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L’ordinateur d’Archimède

Publié en ligne le 8 juillet 2018
L’ordinateur d’Archimède
1. La machine d’Anticythère
2. Anticythère ou le naufrage d’un mythe

Frédéric Lequèvre
Éditions Book-e-book, Coll. Une chandelle dans les ténèbres, 2017, 2 volumes, 72 et 73 pages, 11 € chacun

La machine d’Anticythère, intrigant objet retrouvé en Grèce au début du XXe siècle, enflamme toujours les esprits, un siècle encore après sa découverte. Apparemment retrouvée dans l’épave d’un navire romain, elle est présentée comme bouleversant nos connaissances sur l’Antiquité, voire comparée à un « téléphone portable dans un sarcophage égyptien ». Mais qu’en est-il réellement ? Frédéric Lequèvre, docteur en physique et membre du comité de rédaction de Science et pseudo-sciences, s’attaque à pleines dents aux scénarios ressassés, en commençant par le plus fabuleux, celui qui ferait de cet objet l’ancêtre de l’ordinateur, deux mille ans avant l’heure !

En inspectant les engrenages, il détaille une structure incontestablement complexe et subtile sans qu’elle ne présente pour autant les caractéristiques réelles d’un ordinateur et sans l’once d’une quelconque notion de programmation. Mais le mystère ne réside pas toujours là où on le cherche et dans cet épluchage des rouages, l’étrange parenté de la machine d’Anticythère avec les horloges astronomiques de la Renaissance laisse un parfum ouvrant l’appétit…

Que penser des allégations concernant les multiples pouvoirs de cette machine qui donneraient accès à des connaissances astronomiques insoupçonnées pour l’époque ? L’auteur montre que cette machine, certes finement réalisée, renferme un savoir astronomique classique, relativement sommaire et se résumant à des cycles astronomiques connus depuis l’Antiquité, comme le cycle de Méton 1 ou l’affichage élaboré des phases de la Lune.

Après ce premier livret comme une mise en bouche, nous voilà friands d’un peu plus d’informations. Et c’est dans le second livret que l’auteur trie les possibilités de datation réelles de l’objet, osant remettre en cause les informations conventionnelles en recherchant d’autres possibilités. Par exemple, les dents triangulaires des engrenages sont-elles vraiment un signe d’archaïsme signant leur appartenance à l’Antiquité ? Si elles ne sont guère répandues à la Renaissance, l’auteur indique néanmoins leur présence en citant notamment l’horloge astrolabique construite en 1550 à Marseille par Nicolas Féau.

D’autres faits sont bien troublants lorsqu’on s’y penche avec la sagacité de Frédéric Lequèvre : comment réaliser une telle pièce sans un laminoir, encore inconnu à l’époque hellénistique ? Alors ne serait-il pas permis de mettre en doute l’appartenance de la machine d’Anticythère à la cargaison d’un bateau romain ? Pourtant l’antiquité de l’objet est très largement admise !

Il faudrait faire parler les 82 fragments métalliques, très corrodés, présentés juste comme étant en bronze. Des analyses chimiques plus poussées pourraient permettre de déterminer s’il s’agit d’un alliage de cuivre et d’étain (sens actuel du mot bronze), ou d’un autre alliage de cuivre, comme le laiton (mélange de cuivre et zinc). C’est un détail savoureux car si les analyses prouvaient qu’il s’agit de laiton et non de bronze, la corrosion observée ne serait compatible qu’avec les procédés métallurgiques mis en œuvre... à partir de la fin du Moyen ge !

En retournant méthodiquement à l’origine de chacune des informations, l’auteur aborde aussi l’épineuse question de la fiabilité des sources. Le lecteur peut constater comment les mêmes données erronées d’un article de 1974 sont systématiquement reprises et contaminent aussi bien les chercheurs que les journalistes.

La richesse de la documentation, photos, graphiques, dessins, compense un style parfois pesant, l’auteur étant clairement dans une propension certaine à nourrir le lecteur le plus vorace. Certes, une condensation en un seul tome aurait permis une vue plus synthétique, mais la source ne tarit point et l’auteur se montre pleinement didactique pour étancher la soif de celui qui voudrait vérifier par lui-même.

Cette enquête d’une grande qualité, réunissant des informations scientifiques et archéologiques sérieuses, parfois rares, remet véritablement les pendules à l’heure.

1 Cycle de Méton : cycle de 19 ans des réapparitions des phases de la Lune aux mêmes dates des mêmes mois. Découvert au Ve siècle avant J.-C. par l’astronome grec Méton et connu des Babyloniens et des Chinois, ce cycle permet notamment de prédire les éclipses.