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Regards sur la science

Le mystère de l’or cosmique révélé au cœur des étoiles

Publié en ligne le 11 septembre 2018 - Information scientifique -

D’où provient l’or, ce métal précieux tant convoité ? Comment a-t-il été produit, non sur Terre, mais dans l’Univers ? En août dernier, une unique observation astrophysique nous a enfin donné la clef pour répondre à ces questions. Les résultats de cette recherche ont été publiés dans une vingtaine d’articles le 16 octobre dernier [1].

L’or préexiste à la formation de la Terre : c’est ce qui le différencie, par exemple, du diamant. Cette pierre précieuse est en effet le résultat de la transformation de la structure atomique du carbone, via les forces de pression qui agissent dans l’écorce terrestre. Rien de tel avec l’or puisque ces forces sont incapables de modifier la composition du noyau de l’atome. Tant pis pour les alchimistes qui rêvaient de la transmutation du plomb en or !

Il n’empêche qu’il y a de l’or sur Terre, à la fois dans le noyau central où il a migré avec les éléments chimiques les plus lourds, et dans l’écorce terrestre où se trouvent les mines de ce métal précieux. Mais il vient d’ailleurs : du cosmos, on l’aura compris. La pluie gigantesque de météorites qui a bombardé la Terre (et la Lune) il y a 3,8 milliards d’années a apporté l’or avec elle.

Formation des éléments lourds

Vue d’artiste des ondes gravitationnelles émises lors de la coalescence de deux étoiles à neutrons (sphères bleues rapprochées). Les ondes gravitationnelles sont aussi émises lorsque les deux étoiles sont éloignées l’une de l’autre. Cependant l’intensité et la fréquence du signal augmentent avec leur proximité.

Par quel processus a-t-il été créé ? L’ensemble des éléments plus lourds que le fer, dont l’or, sont produits pour moitié par ce que l’on appelle le « processus s » dans les phases d’évolution ultimes des étoiles. C’est un processus lent (s pour slow) qui opère dans le cœur des étoiles dites AGB, étoiles de faible masse et de masse intermédiaire (inférieures à 10 masses solaires), qui peuvent produire des éléments chimiques jusqu’au polonium. L’autre moitié des éléments est produite par le « processus r » (r pour rapid). Mais le site où ce processus rapide de nucléosynthèse se déroule est longtemps resté un mystère.

Revenons au 17 août dernier, à la découverte qui nous a apporté un éclairage nouveau sur cette question. Depuis une cinquantaine d’années, l’hypothèse dominante parmi la communauté scientifique était que le processus r avait lieu lors de l’explosion finale des étoiles massives (étoiles de plus de 10 masses solaires). Les spécialistes parlent de supernova d’effondrement gravitationnel. En effet, la formation des éléments légers jusqu’au fer implique des réactions nucléaires libérant de l’énergie. Ce sont d’ailleurs ces réactions qui assurent la stabilité des étoiles. Au-delà du fer, il faut apporter de l’énergie pour produire des éléments plus lourds. Les chercheurs supposaient que cette énergie pouvait provenir de l’explosion des étoiles massives. Malgré la simplicité de cette explication, la modélisation numérique des supernovæ s’est avérée extrêmement compliquée. Après 50 années d’efforts, les chercheurs commençaient à peine à en comprendre le mécanisme. De plus, leurs simulations n’expliquaient pas où se trouvait l’endroit où les conditions physiques du processus r pouvaient exister.

Ces conditions sont pourtant assez simples : il faut beaucoup de neutrons et un milieu chaud.

Fusion d’étoiles à neutrons

Depuis une dizaine d’années, quelques chercheurs ont commencé à étudier d’autres hypothèses. Ils ont focalisé leur attention sur les étoiles à neutrons 1. Celles-ci constituent un réservoir de neutrons gigantesque, qui est libéré occasionnellement. La plus forte de ces libérations se produit lors de la coalescence, dans un système binaire, d’étoiles à neutrons, aussi appelé « kilonova ». Il existe plusieurs signatures de ce phénomène qu’il a été possible d’observer : une émission d’ondes gravitationnelles culminant une fraction de seconde avant la fusion finale et un sursaut de lumière très énergétique (rayons gamma) émis par un jet de matière approchant la vitesse de la lumière. Si ces sursauts gamma sont observés régulièrement depuis quelques décennies, ce n’est que depuis 2015 que les ondes gravitationnelles sont détectables sur Terre grâce aux interféromètres Virgo et Ligo.

Le 17 août dernier restera une date majeure pour la communauté scientifique. En effet, elle marque la première détection quasi-simultanée de l’arrivée d’ondes gravitationnelles – dont la provenance est assez bien identifiée – et d’un sursaut gamma, dont l’origine est assez bien localisée et coïncide avec la première. L’émission du sursaut gamma étant focalisée dans un cône étroit, la chance des astronomes pour cette première détection d’ondes gravitationnelles associée à une kilonova est que le sursaut gamma a été émis dans la direction de la Terre !

Dans les jours qui ont suivi, les télescopes ont analysé la lumière provenant de cette kilonova et y ont trouvé la confirmation de la production d’éléments plus lourds que le fer. Ils ont aussi pu estimer la fréquence de ce phénomène et la quantité de matière éjectée. Ces estimations sont compatibles avec l’abondance moyenne des éléments observés dans notre galaxie.

En une seule observation, l’hypothèse qui dominait jusqu’à présent – d’un processus r ayant lieu exclusivement lors des supernovæ – a été remise en cause et il est maintenant certain que le processus r a aussi lieu dans les kilonovæ. Les contributions respectives des supernovæ et des kilonovæ dans la nucléosynthèse des éléments lourds reste à préciser, ce qui sera fait avec l’accumulation de statistiques liées aux prochaines observations. Cette première observation a déjà permis une très grande avancée scientifique pour la compréhension globale de l’origine des éléments lourds, dont l’or.

Une nouvelle fenêtre sur l’Univers

Ainsi, c’est une nouvelle fenêtre vers l’Univers qui a été ouverte, à l’instar du jour où Galilée a pointé le premier télescope vers le ciel. Avec les interféromètres Virgo et Ligo qui permettent maintenant « d’entendre » les phénomènes les plus violents de l’Univers, des perspectives immenses s’ouvrent à l’investigation des astronomes, ainsi qu’à celle de leurs confrères de disciplines proches allant des astrophysiciens aux physiciens de l’infiniment petit 2. Cette découverte scientifique est le fruit d’une collaboration internationale dont les acteurs principaux sont les États-Unis, la France, l’Italie et l’Allemagne. De nombreux développements technologiques spécifiques ont été réalisés. En guise d’exemple, le laboratoire LMA de Lyon 3 possède la maîtrise mondiale de la production d’une des pièces majeures de ces interféromètres : les miroirs réfléchissant les lasers. À l’avenir, de nouveaux interféromètres viendront compléter Virgo et Ligo. L’Inde et le Japon vont ainsi entrer dans la course, et cette liste s’allongera très certainement dans les années à venir.

Texte adapté depuis le site The conversation (theconversation.com)

Référence
[1] La liste de ces articles est disponible sur
public.virgo-gw.eu/gw170817_papers

1 Une étoile à neutrons est un astre compact résultant de l’effondrement gravitationnel du cœur des étoiles massives. Elle est principalement composée de neutrons et possède une écorce qui représente 1 % de sa masse. Son rayon total est d’environ 10-12 km (environ 1 km pour son écorce) et les masses observées sont comprises entre 1,2 et 2 masses solaires. Certaines étoiles à neutrons sont aussi des pulsars, c’est à dire qu’elles émettent un signal électromagnétique focalisé et distribué sur une très large bande d’énergie : ondes radio, visibles, rayons X ou rayons gamma.

2 Les astrophysiciens s’intéressent à la compréhension globale des phénomènes ayant lieu dans l’Univers. S’appuyant sur les progrès de la physique et sur l’universalité de leurs lois, ils appliquent leurs concepts aux étoiles et au milieu interstellaire. Les physiciens de l’infiniment petit s’intéressent plus particulièrement aux étoiles compactes car la physique de leurs constituants élémentaires est celle de la mécanique quantique. Des liens très forts existent donc entre la compréhension des étoiles compactes, des supernovæ et des kilonovæ, et celle du noyau de l’atome.

3 Le Laboratoire des matériaux avancés (LMA) fait partie de l’IN2P3, un institut national du CNRS.

Publié dans le n° 324 de la revue


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L' auteur

Jérôme Margueron

Chercheur CNRS en astrophysique nucléaire à l’université de Washington, Seattle et à l’IPN Lyon.

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