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Carte blanche à... Louis-Marie Houbedine

Le riz doré, un projet emblématique

Publié en ligne le 25 mars 2006 - OGM et biotechnologies -

Plusieurs centaines de millions de personnes dans le monde souffrent de carences en vitamine A à des degrés divers. Ces personnes tombent aveugles, notamment 500 000 enfants par an, puis dépérissent et souvent meurent. C’est le cas pour 3 000 enfants par jour. Il est admis que cette carence alimentaire provient d’une insuffisance de nourriture mais surtout d’un mauvais équilibre alimentaire.

Pour y remédier, plusieurs solutions ont été envisagées et aucune n’a donné véritablement satisfaction ni n’a jusqu’à maintenant été effectivement mise en œuvre.

La distribution de vitamine A obtenue par synthèse chimique est peu réaliste et cette solution ne s’est pas imposée. L’addition de vitamine A à des aliments de base comme le riz a fait des débuts encourageants non suivis d’un développement pourtant prometteur.

Une solution originale imaginée il y a 10 ans va peut-être se concrétiser. Elle consiste à ajouter au riz des gènes capables de diriger la synthèse des b-carotènes, qui sont des précurseurs de la vitamine A. La première tentative a été faite par un industriel qui a abandonné, considérant que les taux de vitamine A étaient trop faibles pour être exploitables et que le projet était de toute façon peu rentable. L’idée a été reprise par des chercheurs suisses financés par l’Union Européenne et par la Fondation Rockefeller. Ceci a permis d’obtenir des variétés de riz contenant des quantités de vitamine A suffisantes pour diminuer les carences des consommateurs démunis. Le protocole a été étendu à des variétés locales qui commencent à être cultivées en Inde et aux Philippines. Rien n’est toutefois connu sur les effets réels sur la santé qu’apporte, en pratique, ce riz.

Une amélioration très importante vient d’être apportée au procédé. Deux gènes doivent être transférés au riz. Une recherche systématique menée par une entreprise semencière, Syngenta, a pu montrer que l’un des deux gènes, celui codant pour la phytoène synthétase, était beaucoup plus actif lorsqu’il provenait du maïs plutôt que du dahlia. Ceci permet au riz de contenir jusqu’à 23 fois plus de b-carotène que celui du groupe suisse. Ce taux correspond à 37μg de provitamine A par gramme de riz. Une quantité de riz de 72 grammes consommée pendant un seul repas suffit donc en principe pour apporter la moitié des 300μg de vitamine A que chacun doit absorber quotidiennement. Ce succès est le résultat d’une recherche académique accompagnée d’un développement industriel. Chacune des deux parties a ainsi fait ce que l’on attendait logiquement d’elle.

Rien ne paraît s’opposer à la culture en masse de variétés de riz doré adaptées à différentes régions du monde. Les licences des 32 brevets dont dépend l’exploitation du riz doré et qui sont détenus par des industriels ainsi que des universités ont été accordées gratuitement aux inventeurs suisses. Syngenta s’engage de son côté à mettre gracieusement ses variétés de riz doré à la disposition des agriculteurs dont les revenus annuels sont inférieurs à 10000 $. Ces semences seront la propriété définitive des agriculteurs qui en auront donc le libre usage.

Ce projet est emblématique à plus d’un titre. C’est le premier projet qui concerne vraiment l’amélioration nutritionnelle d’une plante via des modifications génétiques. Il a par ailleurs été imaginé et réalisé dans le but de subvenir à des besoins cruellement insatisfaits d’un nombre considérable de défavorisés. Cela n’empêche pas les opposants aux OGM de dénoncer ce projet avec une particulière vigueur pour la simple raison que ce riz est un OGM. Une controverse accompagnée d’une surenchère dure depuis des années. Elle porte sur la quantité de riz que devraient avaler les pauvres affamés pour espérer absorber suffisamment de vitamine A. Les chiffres annoncés avec force vont du kilo à la dizaine de kilos par jour alors que personne ne sait encore vraiment quelles quantités de riz seront nécessaires car il faut tenir compte du degré de conversion par le consommateur de la provitamine A produite par la plante en vitamine A active. Dans les débats, le zèle d’un opposant aux OGM peut se mesurer par le nombre de kilos de riz doré à consommer qu’il annonce. Ces propos sont généralement accompagnés d’affirmations péremptoires indiquant qu’il existe d’autres sources de vitamine A disponibles et inoffensives celles-là. Ces discours ne nous apprennent jamais comment ces denrées miraculeuses seront mises dans un avenir prévisible à la disposition de ceux qui en ont besoin.

Le plus surprenant est peut-être qu’une des associations les plus opposées aux OGM a investi plus d’argent pour faire une contrepublicité au riz doré que ce qu’a coûté jusqu’à maintenant le développement du projet. Ces conclusions sont le fruit d’une réflexion menée par un chercheur, Ingo Potrykus, responsable du projet suisse ainsi que d’un écologiste, Klaus Ammann, qui est directeur du jardin botanique de l’université de Bern et dont les commentaires sur les biotechnologies sont bien connus. Selon les estimations de ces deux chercheurs, le projet de recherche coûte, depuis une décennie, 240 000 dollars par an. A cela, il faut ajouter que le développement sur le terrain, qui est en cours, revient à 3 millions de dollars par an. La campagne contre le riz doré, quant à elle, coûte 12 millions de dollars par an. Le fait que les opposants retardent le développement du projet n’est, en pratique, pas neutre. En effet, si l’on admet que le riz a doré peut apporter ce que l’on attend de lui, le retard au développement du projet est responsable de la mort de plus de 60 000 enfants par an. Par ailleurs, dans le numéro 3380 (août 2004) de la revue World Bank Discussion, il est rapporté que l’Asie économiserait 15,2 milliards de dollars par an si elle pouvait bénéficier du riz doré.