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« Le chat qui parlait malgré lui* »

Publié en ligne le 4 novembre 2009 - Rationalisme -
par Nadine de Vos

Sachat, un chat siamois, a l’habitude de faire son pipi du matin perché sur les toilettes mais il n’a jamais été capable d’actionner la chasse d’eau : rien n’est parfait ! Inch, un autre siamois, a une voix de stentor dont il abuse la nuit mais qu’il réduit à un murmure lorsqu’on lui lance un « chut ! » volontaire ; comment ne comprend-il pas qu’il devrait éviter de réveiller ses maîtres ?

Des observations comme celles-ci, on peut en collecter des milliers auprès des amis des chats, dans la littérature et dans la poésie, dans les pages superbes de Joachim du Bellay, Charles Perrault, Baudelaire, Colette, Marcel Aymé… Tomi Ungerer selon qui « les chats sont malins et conscients de l’être ».

Cette tendance à l’anthropomorphisme est très amusante et quasiment inévitable lorsqu’on partage son quotidien avec un animal de compagnie, mais on est en droit de s’attendre à une objectivité sans faille lorsqu’on se trouve face à une étude scientifique.

Le 14 juillet dernier, le quotidien belge Le Soir sous le titre « Les chats ont le ronronnement très psychologue » 1 relayait une information publiée sur le site de l’université du Sussex (Research reveals how cats purrfect the art of exploitation) 2 : le Dr Karen McComb 3, intriguée par le comportement de son chat, a testé la réponse humaine à différents types de cris et de ronronnements 4.

Avec l’aide de quelques volontaires, l’équipe du Dr McComb a réalisé, chez dix chats, des enregistrements de ronronnements « normaux » et de ronronnements produits par certains chats, lorsqu’ils réclament leur pitance. Ces derniers ronronnements, dits « de sollicitation », seraient composés du ronronnement « normal », naturellement bas, et d’un son à plus haute fréquence, plus proche d’un miaulement ou d’un cri. Les enregistrements ont ensuite été soumis à 50 personnes – dont certaines n’avaient aucune expérience des chats – qui ont jugé le miaulement de sollicitation plus insistant et moins agréable.

Il est évident qu’un chat satisfait n’est pas un chat affamé. Il est bien connu que les chats possèdent une panoplie d’inflexions et de modulations vocales. Il est tout à fait crédible que certains chats 5 demandent de la nourriture sur certaines vocalises et que l’humain est plus sensible à certains sons et fréquences, proches, par exemple, du vagissement d’un nouveau-né. Mais est-il scientifiquement opportun, de se laisser aller, en un entrechat, à parler d’exploitation et de manipulation par les animaux de tendances innées propres à l’humain ou de déclarer, à l’instar du journaliste s’inspirant de l’étude : « Les chats ont mis au point des techniques subtiles de ronronnement, jouant sur la psychologie de leur maître, pour leur soutirer ce qu’ils désirent. » 6

*Titre du livre de Claude Roy, Gallimard, Folio junior.

1 http://www.lesoir.be/actualite/sciences_sante/2009-07-14/chats-ronronnement-tres-psychologue-717697.shtml (indisponible—31 mars 2020)
Voir aussi https://www.theguardian.com/science...

2 http://www.sussex.ac.uk/newsandevents/index.php?id=1210 (indisponible—31 mars 2020).

3 Professeur d’éco-éthologie à l’université du Sussex.

4 Current Biology, Volume 19, Issue 13, R507-R508, 14 July 2009

5 Tous ne possèdent pas, en effet, « le » cri manipulateur !

6 « Here we report how domestic cats make subtle use of one of their most characteristic vocalisations – purring – to solicit food from their human hosts, apparently exploiting sensory biases that humans have for providing care. » : Current Biology, Volume 19, Issue 13, R507-R508,14 July 2009.