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Histoire et archéologie : les recettes d’un documentaire trompeur ou mensonger

Publié en ligne le 5 novembre 2024 - Science et médias -

La diversification des médias et des canaux de diffusion (cinéma, télévision, réseaux sociaux, plateformes de vidéo à la demande) a entraîné la multiplication des documentaires, cherchant à informer sur une certaine réalité en jouant sur les émotions. Parmi eux on trouve des œuvres éducatives, mais aussi des œuvres mensongères que nous appellerons ici « documenteurs » 1. Elles mettent en avant des informations incomplètes, erronées ou fausses, faisant adhérer un public à une théorie non vérifiée ou carrément mensongère. À travers cet article, nous allons voir ce qui caractérise ces documentaires particuliers, comment les réseaux modernes, Internet et chaînes spécifiques les diffusent et en facilitent la promotion et enfin pourquoi ils font écho auprès de leur public.

Le cinéma et le documentaire de propagande politique destiné à appuyer le narratif du pouvoir, totalitaire comme démocratique, font figure de précurseurs. Durant la Seconde Guerre mondiale, les démocraties ont compris l’importance de l’image et promu des fictions, des dessins animés ou des documentaires pour montrer la justesse de leur combat. Le Bureau d’information de guerre américain (Office of War, créé en juin 1942) commanda à plusieurs réalisateurs des documentaires sous le titre général de Why we fight (pourquoi nous combattons), réalisés essentiellement par Franck Capra et Anatoli Litvak [1]. Les pays autoritaires ou totalitaires ont fait de même. Dans l’Allemagne nazie, les documentaires de Leni Riefenstahl en offrent un exemple remarquable : Le Triomphe de la volonté (1935) montre le grand rassemblement du parti nazi autour de son chef à Nuremberg et Olympia (1938) – Les Dieux du stade en français – présente la réussite des Jeux olympiques de Berlin en 1936. Dans les deux cas, la réalisatrice allemande propage une image forte et positive du régime nazi.

La Cuisinière aux fourneaux(détail), Félix Vallotton (1865-1925)

Mais ce qui différencie les documentaires de propagande des autres œuvres mensongères ou trompeuses, c’est la nature du promoteur. Là où le premier est issu d’un État ou d’une administration, le second est une émanation privée. Le premier s’appuie sur un réseau de salles ou de télévision d’État, le second s’appuie sur d’autres canaux et, de nos jours, en particulier sur les réseaux sociaux et les plateformes commerciales. Les documentaires trompeurs ou mensongers bénéficient ainsi de l’effet des algorithmes de ces outils numériques, ce qui leur permet d’être relayés vers de nouveaux spectateurs. Ils organisent parfois aussi une prévente discrète via des réseaux sociaux ou des cercles choisis permettant, le cas échéant, de trouver un financement.

Une autre différence importante que l’on rencontre souvent est le recours à des théories du complot. Le psychologue social Kenzo Nera entend par théorie du complot « des affirmations selon lesquelles le public serait intentionnellement dupé à très grande échelle pour permettre à un ou plusieurs groupes de mettre en œuvre un plan nuisible au reste de la société » [2]. Là où le documentaire de propagande entend manipuler l’opinion afin d’obtenir son adhésion à un projet politique, s’appuyant parfois sur des théories du complot, le « documenteur » entend dévoiler un complot. Le complot peut en être le sujet même, comme dans JFK Revisited : Through the Looking Glass (2021) – en français : JFK : l’enquête –, la série d’Oliver Stone sur l’assassinat du président Kennedy, ou être dévoilé par des individus détenant un secret allant à l’encontre d’une « vérité officielle » comme dans la série Ancient Apocalypse (2022) écrite pour Netflix par Graham Hancock qui part à la recherche de preuves d’une civilisation éteinte datant de l’âge de glace.

Pour cela, le « documenteur » repose souvent sur plusieurs ingrédients : un amalgame de données sorties de leur contexte pour proposer des hypothèses ad hoc, le refus des critiques issues de chercheurs reconnus considérés comme étroits d’esprit, la révélation d’hypothèses connues mais « cachées » par les chercheurs officiels.

Ajoutons à ces éléments la mise en scène d’experts choisis en dehors du cadre académique ou en rupture de ban pour servir de caution aux thèses propagées et, le plus souvent, l’absence de méthode scientifique dans leur démarche démonstrative.

La Révélation des fiançailles d’Olivia dans La Nuit des rois acte V sc.1, William Hamilton (1751-1801)

Prenons la stratégie de la « révélation » où le narrateur annonce porter un message secret. Dans Le Code des pyramides : Parisis (2023), le réalisateur et narrateur Oleg de Normandie s’autoproclame messager des dieux qui auraient caché un pouvoir secret sur Terre, qui sera mis au jour lorsque l’étoile Polaire sera dans la Petite Ourse [sic]. En outre, le documentaire part du constat que l’« explication officielle sur les pyramides » est impossible. Dans La Révélation des pyramides (2010), les huit premières minutes du film montrent les prouesses des bâtisseurs avant de conclure que la construction de la grande pyramide de Khufu n’a pu être réalisée avec les technologies des sociétés antiques. La série Ancient Apocalypse (À l’aube de notre humanité en français) lancée en 2022 décrit une civilisation avancée et mondialisée, disparue à la fin de l’ère glaciaire, qui aurait transmis ses savoirs aux plus anciennes civilisations. Dans le premier épisode, l’auteur empile les affirmations sur l’impossibilité de la construction des sites qu’il va évoquer pour ensuite proposer des données qu’il qualifie « d’objectives », car « vérifiables et fondées sur des sciences exactes », notamment les mathématiques. Des « experts », en général non spécialistes du sujet ou autoproclamés, sont interrogés. Le dénommé Quentin Leplat intervient ainsi dans de nombreux documentaires de ce type en tant qu’expert en « astro-géométrie », une pseudo-science qui n’a aucun champ d’étude défini, ne s’appuie sur aucune méthode et se fonde uniquement sur des corrélations. Dans Barabar, le site archéologique du futur (2023), qui évoque des grottes en Inde creusées dans le granite à l’époque Maurya (321 – 185 av. J.-C), ce sont des tailleurs de pierres, tous sans aucun doute compétents dans leur métier, qui servent d’experts. A contrario, les spécialistes de la question sont ignorés ou tournés en ridicule, ou, pis encore, leurs propos sont déformés, comme l’explique Jean-Pierre Adam, architecte et archéologue français, victime de ce procédé [3].

Par ailleurs, les auteurs ne vérifient pas les données et avancent des calculs ou des résultats trompeurs. Toujours dans Barabar, le site archéologique du futur, le réalisateur expose une supposée série d’impossibilités techniques qui rend inexplicable la création de chambres à l’intérieur d’énormes roches de granite il y a 2 300 ans. Son hypothèse : ces chambres sont creusées de façon extrêmement précise et ne peuvent pas résulter du travail des Indiens. En réalité, leur symétrie longitudinale n’est pas exacte avec des écarts parfois importants de part et d’autre d’un axe central. L’argument de l’extrême précision est donc fallacieux. L’auteur clame une précision qui n’est pas. De même, dans l’Affaire Kennedy (2019), l’intervenant Jean-Marc Roeder, spécialiste auto-proclamé du sujet, dénonce une série de contrevérités sur l’assassinat de ce président, sans jamais être contredit par le réalisateur Roch Sauquere. Par exemple, il indique que les acteurs « du complot » voulaient empêcher le président américain de dissoudre par décret la Réserve fédérale, alors que cette institution ne peut être supprimée que par un vote du Congrès.

Mais si ces « documenteurs » font mouche, touchent un large public et sont largement relayés, c’est aussi parce que le contexte humain et social leur est favorable. Notre époque révèle des remises en cause fréquentes des théories établies et une abondance d’informations qui obscurcissent le discernement.

Références


1 | Frame G, “Between Information and Inspiration. The Office of War Information, Franck Capra’s Why we Fight series and US World War II propaganda”, in Tzioumakis Y et Molloy C, The Routledge Companion to Cinema and Politics, Routledge, 2016, p. 151 et suiv.
2 | Nera K, Complotisme et quête identitaire. Ils conspirent, donc nous sommes, PUF, 2023.
3 | Passé Recomposé – Aldhhaa, « Passé Recomposé #1 – La Révélation des pyramides, Jean-Pierre Adam », entretien sur YouTube, 13 novembre 2018.

1 À propos de l’usage du terme « documenteur », voir les articles sur ce sujet dans ce dossier [Note de la rédaction].

Publié dans le n° 349 de la revue


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L' auteur

Alexis Seydou

Historien et archéologue, vice-président de l’Association de lutte contre la désinformation en histoire, histoire de (…)

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