Le mauvais air
Publié en ligne le 26 octobre 2022Il était une fois les infections et les combattants de l’ombre
EDP Sciences, 2022, 432 pages, 24 €
Écrit par un ancien directeur de recherche à l’Institut Pasteur, spécialiste d’immunologie, l’ouvrage se présente comme une histoire thématisée de la rencontre – pas toujours heureuse – entre les hommes et les microbes. Il comporte neuf chapitres qui conduisent le lecteur de la théorie des miasmes 1, présente dès l’Antiquité et encore en vigueur jusqu’au milieu du XIXe siècle, à l’antibiorésistance, en passant par la découverte des bactéries et des virus, la lutte hygiénique contre les maladies infectieuses et les vaccins. Il s’agit surtout d’une galerie de portraits de savants et de leurs découvertes qui n’est pas sans causer un certain effet catalogue au lecteur mais qui peut être précieuse à qui utilisera l’index qui figure à la fin du livre. La bibliographie est succincte (notes en bas de page) mais renvoie vers des études qui ont manifestement inspiré l’auteur.
L’ouvrage n’échappe pas à la tentation – fort compréhensible du point de vue du savant, un peu moins du point de vue de l’historien – de dresser la liste des « pionniers » et, par là, de réparer quelques « injustices ». J.-M. Cavaillon n’est pas tendre avec Louis Pasteur, dont on sait qu’il fut un redoutable adversaire pour ses concurrents. Antoine Béchamp (travaux sur la pébrine des vers à soie) et Henri Toussaint (travaux sur le charbon) sont présentés comme ses principales victimes. La rudesse professionnelle de Pasteur était réputée, le grand Robert Koch lui-même s’en plaignait. Comme l’indique l’auteur, la redécouverte de ses cahiers de laboratoire et leur exploitation par l’historien Gerald L. Geison (sa biographie iconoclaste The private science of Louis Pasteur parut en 1995) ont depuis un moment cassé le « mythe Pasteur ». Tout au long du livre, le personnage d’Elie Metchnikoff (père de l’immunologie cellulaire) est au contraire présenté comme un héros positif. Une grande attention est portée aux carrières des scientifiques femmes et on appréciera tout particulièrement de voir, parmi les nombreuses photos, le visage de Katalin Kariko à qui l’on doit la mise au point des vaccins à ARN messager.
J.-M. Cavaillon parsème aussi ses propos historiques de constantes allusions à l’épidémie de Covid-19. C’est peut-être là la véritable originalité de l’ouvrage. Les « réflexions » du dernier chapitre offrent des exemples de la « crise scientifique » en partie révélée par la pandémie : frénésie éditoriale (publish or perish), fake news et complotisme, fraudes et malscience, harcèlement au travail, décisions managériales aberrantes, non-reproductibilité des expériences, modèles animaux imparfaits, équilibre instable des financements publics/privés.
C’est ici que l’ouvrage prend toute sa valeur : dans un témoignage, à chaud mais fruit d’une longue et brillante carrière, et surtout sans concession sur ce qu’est devenue aujourd’hui l’activité scientifique dans un contexte de mondialisation où la compétition est plus féroce que jamais. Tout ceci crée beaucoup d’échecs et de comportements déviants mais aussi quelques « miracles » : les vaccins anti-Covid-19 produits en moins d’un an.
1 Dérivée de l’antique théorie des humeurs, la théorie des miasmes stipule que les maladies infectieuses sont produites par des poisons qui s’exhalent de la matière en putréfaction.