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Des approches inattendues de la volcanologie

Publié en ligne le 5 juin 2015 - Vulgarisation scientifique -

La science progresse souvent par des rapprochements entre domaines jusque-là déconnectés. J’ai, par hasard, eu l’occasion de le constater à partir d’une observation sur l’obscurcissement du ciel faite en juillet 1681 par De Souliès, lecteur à la paroisse protestante de Mens (Trièves) pendant les heures noires de la révocation de l’Édit de Nantes. De Souliès écrit : [1] « Le dimanche 27 juillet [1681]entre 5 et 6 heures après midy le soleil est devenu tout sombre le temps estant fort clair et mesme tout rouge et sans rayon en sorte qu’on le regardoit fort fixe et a deuré jusques au mardy 29 dudt à 5 et 6 heures du matin ou il a commencé a reprendre sa premiere lueur. La lune a esté au tant de temps qu’est le soleil et de la mesme coleur ce que je certiffie. De SouLies. »

Nous allons voir que ce phénomène est certainement dû à une éruption volcanique, mais il reste à préciser laquelle.

Les couchers de soleil ont toujours inspiré les peintres. C. S. Zerefos et al. ont étudié [2]la relation entre renforcement du rouge du ciel sur un tableau et éruption volcanique. Sur un ensemble de 558 peintres vivant entre 1500 et 1900, ils en ont trouvé cinq qui avaient peint le ciel avant, pendant et après une éruption volcanique et dont les tableaux se distinguaient par la rougeur du ciel. Les auteurs ont calculé pour ceux-ci un indice lié au rapport du rouge au vert et l’ont corrélé à une épaisseur optique d’aérosol dans l’atmosphère.

Pour Turner, par exemple, on note un renforcement du rouge de 77 % en 1818, 79 % en 1832 et 98 % en 1835. Pour E. Degas, un renforcement de 68 % en 1885. Or ces dates correspondent à des éruptions volcaniques majeures : Tambora (1815), Babuyan (1831), Coseguina (1835), Krakatau (1883). L’importance de ces éruptions est évaluée par l’indice de voile de poussière (DVI : dust veil index).

Sur la figure (ci-contre), les éruptions de deux volcans, Tongkoko et Krakatoa, sont signalées vers 1680. On connaît le Krakatoa pour sa terrible explosion de 1883. Mais que sait-on de celle de 1680 ? Dans In het Rijk van Vulcaan de R. A. van Sandick, on lit le récit d’un colon néerlandais qui a observé, en janvier 1681, l’île de Krakatoa dévastée par une éruption qui s’était produite en mai 1680. Ce témoignage a été contesté dans plusieurs documents mais sa véracité a été démontrée d’une façon très inattendue.

Ke-fu Yu et Jian-xin Zhao ont étudié [4] les coraux détachés et transportés par des tempêtes, pour repérer les plus importantes et ainsi détecter d’éventuels tsunamis dans le passé. Ils ont ainsi mis en évidence de fortes tempêtes dans les années 1064 ±30, 1210 ±5, 1201 ±4, 1336 ±9, 1443 ±9, 1685 ±8 1680 ±6, 1872 ±15. Les deux dernières sont bien corrélées avec les éruptions du Krakatoa de 1680 et 1883. De plus, ces résultats sont confortés par l’étude des sédiments de lagons [5].

De la peinture de couchers de soleil aux blocs de coraux pour confirmer une éruption du Krakatoa !

(a) Profondeur optique d’aérosol (AOD) à 550 nm estimée à partir de peintures et de calculs théoriques.
(b) Indice de voile de poussière correspondant (DVI). Les nombres se rapportent aux éruptions majeures suivantes : 1) 1642 (Awu, Indonésie) ; 2) 1661 (Katla, Islande) ; 3) 1680 (Tongkoko & Krakatoa, Indonésie) ; 4) 1784 (Laki, Islande) ; 5) 1816 (Tambora, Indonésie) ; 6) 1831 (Babuyan, Philippines) ; 7) 1835 (Coseguina, Nicaragua) ; 8) 1883 (Krakatoa, Indonésie). Le coefficient de corrélation entre AOD et DVI est 0.87, ce qui est remarquablement significatif.

Il est difficile cependant de lui attribuer le phénomène noté par De Souliès, vu l’écart d’une année dans les dates. Mais la Smithsonian Institution [6] indique qu’un autre volcan était aussi en activité en 1681, le Grímsvötn 1 (Islande). Ce dernier, à l’axe du panache du point chaud 2, (Latitude : 64°25’N, Longitude : 17°20’W) est le plus actif des volcans d’Islande dans les temps historiques. Il est situé sous la calotte glaciaire Vatnajökull 3, d’une épaisseur de 200 m. La très longue fissure Laki s’étend vers le Sud-Ouest et a produit la plus importante coulée de lave des temps historiques en 1783 (15 km3). À la même époque, le volcan Asama était en éruption au Japon. On a suggéré [7] que la Révolution française ait pu être due aux conséquences de leurs éruptions simultanées.

Certains auteurs pensaient que, l’éruption se produisant sous une épaisse couche de glace, une projection importante de poussières et d’aérosols était peu probable. Mais l’éruption de 1966 a produit une colonne de poussières de plusieurs kilomètres de haut. Il en fut de même le 21 mai 2011. Il aurait donc pu en être ainsi en 1681. Il faut noter cependant qu’un historique [8] des éruptions de ce volcan en montre huit pour le seul XVIIe siècle et que, pour celle de 1681, il ignore lequel, du Grimsvötn ou du Bardarbunga, fut actif. L’incertitude persiste donc.

Références

1 | Cliché 1086 du Centre généalogique du Dauphiné – Le registre 5 E 227/4 des archives départementales de l’Isère, disponible en ligne, est en désordre.
2 | C. S. Zerefos, V. T. Gerogiannis, D. Balis, S. C. Zerefos, A. Kazantzidis. Atmospheric effects of volcanic eruptions as seen by famous artists and depicted in their paintings. Atmospheric Chemistry and Physics, European Geosciences Union, 2007, 7 (15), pp. 4027-4042.
3 | Gutenberg e-book 18016.
4 | www.earth2006.org.au/papers/new28July/extendedposters/Jian-xin%20Zhao.PDF (indisponible—31 mai 2020)
5 | www.researchgate.net/publication/46...
6 | www.volcano.si.edu/
7 | www.futura-sciences.com/fr/comprend...
8 | www.raunvis.hi.is/ alexandr/glaciorisk/jokulhlaup/subglaVolc/hb_gos.htm (disponible sur archive.org—31 mai 2020)

1 Grímsvötn : lacs masqués. La chaleur du volcan provoque la fonte de la glace. Des poches d’eau se constituent qui peuvent se libérer brusquement (jökulhlaup : glaciers qui courent).

2 Point chaud : zone sous laquelle est présente une colonne de matière chaude venant de plusieurs centaines de km de profondeur, et peut-être de la frontière entre manteau et noyau vers 2900 km de profondeur.

3 Vatnajökull : glacier des eaux.

Publié dans le n° 311 de la revue


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L' auteur

Georges Jobert

Georges Jobert est géophysicien et professeur honoraire à l’université Pierre et Marie Curie. Il a été directeur (...)

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