Accueil / Notes de lecture / Déclin de la médecine humaniste

Déclin de la médecine humaniste

Publié en ligne le 12 juin 2016
Déclin de la médecine humaniste
Jacques Corraze

Mardaga, Coll. théories, débats, synthèses, 2015, 176 pages, 22,99 €

« L’histoire de la médecine est celle des rapports entre la singularité du malade et l’universalité de la maladie, entre les exigences de l’individu et celles de la médecine scientifique » (p. 19)

Jacques Corraze est agrégé de philosophie, docteur ès lettres et sciences humaines, docteur en médecine et psychiatre. C’est dire s’il est bien placé pour nous aider à réfléchir sur la très complexe relation médecin-patient ! Il mène en effet dans cet ouvrage une analyse extrêmement poussée de cet échange à double sens, dans lequel chacun a son rôle dans le processus de guérison, et en montre la richesse et la complexité. Il s’appuie parfois sur son expérience personnelle de médecin, et cite quelques anecdotes appuyant ses propos d’un côté « vécu », mais c’est bien en philosophe qu’il procède à une réflexion aussi étendue que pertinente, qui profitera à tous. Les médecins et personnels de santé seront évidemment les premiers concernés, mais les malades et futurs malades que nous sommes tous potentiellement, seront également passionnés par ce livre.

L’auteur donne à voir, par un vaste panorama, à quel point la profession de médecin est complexe. Et plus encore, la médecine humaniste qu’il appelle de ses vœux, c’est-à-dire celle qui s’attache à voir le malade derrière la maladie. Il est bien évident que tous les médecins ont ce souci ! Mais J. Corraze explique en quoi les conditions ne sont pas toujours remplies pour que le médecin dispose du temps et de la formation nécessaires à la prise en compte du patient en tant que personne et à l’établissement d’une relation de qualité. Comme il le souligne, en citant le chirurgien, professeur au Collège de France, René Leriche (1879-1955) : « nos cours universitaires sont, malgré leur brio, d’une sécheresse qui ne laisse pas deviner l’homme derrière la pathologie » (p. 41).

En tout cas, ce type de médecine est à développer d’autant plus que les principaux maux de notre époque, au moins ceux de nos pays développés, sont liés à nos comportements (tabac, alcool, alimentation, manque d’exercice…) ou à l’âge, ce qui crée des patients nécessitant des prises en charge où le lien psychologique est primordial.

Il est aussi très important d’entraîner l’adhésion du patient à son traitement : J. Corraze cite le chiffre de 50 % de malades victimes de maladies chroniques gérant mal leur traitement (p. 143). De nombreuses études allant dans ce sens sont citées, résumées par ce chiffre : les conséquences de l’absence d’adhésion au traitement (persistance de la maladie, rechutes, aggravations, jours de travail perdus…) s’élèvent à 300 milliards de dollars pour les seuls États-Unis (selon une étude datant de 2004). L’implication du malade est donc essentielle et elle passe par une relation meilleure avec son praticien. Les médecins s’en rendent d’ailleurs compte à une occasion bien simple : lorsqu’ils tombent malades eux-mêmes et se retrouvent du « mauvais côté de la barrière ».

Évidemment, la solution n’est pas simple et ne peut se résumer à davantage d’écoute ou de compassion… Le médecin, pour rester efficace, doit également cultiver une juste distance et rester professionnel : voilà pourquoi l’auteur appelle de ses vœux un enseignement de la médecine humaniste et de son aspect le plus visible : l’empathie. « La dimension humaine de la médecine ne s’improvise pas, elle ne peut s’en tenir au bon sens de chacun  »(p. 41).

Le livre se conclut par un chapitre aux informations passionnantes sur l’effet placebo.

Toutes ces réflexions sont d’autant plus profondes et riches que le style du livre est très soigné, la langue est élégante et recherchée. Finalement, la seule chose qui étonne dans cet ouvrage, c’est le titre 1 ! La médecine humaniste décrite par J. Corraze est plutôt récente, émanant, nous dit-on en quatrième de couverture, des États-Unis depuis une trentaine d’années. Dès lors, ne serait-elle pas plutôt en pleine expansion ? Et quand ce ne serait pas le cas, lire cet ouvrage, le faire connaître, et développer son message sera sans doute le meilleur moyen de faire mentir ce titre pessimiste. C’est naturellement une nécessité pour donner ou redonner en la médecine une confiance qui a tendance à s’effriter, et plus encore : ôter aux pseudo-médecines en tous genres un de leurs plus puissants leviers.

1 Mais on sait que c’est à l’éditeur que revient le « dernier mot » sur le choix du titre.