 109 : 273-284.


Thème : Ondes électromagnétiques

Mots-clés : Ondes

Publié dans le n° 285 de la revue


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L' auteur

Jacqueline Clavel

Jacqueline Clavel est Directeur de Recherche INSERM. Elle est responsable de l’Unité Épidémiologie (...)

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