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Jean-Claude Pecker, astrophysicien, militant engagé, humaniste et rationaliste

Publié en ligne le 6 juillet 2024 - Astronomie -
Jean-Claude Pecker nous a quittés en 2020, à l’âge de 96 ans. Il aurait eu 100 ans le 10 mai 2023. Directeur de 1962 à 1969 de l’Observatoire de Nice (aujourd’hui Observatoire de la Côte d’Azur), il a joué un rôle clé dans la renaissance de cet établissement créé en 1881. La journée d’hommage organisée en son honneur [1] a permis de retracer son action, et plus généralement sa carrière scientifique. Mais l’événement a également été l’occasion de présenter l’action plus large de Jean-Claude Pecker, ses engagements humanistes et politiques.

C’est dans ce cadre que Jean-Paul Krivine est intervenu pour rappeler une partie de la vie de l’astrophysicien, militant engagé, humaniste et rationaliste, qui a été président de l’Afis de 1999 à 2001. Il est également revenu sur une période plus triste de sa vie. Nous reproduisons ici l’intégralité du discours préparé à cette occasion.

Référence
1 | « Le mercredi 10 mai 2023, l’Observatoire de la Côte d’Azur a rendu un hommage à Jean-Claude Pecker », 5 juin 2023. Sur oca.eu

Je vais essayer de rendre compte du parcours militant de Jean-Claude, un aspect de sa vie qui a beaucoup compté pour lui, et qui reste sans doute un peu méconnu d’une partie du public scientifique réuni ici. Jean-Claude a été l’astrophysicien que vous connaissez, à qui nous rendons hommage aujourd’hui. Cette partie scientifique, ô combien centrale dans sa vie, a largement été décrite ce matin.

J’ajouterai juste cette anecdote qu’il se plaisait à raconter. Il se rappelait, au lendemain de la guerre, au début de sa carrière, une discussion avec Evry Schatzman 1, son grand ami. Celui-ci lui a dit : « Il n’y a pas, en France, d’astrophysique théorique, sauf sur des questions très pointues. Moi, Evry, je m’intéresse à la structure interne des étoiles… à l’intérieur des étoiles. Toi, tu pourrais prendre l’extérieur des étoiles, les atmosphères stellaires. » C’est une anecdote qu’il se plaisait à raconter. J’imagine parfaitement cette période où tout était à construire, où la feuille était presque blanche et où il était possible de se livrer à une sorte de Yalta de la discipline. Quelle période excitante cela devait être pour un jeune chercheur qu’aucun défi n’impressionnait !

Autoportrait, Jean-Claude Pecker

Ce que je retiens de Jean-Claude, c’est d’abord sa gentillesse et sa bienveillance. Et aussi son grand sourire chaque fois que nous nous rencontrions. C’était quelqu’un de chaleureux et de généreux.

Revenons donc sur son parcours militant. Celuici ne vient pas « en plus » du reste, mais apporte un éclairage important sur l’ensemble de sa vie. Ce parcours me renvoie à de nombreux souvenirs personnels qui expliquent en partie tout l’attachement que je portais à Jean-Claude. Ainsi, si parfois, je parle un peu de moi, je vous prie de m’en excuser.

La guerre et les déportations

Tout d’abord, ce qui a marqué profondément Jean-Claude, c’est bien entendu la guerre, les persécutions antisémites et la déportation de ses parents, Victor et Nelly, en 1944, vers Auschwitz d’où ils ne reviendront pas. Il en parlait, mais peu. Nous connaissions les grandes lignes. Mais certains détails nous sont parvenus grâce au récit que Jean-Claude a confié à son ordinateur et que son ami Daniel Ziv a fort heureusement pu récupérer 2.

D’avant-guerre, Jean-Claude garde le souvenir d’une enfance et d’une adolescence heureuses auprès de parents bienveillants. Quand la guerre éclate, Jean-Claude est lycéen à Bordeaux. Il se décrit comme un élève « tranquille et studieux ».

Puis, c’est le 10 mai 1940 : l’Allemagne envahit la Belgique. C’est le jour de ses 17 ans. Jean-Claude décrit alors une « bascule » dans sa vie : « Bascule de la paix à la guerre. Bascule du lycée à la fac. Bascule bientôt de Bordeaux à Paris. Bascule, hélas, de la vie à la mort. » Cette bascule n’était pas une surprise pour sa famille, bien au fait des questions politiques. Et Jean-Claude lui-même s’intéressait beaucoup à ces sujets : il s’est enthousiasmé pour le Front populaire, il a vu l’arrivée de réfugiés fuyant le nazisme, ou de républicains espagnols fuyant Franco, accueillis par ses parents. L’inquiétude montait.

En juin 1940, Jean-Claude observe la ville de Bordeaux recueillir la marée humaine de l’exode ainsi que les restes d’une armée en déroute. Il se porte volontaire dans un service de santé où il assiste un chirurgien dans ses opérations, réalisées parfois dans des conditions difficiles, sans anesthésie.

La vie se poursuit dans une ville de Bordeaux décrite comme « calme et triste », où ses études le mettent relativement à l’abri des effets de la guerre.

Arrive la promulgation du second statut des Juifs (juin 1941). Nouvelle bascule : les cartes d’identité se voient apposées le tampon « Juif » en rouge, sa mère n’a plus le droit d’enseigner au lycée et son père, alors dirigeant d’une succursale bordelaise de la Compagnie générale de radiologie, se voit interdire d’occuper un poste au contact du public. La famille doit déménager à Paris pour que le père puisse prendre un emploi dans un bureau, loin des clients. Jean-Claude intègre une classe préparatoire au lycée Saint-Louis.

Le climat est lourd, mais la vie d’étudiant « se passe bien », dit-il… jusqu’au mois de mai 1942 où « il faut désormais porter l’étoile et ne monter que dans le dernier compartiment des rames de métro. C’est dur ! »

À la fin de l’année scolaire, Jean-Claude réussit le concours de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, son rêve. Mais les lois raciales de Vichy interdisent aux Juifs l’admission. Il se voit accorder à la place une bourse pour suivre des études de licence en province (bourse qui ne sera finalement pas versée, sur décision du Commissariat général aux questions juives du gouvernement de Vichy) 3 [1]. Ce sera donc une inscription à la faculté des sciences de Grenoble.

Le Pont de pierre, Jean-Claude Pecker

Son voyage pour rejoindre Grenoble est mouvementé. En pleine nuit, lors de la traversée du gué permettant d’atteindre la zone non occupée, il raconte : « Une patrouille allemande revint sur ses pas, alors que je passais en clapotant. Ils m’ont entendu plus que vu, et on a tiré sur moi, dans l’obscurité de la nuit basque – j’ai eu très peur. » C’est à ce moment qu’il change d’identité et devient Jean-Claude Pradel, né en 1925.

Stigmatisé comme Juif, Jean-Claude fait le constat suivant : « de ma vie bordelaise, je m’étais à peine aperçu que j’étais juif ». Mais se regrouper entre Juifs, à Grenoble, lui est alors apparu nécessaire, « bien que complètement contraire à mes idées » précise-t-il. En effet, ajoute-t-il « nous ne savions pas si certains de nos camarades grenoblois n’auraient pas l’idée de nous dénoncer, de nous agresser même ».

À Grenoble, Jean-Claude ne s’est pas vraiment engagé dans la Résistance, mais prendra sa bicyclette pour aller prévenir des arrestations prochaines, informé par un de ses amis membre de la Résistance. Jusqu’au jour où cet ami lui annonce : « Aujourd’hui, c’est toi qu’ils veulent. » Arrive alors ce qu’il désigne par « l’année terrible ».

Retour à Paris où il décrit ainsi l’ambiance : « J’ai peur des dénonciations éventuelles ; il ne faut se fier à personne. » Il est embauché dans l’usine Gnome et Rhône d’Argenteuil (qui deviendra la Snecma au lendemain de la guerre).

C’est là qu’il rejoint le Parti communiste internationaliste, trotskyste. Jean-Claude est affecté à un laboratoire chargé de vérifier la qualité des cylindres d’avions destinés à l’armée allemande. Là, sous l’impulsion du directeur de sa petite unité, il explique : « Nous déclarions bons un grand nombre de cylindres qui étaient plutôt assez mauvais, et nous déclarions mauvais une grande partie des cylindres bons. » Mais il mettra également au point un procédé nouveau de contrôle qualité, fondé sur la technique du polissage électrolytique. Cela lui fournira le contenu lui permettant d’obtenir en 1946 un certificat de chimie… et matière à sa première publication sous le nom de Jean-Claude Pradel dans une revue de vulgarisation (Science et Avenir se rappelle-t-il).

Le 10 mai 1944, le jour de l’anniversaire de ses 21 ans, il y a aujourd’hui exactement 79 ans jour pour jour, ses parents sont arrêtés. Les circonstances ne sont pas bien connues. La fin de la guerre se fait dans l’angoisse et sous sa fausse identité.

Jean-Claude raconte « l’une des plus grandes peurs de sa vie » quand, lors d’un contrôle dans un train pour Grenoble, l’officier allemand, après avoir examiné sa fausse carte d’identité, lui fait ouvrir sa valise. Jean-Claude s’aperçoit qu’il a laissé en évidence sa carte d’étudiant, avec sa véritable identité et sa vraie date de naissance. Mais les formules mathématiques qui emplissent les documents qu’il transporte détournent l’attention et le sauvent.

Arrive la Libération, « c’est la joie et la folie », dit-il, mais pour les autres. Lui, il « regarde en silence – pense que la guerre n’est pas finie » tant que ses parents ne sont pas revenus.

Je mesure l’empreinte profonde et indélébile que ces événements ont laissée. Ma mère, de quatre ans sa cadette, a également perdu ses parents dans des circonstances très similaires et a vécu cachée plusieurs années. J’y retrouve le même sentiment : la peur au ventre dans ces chasses à l’Homme permanentes, les angoisses des contrôles dans les trains, la Libération que l’on regarde de l’extérieur, les visites régulières à l’Hôtel Lutetia, que Jean-Claude évoque aussi, qui accueillait les rares survivants des camps de la mort, avec toujours l’espoir d’une heureuse retrouvaille. Puis l’impossible acceptation de l’horreur que l’on découvre progressivement.

Et j’y retrouve aussi le même optimisme : la vie continue.

Je sais que ces épreuves-là ne s’effacent jamais. Elles vous hantent toujours, et reviennent même en force à la fin de la vie. Nous en avions parlé avec Jean-Claude. Cinquante ans après cette sombre période, il a rédigé un recueil de poèmes 4 [2], pour rendre hommage à ses parents. Daniel Ziv l’a évoqué dans cette cérémonie. Jean-Claude y écrit ces mots : « Je me suis tu. Pendant cinquante ans… Mais je suis faible, très faible… Au moment de ce cinquantième anniversaire, en 1994, je n’ai pu continuer à garder le silence. »

Aucune faiblesse bien sûr. Il fallait de la force pour parler.

J’ai conservé l’étoile juive que Jean-Claude a portée. Et j’ai également celle de ma mère. On ne peut rester indifférent en les regardant, incrédule, en pensant que des êtres chers et proches ont été contraints de les porter « bien visiblement » comme l’ordonnance allemande le stipule.

Jean-Claude déclarera, bien plus tard : « Pour mes parents, le summum, c’était le Collège de France, et le summum du summum, c’était l’Académie des sciences. Il y a des choses que je n’ai pas aimées dans cette vie et que j’ai faites par devoir : l’agrégation, je n’ai pas aimé. Et bien d’autres jours, qui ont été tristes. Mais, quand j’ai été élu au Collège et à l’Académie des sciences, je me suis dit : “Qu’est-ce que ça aurait fait plaisir à mes parents !”  » En plus, j’étais fils unique, cela multipliait le sentiment de devoir que j’avais vis-à-vis d’eux » [1].

Autoportrait au passeport juif, Felix Nussbaum (1904-1944)
La jeunesse qu’a vécue J.-C. Pecker fait écho à la courte vie du peintre Nussbaum. Originaire d’Allemagne, il fuit sa patrie dans les années 1930 devant la montée du nazisme et des lois anti-juives. Il est arrêté, pourchassé, interné ; il tente de trouver refuge dans divers pays d’Europe mais finit assassiné à Auschwitz, comme sa compagne Felka Platek. Son œuvre traite largement du désespoir face à la bestialité nazie. Le personnage de Nussbaum est repris de belle façon dans la bande dessinée historique Spirou : L’Espoir malgré tout publiée par Émile Bravo entre 2018 et 2022.

Pour beaucoup, ces épreuves ont impliqué un engagement politique fort par la suite : tout ceci ne pouvait en effet pas avoir eu lieu pour rien, tout ceci ne pouvait pas ne pas avoir de sens.

Je terminerai cette période en rapportant les propos de Jean-Claude évoquant son amitié avec Evry Schatzman (dont le père a également disparu à Auschwitz). Ils montrent l’importance majeure de ces épreuves dans sa vie. Pour Jean-Claude, « cela nous rapproche, encore plus sans doute que notre goût pour l’astronomie ». Et quand on connaît leur goût pour l’astronomie, la place centrale qu’elle a occupée, et la place qu’ils ont occupée dans cette discipline…

Le militant politique

C’est donc en 1944 que Jean-Claude Pecker adhère au Parti communiste internationaliste, organisation trotskyste. Il se voit attribuer le pseudonyme de Laurent, en l’honneur de l’un des leaders de l’organisation qui n’était autre que le mathématicien Laurent Schwartz, futur médaille Field en 1950 pour ses travaux sur la théorie des distributions.

Jean-Claude me rappelait avec fierté comment il vendait le journal trotskyste (clandestin) La Vérité devant les usines Renault. C’était à une époque où le stalinisme, très puissant, pourchassait les trotskystes qualifiés d’« hitléro-trotskystes », y compris physiquement. Mais être à contre-courant n’a jamais freiné Jean-Claude.

Au lendemain de la guerre, il abandonne le militantisme politique mais restera toujours fidèle à ce qui motivait son engagement. « Cette culture trotskyste – dit-il – est à la base de ce que j’ai toujours pensé depuis lors en matière de politique internationale et nationale. » Ce qui séduisait Jean-Claude dans cette culture, c’était l’internationalisme (il a toujours gardé une forte méfiance envers toute forme de nationalisme ou de chauvinisme, et restera un partisan du développement des organismes supranationaux), l’universalisme (la science est également universelle), mais aussi la solide formation théorique qui donnait des clés de compréhension aux événements complexes.

C’est un deuxième point qui nous a rapprochés. Ayant moi-même été longtemps engagé dans le mouvement trotskyste, je dois dire que j’ai été surpris de découvrir cet éminent professeur, alors âgé de 60 ans, qui évoquait un engagement qui avait été aussi le mien. Mais pour lui, bien évidemment, c’était dans une période autrement plus trouble et difficile.

L’engagement rationaliste

L’engagement rationaliste de Jean-Claude Pecker au lendemain de la guerre (tout comme celui d’Evry Schatzman) a probablement été dû à l’astronome Paul Couderc (1899-1981). Mais une tradition familiale a également joué pour Jean-Claude : son père et son grand-père étaient membres de l’Union rationaliste.

Il y avait là une cohérence évidente à ses yeux entre l’engagement politique, empreint d’humanisme et d’universalisme, et le combat de l’Union rationaliste en défense des valeurs de la science. Cet engagement se prolongera par la suite à l’Unesco où Jean-Claude représentera l’Union humaniste et éthique internationale (IHEU), faisant la promotion des valeurs humanistes laïques.

Le sens de son engagement rationaliste se trouve résumé dans une lettre qu’il adresse en 2012 au nouveau président de la République, au Premier ministre ainsi qu’aux ministres concernés, où il défend la nécessité de développer la culture scientifique [3]. Il y dénonce un courant de pensée qui rencontre une audience croissante où « le mot de “progrès” passe parfois pour une dangereuse obscénité » et où « des émules de Protagoras nous expliquent que tout est vrai, et son contraire aussi ». La science est mise en accusation et elle est associée aux méfaits de certaines de ses applications. Les applications qui contribuent aux bienfaits sont passées sous silence. Il regrette un « débat politique sur ces problèmes [qui] a perdu sa rationalité pour ne devenir que purement passionnel ». Il conclut ainsi : « Sans sa composante scientifique, toute culture est tristement incomplète, et vouée à tous les échecs. »

La culture scientifique était importante pour lui… Rappelons certaines des responsabilités qu’il a occupées (sans exhaustivité) : président du Comité Sciences de l’Univers du Palais de la découverte, président du Comité préparatoire du Musée des sciences et de l’industrie de la Villette, président du Comité national interministériel de la culture scientifique et technique, président du Comité Sciences de la Commission nationale pour l’Unesco, président de la Société astronomique de France, président d’honneur du Comité de liaison enseignants-astronomes, président d’honneur de l’Association des planétariums de langue française, président de l’Association française pour l’information scientifique…

C’est à l’Union rationaliste, au tout début des années 1990, que j’ai rencontré Jean-Claude. Il m’a alors confié, avec Yves Galifret et Michel Rouzé, un projet que l’Union rationaliste n’arrivait pas à terminer. C’était une collaboration avec le Comité français pour l’étude des phénomènes prétendus paranormaux, créé à l’initiative d’Evry Schatzman et du prix Nobel de physique Alfred Kastler, ami de Jean-Claude. Il s’agissait de vérifier les affirmations « néo-astrologiques » de Michel Gauquelin d’un effet bénéfique allégué de la planète Mars sur les performances sportives. Aucune influence de la planète n’a été mise en évidence [4]. On s’y attendait… Mais la démonstration se voulait à portée pédagogique (le protocole avait été accepté par Michel Gauquelin).

Il y a là une volonté sous-jacente que j’ai souvent retrouvée chez Jean-Claude : ne pas uniquement dénoncer, mais démontrer, expliquer, prendre le temps de considérer tous les arguments, de façon pédagogique.

L’Association française pour l’information scientifique (Afis)

L’Association française pour l’information scientifique, pour ceux d’entre vous qui ne la connaissent pas, est une association aujourd’hui très dynamique. Elle édite une revue, Science et pseudo-sciences (dont je suis le rédacteur en chef depuis plus de vingt ans) diffusée à environ 10 000 exemplaires, des comités locaux, des commissions thématiques. Sa devise peut se résumer ainsi : « La science décrit mais ne prescrit pas » et son action vise à « apporter l’éclairage scientifique sur les questions de société ». Fondée en 1968 par le journaliste Michel Rouzé, elle a une longue histoire [5].

Jean-Claude était un grand ami de Michel et a joué un rôle majeur dans le renouveau de l’association au début des années 2000, quand Michel Rouzé n’a plus été en capacité de l’animer. Jean-Claude Pecker a été président de l’Afis de 1999 à 2001. Je n’évoquerai ici qu’un élément de toute son action en son sein.

C’était en 2001. Jean-Claude apprend que l’astrologue Elizabeth Teissier est en passe de soutenir une thèse en vue d’obtenir un diplôme de doctorat de sociologie à la Sorbonne. Il écrit aux instances académiques et aux instances politiques. Il ne s’agissait pas d’interdire a priori à une astrologue de passer un diplôme, mais d’alerter sur l’opération de promotion déguisée de celle qui se présente dans les médias comme l’astrologue du président Mitterrand, alors défunt. Avec Jean-Claude, nous organiserons alors un véritable examen pluridisciplinaire du document, avec, pour ne citer que quelques personnes, l’astrophysicien Jean Audouze, alors directeur du Palais de la découverte, le sociologue Bernard Lahire ou le philosophe et professeur au collège de France, Jacques Bouveresse [6].

Des journées de travail plus tard, les centaines de pages de la thèse sont analysées en détail, et la farce est mise à jour : la thèse n’est qu’un mauvais plaidoyer pro-astrologique pour des « preuves irréfutables en faveur de l’influence planétaire » (c’était le titre d’une longue annexe de la thèse). À la suite de ce travail, le monde de la sociologie se remettra en cause.

Le combat jusqu’au bout

Avant de projeter l’enregistrement vidéo que Jean-Claude a adressé à l’assemblée générale de l’Afis en 2018, je voudrais souligner comment le développement de l’association lui tenait à cœur (ce que vous constaterez dans la vidéo). Il m’arrivait de retrouver Jean-Claude dans son bureau au Collège de France. Dans les couloirs, nous rencontrions souvent certains de ses collègues. À chaque fois, systématiquement, Jean-Claude les interpelait. Il me présentait et invitait ses interlocuteurs à collaborer avec l’Afis, à écrire des articles. Il a très souvent utilisé son carnet d’adresses pour solliciter des scientifiques de toutes disciplines.

« Militant dans l’âme », pour reprendre l’expression de sa collègue et amie Suzy Collin-Zahn [7], il savait l’importance de chacune des actions, de chacune des contributions individuelles. Il savait qu’il n’y a aucune recette miracle pour son combat humaniste de toujours. Et qu’il fallait forcément convaincre les personnes une par une…

Cet enregistrement, outre qu’il témoigne qu’à 95 ans, Jean-Claude était encore largement impliqué dans son action militante, souligne tout ce qui fait de lui une personne attachante.

Je terminerai en reprenant à mon compte, pour l’appliquer à lui-même, ce que Jean-Claude disait de Michel Rouzé. Ce sont exactement ces mots qui me semblent les plus justes pour décrire l’activité militante de Jean-Claude : « Ferme dans ses convictions, […] travailleur infatigable, il restait un inaltérable optimiste, souriant, ouvert aux idées des autres, comme une sorte de jeune grand-père à mes yeux d’alors... Nous lui devons beaucoup, et sa mémoire restera pour nous tous, ceux de l’Afis, très présente, – sa mémoire, celle d’un humaniste, humain, tutélaire et bienveillant. »

Références


1 | Israël S, « Normaliens réprouvés et normaliens hors les murs », in Les Normaliens dans la tourmente (1939-1945), Éditions Rue d’Ulm, 2005, 161-93.
2 | Pecker JC, Lamento, Z4 Éditions, 2019.
3 | Pecker JC, « Et la culture scientifique ? », SPS n° 302, octobre 2012. Sur afis.org
4 | Krivine JP, « Pas d’influence de la planète Mars sur les performances sportives », Association française pour l’information scientifique, 12 juillet 2004. Sur afis.org
5 | Krivine JP, « Un demi-siècle de combats contre les pseudosciences », SPS n° 326, octobre 2018. Sur afis.org
6 | « Analyse de la thèse de Madame Élizabeth Teissier », SPS n° 287, juillet 2009. Sur afis.org
7 | Collin-Zahn S, « Jean-Claude Pecker (1923-2020) : témoignage de Suzy Collin-Zahn », Association française pour l’information scientifique, 27 février 2020. Sur afis.org

1 Evry Schatzman (1920-2010) est parfois présenté comme le père de l’astrophysique française.

2 Sauf indication contraire, toutes les citations qui suivent sont extraites de ces mémoires.

3 Jean-Claude Pecker sera réintégré à la Libération.

4 Lamento, ce recueil de poèmes a également été édité en version bilingue français-esperanto, car Jean-Claude état un grand défenseur de cette langue qui se voulait universelle.

Publié dans le n° 348 de la revue


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L' auteur

Jean-Paul Krivine

Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (…)

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