La potion magique du prince Charles
Publié en ligne le 25 mars 2009 - Pseudo-sciences -Le dialogue du prince Charles avec les plantes a porté ses fruits.
Lors d’une interview télévisuelle en 1986, le prince Charles avait révélé qu’il parlait régulièrement à ses plantes et il avait ajouté : « Je trouve qu’elles répondent. » 1
L’artichaut et le pissenlit (en anglais artichoke et dandelion) ont eu ces jours-ci le dernier mot.
Ces deux plantes, dont les bienfaits diurétiques sont connus « de toute éternité », a dit le prince Charles en réponse aux critiques, ont été mises en flacon sous forme d’une décoction au prix de 10 livres sterling les 50 ml, (soit 13€50), par l’exploitation agricole biologique dont le prince est propriétaire, et commercialisées par The Prince’s Trust, sous le nom de The Duchy Herbals Detox Tincture. Il s’agit d’un complément alimentaire dont la fonction est de purifier le corps des toxines dues à la pollution, et de faciliter la digestion. La publicité suggère que les bénéfices de ce produit ont été prouvés.
La mise sur le marché de cette potion a fait la une du Guardian du 11 mars 2009, qui rapporte les paroles de Edward Ernst, professeur de médecine complémentaire à la Exeter University. Ernst déclare que l’héritier du trône ignore délibérément la science, à laquelle il préfère la croyance et la superstition, et qu’il s’agit là de charlatanisme pur et simple (outright quackery).
Le professeur Edward Ernst ajoute : « Rien ne serait plus facile que de prouver les vertus de cette décoction… il suffirait d’analyser le sang de quelques volontaires ayant pris leurs gouttes quotidiennes pour voir si leurs toxines ont été éliminées plus rapidement. Mais de telles études n’ont pas été faites, pour une simple raison, c’est que cette potion ne désintoxique rien du tout. » Il ajoute : « ses vertus relèvent de la superstition et de la charlatanerie. »
Le directeur de la firme Prince’s Trust, Andrew Baker, regrette qu’un professeur de ce niveau se fasse de la publicité en recherchant le sensationnel dans les médias. Il précise, après coup, que son produit n’a rien d’un médicament. Il s’agit, explique-t-il, d’une aide à la digestion à base de plantes utilisées depuis des centaines d’années.
D’autres scientifiques partagent le scepticisme de Ernst sur les effets de ce produit. En janvier, un groupe de chercheurs appelé The Voice of the Young science, ( La voix de la jeune science), qui fait partie de l’association humanitaire Sense about Sense, conclut de son étude que les consommateurs sont trompés.
La British Dietetic Association, qui représente 6.000 diététiciens britanniques, affirme, elle aussi, qu’il n’existe pas de potion magique pour débarrasser l’organisme de ses toxines.
Malgré les restrictions constitutionnelles concernant son rôle en politique, le prince Charles a donc décidé d’intervenir une nouvelle fois sur le terrain de la santé.
Il avait attaqué l’agriculture : « Nous devons nous rappeler l’importance sous-jacente de la conscience de l’œuvre de la Nature, du rythme des saisons, de la santé du sol, des récoltes et du bien-être du bétail. » (2001, province du Saskatchewan, Canada)
Une anagramme :
devient :
science a silly option
Traduction. Son Altesse royale l’excentrique grogne : la science est un choix idiot.
Il avait critiqué la science qui « a tenté de prendre la place de Dieu sur le monde naturel », les nanotechnologies, les expériences OGM : « Ce genre de modifications génétiques fait entrer l’humanité dans un domaine qui appartient à Dieu, et à Dieu seul [….] Nous vivons dans une époque de droits, il me semble qu’il est temps que notre Créateur ait aussi quelques droits. » (1998, Daily Telegraph)
Il avait dénigré la médecine moderne : « L’imposant édifice de la médecine moderne dans son entier, avec toutes ses réussites vertigineuses, est, comme la Tour de Pise : bancal. Il est effrayant de voir comment nous devenons dépendants des médicaments, et combien il est facile pour ses médecins de les prescrire tels une panacée universelle pour nos maladies. » (1982, British Medical Association).
Suivant cette voie, il part aujourd’hui à l’assaut du marché des médecines alternatives, en commercialisant trois décoctions, l’une contre le rhume, la deuxième contre la dépression légère, et la troisième contre les toxines, grâce à l’union magique de l’artichaut et du pissenlit.
Déjà en juin 2004, devant le Collège Royal des Obstétriciens et des Gynécologues, le prince de Galles avait recommandé aux professionnels de la santé un traitement contre le cancer associant chimiothérapie, lavements de café, 13 jus de fruits par jour et des injections de vitamines hebdomadaires. Il avait donné l’exemple d’une malade en phase terminale d’un cancer, qui s’était tournée vers une thérapie douce : « Heureusement, 7 ans plus tard, elle est toujours en vie et en bonne santé. », avait-il affirmé.
Faisant fi de la récession, le prince Charles a trouvé un nouveau moyen de remplir les caisses de la royauté britannique en exploitant la crédulité des gens. Et c’est là, bien sûr, qu’est le danger. Car si le produit n’est pas plus dangereux qu’un cautère sur une jambe de bois, sa publicité contribue à faire croire que la nature est bonne, que les plantes sont supérieures à la "chimie", et qu’un prince ignorant tout de la médecine et de la santé peut prétendre y faire autorité.
Alors si vous avez un faible pour les recettes de nos grand’mères, c’est le printemps, allez ramasser les pissenlits qui envahissent nos campagnes, achetez des artichauts au marché. Ils vous coûteront moins cher que l’élixir du prince Charles…
Comme le disait Voltaire : « Jamais la nature n’est si avilie, que quand l’ignorance superstitieuse est armée du pouvoir » 2.
2 Voltaire, (1835), Essai sur les Mœurs et l’Esprit des Nations, Chez Treuttel et Würtz, tome 3, chapitre « De l’Inquisition », p. 217.
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L' auteur
Brigitte Axelrad
Professeur honoraire de philosophie et psychosociologie. Membre du comité de rédaction de Science et pseudo-sciences (…)
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