La vague belge d’OVNI : une panique engendrée par les médias ?
Publié en ligne le 4 décembre 2014 - Paranormal -Entre 1989 et 1992, on assista à un déferlement de témoignages d’ovnis en Belgique. C’est ce qu’on a appelé la « vague belge d’ovnis ». Depuis cette époque, des tenants de l’hypothèse extraterrestre tentent de répondre à ceux qui expliquent cet amoncellement de témoignages par des processus psychologiques et sociologiques dans lesquels les médias jouent un rôle important de catalyseur. En 2011 eut lieu le dernier rebondissement de cette controverse...
Un phénomène inexplicable ?
Plus de vingt ans après les faits, la vague belge d’ovnis continue à être régulièrement présentée comme « inexplicable », principalement sur la base des deux ouvrages de la défunte SOBEPS (Société Belge d’Études des Phénomènes Spatiaux, un groupe amateur d’études et d’enquêtes sur le phénomène OVNI) [1]. Cependant, à la suite de Marc Hallet [2,3], Pierre Magain et Marc Remy [4], beaucoup estiment que la vague belge cadre parfaitement avec le modèle sociopsychologique et résulte plutôt d’un engouement alimenté par les médias.
Le modèle sociopsychologique explique les témoignages d’ovnis par des processus psychologiques et sociologiques. On sait que notre perception visuelle est loin d’être optimale, surtout la nuit : notre estimation des vitesses et des distances n’est pas fiable. Dans l’obscurité, nous avons l’impression que des points lumineux immobiles se déplacent — c’est l’effet autocinétique [1]. Ajoutons à cela que nous sommes influencés par les croyances de nos pairs et par les médias : si beaucoup de personnes nous ont rapporté avoir vu des ovnis, cela augmente la probabilité que nous pensions en voir également.
Contrairement à ce que prétendent certains défenseurs de l’hypothèse extraterrestre, le modèle sociopsychologique ne suppose aucunement que les témoins soient fous ou idiots, car le peu de fiabilité des témoignages, les limites de la perception humaine ainsi que les influences sociales sont des phénomènes normaux que l’on retrouve chez tous les humains. Nous sommes des animaux sociaux disposant d’un système d’interprétation et de perception remarquable et néanmoins faillible...
[1] http://www.scilogs.fr/raisonetpsych...
Trois ans avant le début de la vague belge, Philip J. Klass avait déjà proposé une loi
explicative de certains témoignages d’ovnis [5] : « ‘Lorsque la couverture médiatique conduit le public à croire qu’il y a des ovnis dans les environs, il y a de nombreux objets (naturels ou artificiels) qui, particulièrement lorsqu’ils sont vus la nuit, peuvent prendre des caractéristiques inhabituelles dans l’esprit d’un observateur attentif. Leurs observations d’ovnis s’ajoutent en retour à l’excitation de masse, ce qui encourage encore plus de témoins à chercher à voir des ovnis. Cette situation se nourrit d’elle-même jusqu’à ce que les médias perdent leur intérêt pour le sujet et alors le phénomène retombe ».
La SOBEPS prétend avoir des éléments suffisants pour réfuter cette interprétation. Pourtant, les arguments sont plus que minces, comme nous allons le voir.
Limites des témoignages
Le physicien Auguste Meessen, un personnage central de toute cette affaire, avait sommairement rejeté le modèle sociopsychologique dans Vague d’OVNI sur la Belgique sur la base du nombre important de témoignages dans le monde. Il y écrivait : « Il existe, en effet, à l’échelle mondiale, des dizaines de milliers d’observations d’OVNI, attestées par des témoins indépendants et dignes de foi. Soutenir qu’ils ont tous été victimes d’erreurs de perception ou ont fabulé n’est pas réaliste. » [6] Si nous prenions cet argument pour argent comptant, il nous forcerait à accepter l’existence des fantômes, du Yéti et autres animaux fabuleux [7].
Pour véritablement réfuter l’hypothèse que la vague belge fut la conséquence d’une panique engendrée par les médias, la SOBEPS (ou la COBEPS qui lui a aujourd’hui succédé) ne peut pas se contenter de présenter des témoignages, aussi nombreux soient-ils. Le témoignage humain n’est pas suffisamment fiable [8]. Pour véritablement réfuter le modèle sociopsychologique, il faudrait présenter des preuves tangibles d’une autre théorie contradictoire, une réfutation formelle de la théorie sociopsychologique, ou encore une explication aussi bonne mais encore plus simple du phénomène.
Lorsqu’on examine les éléments empiriques que les ufologues présentent à la communauté scientifique comme « preuves », il est important de ne pas uniquement considérer ce qu’ils ont, mais aussi ce qu’ils devraient avoir mais n’ont pas. L’absence d’éléments que l’on devrait avoir si une hypothèse était vraie va à l’encontre de cette hypothèse lorsqu’on évalue sa pertinence.
Si la description de la vague belge que la SOBEPS présente dans ses publications était correcte (de nombreux engins triangulaires volant lentement au-dessus des villes belges, et cela de manière régulière pendant des mois), on devrait avoir aussi de nombreuses photos et vidéos, détections radars ou traces physiques d’atterrissages. Or, ce n’est pas le cas. Les pièces majeures du dossier de la SOBEPS en faveur de l’inexplicabilité de la vague belge se comptaient auparavant sur les doigts d’une main : il s’agissait principalement de la photo dite « de Petit-Rechain » 1 et d’une détection radar. Sans surprise, ces deux éléments ont été fortement mis en avant par la SOBEPS dans leurs publications. La photo de Petit-Rechain se trouvait même en couverture des deux ouvrages sur le sujet.
Radars et photographie
Suite à une observation au sol 2, l’armée belge lança deux F-16 à la chasse aux ovnis la nuit du 30 au 31 mars 1990. Le radar d’un des deux F-16 enregistra une mystérieuse signature, qui ne fut confirmée ni visuellement par les pilotes, ni par le radar de l’autre F-16, ni par un radar au sol, ni par un témoin au sol au même moment et au même endroit. À ce stade, il aurait été logique de conclure à un mauvais fonctionnement – ce que firent Magain et Remy – mais Meessen défendit au contraire dans un premier temps qu’il s’agissait d’une preuve tangible qu’il y avait bel et bien quelque chose d’étrange dans le ciel belge à cette époque. Ce n’est finalement que dans Vague d’OVNI sur la Belgique 2 : Une énigme non résolue, qu’il concéda qu’on « n’[avait] pas prouvé que le radar des F-16 en a détecté, mais pas le contraire non plus. » [2, page 407] Malheureusement, peu de gens ont lu attentivement ce second ouvrage et cette détection radar continue à être citée, ici et là, comme une preuve de l’inexplicabilité de la vague belge 3.
Ayant perdu la détection radar d’un des deux F-16 pour la défense de sa thèse, Meessen se concentra les années suivantes sur la photo de Petit- Rechain. Magain et Remy écrivirent à son propos dans leur article de 1993 [2] : « En conclusion, vu la facilité de produire la photo de Petit-Rechain par trucage, vu les invraisemblances dans les témoignages et, surtout, les contradictions entre ceux-ci et la photographie elle-même, nous ne pouvons qu’émettre les plus nettes réserves quant à l’authenticité de ce document qui constitue pourtant une des pièces majeures de la vague belge ». Malgré cela, Meessen continua à défendre l’étrangeté de cette photo et développa à partir de celle-ci un modèle de propulsion des ovnis [9]. Le mardi 26 juillet 2011, une bombe explosa dans la communauté ufologique : Patrick Maréchal, l’auteur de la photo de Petit-Rechain, confessait qu’il s’agissait d’un faux réalisé avec du polystyrène expansé et des spots lumineux. Le quotidien belge La Dernière Heure Les Sports (27 juillet 2011) titrait le lendemain matin en couverture : « Canular intersidéral ».
Un dossier désormais vide
Si on enlève la détection radar et la photo de Petit-Rechain, il ne reste vraiment plus grand-chose de ce prétendu « dossier exceptionnel ». Contrairement à ce que certains ufologues avancent à l’heure actuelle, le fait que la photo de Petit-Rechain soit une contrefaçon jette un doute légitime sur l’ensemble de la vague, puisqu’il s’agissait de la dernière pièce majeure. Comme dans la citation ci-dessus à propos de la détection radar (« Quant aux OVNI, on n’a pas prouvé que le radar des F-16 en a détecté, mais pas le contraire non plus »), on pourrait nous rétorquer que nous n’avons pas prouvé l’hypothèse psychosociologique. Ce serait bien entendu prendre le problème complètement à l’envers. L’existence de paniques engendrées par les médias ne fait aucun doute [10]. Il s’agit ici de l’hypothèse explicative par défaut : c’est la plus simple, elle est fondée sur des phénomènes connus, et cohérente avec ce que nous savons des comportements humains. C’est aux défenseurs des hypothèses hétérodoxes (soit l’inexplicabilité de la vague belge, soit l’hypothèse extraterrestre selon les auteurs) de prouver qu’il y a réellement quelque chose dans cette histoire qui ne s’explique pas par des faits ordinaires. Ils ont jusqu’à présent échoué à le faire.
1 | Sobeps (1991). Vague d’OVNI sur la Belgique : Un dossier exceptionnel. Bruxelles, Belgique : Sobeps et Sobeps (1994).
2 | Vague d’OVNI sur la Belgique 2 : Une énigme non résolue. Bruxelles, Belgique : Sobeps.
3 | Hallet, M. (1992), La Vague OVNI Belge ou le triomphe de la désinformation. Liège, Belgique : Chez l’auteur et Hallet, M. (1997). La prétendue Vague d’OVNI belge. Revue Française de Parapsychologie, 1(1), 5-23.
4 | Magain, P. & Remy, M. (1993). Les OVNI : Un sujet de recherche ? Physicalia Magazine, 15, 311-318.
5 | Klass, P. J. (1986). UFOs : The public deceived. New York, États-Unis : Prometheus Books, p. 304.
6 | Sobeps (1991). Vague d’OVNI sur la Belgique : Un dossier exceptionnel. Bruxelles, Belgique : Sobeps, p. 12.
7 | Abrassart, J-M. (2011). In defense of the psychosociological hypothesis – Another reply to Auguste Meessen. SUNLite, 3(4), 9-12.
8 | Loftus, E. F., Doyle, J. M. & Dysert, J. (2008). Eyewitness testimony : Civil & Criminal, 4th edition. Charlottesville, États-Unis : Lexis Law Publishing.
9 | Meessen, A. (2000). Analyse et implications physiques de deux photos de la vague belge. Inforespace, 100, 5-40.
10 | Bartholomew, R. E. & Radford, B. (2011). The Martians Have Landed ! : A History of Media-Driven Panics and Hoaxes. Jefferson, États-Unis : McFarland & Co Inc.
1 Une photographie (floue) d’une masse triangulaire noire avec trois points lumineux, qui
semble voler dans le ciel.
2 Cette observation par un gendarme d’une boule lumineuse dans le ciel peut s’expliquer par
des turbulences atmosphériques. Ce phénomène crée l’illusion que la lumière des étoiles bouge (voir Magain, P. & Remy, M. (1993). Les OVNI : Un sujet de recherche ? Physicalia Magazine, 15, 311-318).
Publié dans le n° 309 de la revue
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Les auteurs
Jean-Michel Abrassart
Fondateur du podcast Scepticisme Scientifique. Docteur en psychologie, il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le (…)
Plus d'informationsNicolas Gauvrit
Chercheur en sciences cognitives au laboratoire Cognitions humaine et artificielle (CHArt) de l’École pratique des (…)
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